Belle palette de couleurs, de mouvements, de traits, d’ombre et de lumière pour grouper sous le même toit l’inspiration d’Edgar Chahine, Jeansem, Carzou, Shart et Assadour. La plupart, même s’ils sont naturalisés français, ont une relation plus ou moins directe avec le Liban. Soit ils sont nés en terre des cèdres, soit ils y ont vécu ou y ont exposé plus d’une fois leurs œuvres.
Leur art dénonce, accuse, justifie, console, assemble et rassemble. De l’Arménie profonde avec ses prolongements de la diaspora au cœur de la France rurale et citadine, du symbole de la grenade à celui du lys, cinq pinceaux de peintres franco-arméniens viennent enrichir la palette des artistes qui s’inspirent de deux sources, de deux rives, de deux horizons, de deux pays.
Des peintres qui font fusionner deux nations de par leurs origines communes et vécus différents. Et cela à travers de superbes narrations picturales où défilent, entre charge d’émotion et images perçues comme un salut, histoires, légendes, visages et paysages.
Une soixantaine d’œuvres donc (huiles, aquarelles, mixed medias, lithos et gravures) qui s’inscrivent dans le sillage bien sûr de la diaspora arménienne mais battent aujourd’hui le pavillon du XVIIe Sommet de la francophonie, événement phare qui se tiendra le mois prochain à Erevan.
Peintre et graveur, à cheval entre les XIXe et XXe siècles, parfait témoin de son temps, Edgar Chahine a le don d’observation et le sens d’un portrait incisif mais non dénué de tendresse. Un comédien, une respectueuse ou le profil d’une manufacture ont une égale densité de présence et d’épaisseur dans ses gravures en noir et blanc léché.
Avec Jansem, scènes de carnaval et processions invitent à se souvenir des misères des rescapés du génocide des enfants du pays d’Arshile Gorky. Tristesse et mélancolie d’une femme au visage oblong, de cette mère éplorée au regard baissé, avec une mantille sur les cheveux comme pour un moment de piété et de prière.
Carzou, dans un univers onirique feutré et à grands coups de dessins en dentelle d’une saisissante finesse, restitue des décors improbables entre façades de châteaux (superbe cet Azay-le-Rideau et ses flaques d’eau qui se répandent en grandes nappes tranquilles), parcs aux arbres dénudés et ports aux départs froids. Un univers singulier où la grâce et l’élégance ont des allures de rêves pétrifiés.
La grâce et l’appétit de vivre de Shart sont dans ses couleurs vives, son esprit pétillant, sa jovialité bonhomme et son sens décapant de dire l’essentiel. Tout en n’omettant jamais le moindre détail. Une éloquence picturale particulière pour un expressionnisme fait de bienveillance et de lumineuse présence humaine. Surtout cet étal de poissons avec des personnages pittoresques aux regards gourmands et rieurs. Et que dire de cette grande toile, dans des tonalités sourdes et vibrantes, où se profilent Venise, ses gondoles et ses palais aux dômes flirtant en douce avec le firmament et se reflétant curieusement dans les eaux grises ?
Avec Assadour, incursion hardie du monde industrialisé dans des cités à moitié détruites, ravagées et décomposées. Ventre ouvert des machines goulues et gloutonnes, boulons, cordeaux, équerres et poupées désarticulées pour traduire le malaise de l’ère moderne et le douloureux souvenir d’un passé impuni. En noir et blanc ou ponctué en toute parcimonie ou un savant dosage de couleurs, le travail d’Assadour est une belle abstraction érigée en un saisissant jugement. Une des créations picturales les plus ingénieusement élaborées dans la peinture moderne actuelle. Et dont le cercle d’audience ne fait qu’augmenter.
Cinq voix différentes de peintres pour parler de la vie, de ses détours, de son adversité, de ses surprises, de la liberté. Abstraction faite du choix du ciel où on a élu domicile. Entre beauté des images et blessures intérieures, un témoignage bouleversant, un acte de courage et un cri d’espoir.
Galerie Noah’s Ark
Centre Grand Park 2, bifurcation Bank Byblos, rue Jawharji, Zalka.
E-mail : noahsark95@gmail.com
Tél. : +961/4-711852.
Jusqu’au 27 septembre 2018.