Saad Hariri a présenté hier une formule ministérielle de principe au chef de l’État. Photo Dalati et Nohra
La formation du gouvernement, bloquée depuis plus de trois mois, a connu hier un rebondissement positif, bien qu’encore (très) incertain.
Au terme d’une rencontre hier avec le chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, suivie d’un déjeuner, le Premier ministre désigné Saad Hariri s’est rendu au palais de Baabda, après avoir promis il y a près d’un mois qu’il ne s’y rendrait pas tant qu’une éclaircie ne se profilait pas. C’est donc muni d’une nouvelle mouture de cabinet qu’il a rencontré hier le président de la République, Michel Aoun. M. Hariri aurait remanié les quotes-parts et la répartition des portefeuilles en fonction de leur nature (sans mention de noms) à la lumière des contacts qu’il avait menés avec les différentes parties, dès son retour en fin de semaine d’une visite familiale au Caire. À l’issue d’un entretien de près d’une heure entamé vers 16h, Saad Hariri a annoncé aux journalistes s’être concerté avec le chef de l’État sur « une formule qui ne fait ni perdants ni gagnants ». Cette formule « existe désormais » et se veut la base d’un « gouvernement d’union nationale, pour lequel chaque partie aura sacrifié d’une manière ou d’une autre » une part de ses revendications de base. Et de préciser que les concertations sont en cours entre lui et le président, et nul autre. « Cette formule n’a été débattue avec personne. Elle est une synthèse des concertations que j’ai menées avec les différentes parties. Personne n’est informé de son contenu à l’exclusion du président et de moi-même », a-t-il déclaré.
Pour sa part, le chef de l’État doit se prononcer sur ce document « dans les prochaines 48 heures », selon les milieux du CPL. Un communiqué laconique du palais présidentiel a en outre précisé que le Premier ministre désigné a remis à Michel Aoun « une formule de principe », sur laquelle ce dernier a « formulé quelques remarques en se basant sur les critères qu’il avait fixés dans l’intérêt du Liban ». Et le communiqué d’ajouter que « le chef de l’État poursuivra ses concertations avec le Premier ministre désigné en vue d’un accord sur la formule du prochain cabinet ».
Face à « l’optimisme » exprimé par Saad Hariri, Baabda a maintenu une certaine neutralité de ton, si bien qu’en fin de soirée, l’impression était chez des observateurs politiques que la situation n’est pour l’instant « ni positive ni négative ».
Les portefeuilles « maronites »
Ce que l’on sait de la mouture de trente portefeuilles élaborée par Saad Hariri révèle un effort d’équilibre encore inabouti. En effet, selon les informations de notre chroniqueur politique Philippe Abi-Akl, il est fait en sorte qu’aucune partie politique (ou alliance de partis, plus ou moins liés au niveau tactique ou stratégique) ne détienne le tiers de blocage, soit onze ministres. Ainsi, trois camps ont été définis, chacun devant obtenir dix portefeuilles : le camp du chef de l’État et du Courant patriotique libre, celui du Premier ministre désigné (six portefeuilles, dont un « chrétien ») et des Forces libanaises (quatre portefeuilles), et enfin celui du Hezbollah, du mouvement Amal et des Marada, avec lesquels est compté le Parti socialiste progressiste. Si cette répartition de principe est retenue par le président de la République – cela reste sujet à caution –, certains problèmes devront encore être réglés. D’abord, il y a des détails relatifs à la quote-part des Forces libanaises (FL). En acceptant de la réduire à quatre portefeuilles, tout en renonçant à leurs demandes d’un portefeuille régalien et de la vice-présidence du Conseil, les FL ont assoupli les conditions premières de leur participation au gouvernement. Le parti chrétien entend toutefois obtenir quatre portefeuilles consistants, par opposition à un ministère d’État (jugé secondaire, parce que sans portefeuille). Or, sur les trois ministères d’État attribués aux chrétiens, le camp aouniste tendrait à en réserver au moins un aux FL. Les Marada tiennent à un portefeuille de services, ce qui limite la répartition de ces trois ministères jugés secondaires entre le CPL et les FL... à moins que le Premier ministre désigné n’accepte d’en attribuer au ministre « chrétien » relevant de son camp. Un autre problème se pose au niveau de la répartition des six sièges ministériels réservés aux maronites. Entre le CPL qui en sollicite trois, le chef de l’État, le Premier ministre désigné et les Marada qui en obtiendront chacun un, les FL se verraient privées d’un ministre maronite.
Or, aussi bien en ce qui concerne les ministères d’État que les ministres maronites, la balle est dans le camp du chef de l’État. S’il accepte d’accorder la vice-présidence du Conseil aux FL, celles-ci seraient prêtes à accepter un ministère d’État, selon notre chroniqueur politique. Il suffit en outre que le CPL réserve un ministère maronite aux FL pour régler ce détail, sans modifier l’équilibre escompté par le président Aoun à ce niveau, puisque celui-ci gardera avec le CPL la plus grande part des six sièges maronites.
Le nœud dit druze relèverait lui aussi de la volonté réelle du chef de l’État de le défaire. Le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt se refuse à céder l’un des trois portefeuilles « druzes » au député Talal Arslane, que Gebran Bassil a pris sous son aile. Sachant toutefois que le nom d’une personnalité druze indépendante mais non contestée par le PSP circule comme option alternative à M. Arslane, encore faut-il que Michel Aoun décide de calmer les ardeurs du chef du Parti démocrate en faveur de cette solution intermédiaire.
Solution au nœud sunnite
Pour ce qui est du nœud lié à la nomination de sunnites ne gravitant pas dans l’orbite du courant du Futur, il semble que le Premier ministre désigné ait avalisé le nom d’un sunnite équidistant du 8 Mars et de sa formation, proposé lors de sa rencontre tripartite avec les anciens chefs de gouvernement Fouad Siniora et Nagib Mikati, placée sous le signe de la solidarité sunnite avec la présidence du Conseil.
On attend donc la réponse de Michel Aoun, ce qui est loin de gêner le CPL. Selon nos informations, Gebran Bassil aurait répondu en riant à un visiteur curieux de savoir si le cabinet verrait le jour incessamment : « Écoutez Saad Hariri, et après lui, c’est le président qui tranchera dans les 48 heures. »
(Lire aussi : Berry définit les priorités : le nœud chrétien d’abord)
Réponse officieuse de Baabda
Toutefois, certaines informations parvenues hier soir à L’Orient-Le Jour révèlent certaines réserves sérieuses du chef de l’État concernant la nouvelle mouture proposée.
Selon notre chroniqueur Khalil Fleyhane, qui cite des sources proches du palais présidentiel, la solution proposée par Saad Hariri au nœud dit druze reste « floue ». Une autre réserve tient du fait que la formule ne propose pas de noms de ministres potentiels. Pour ce qui est des portefeuilles de services (six, répartis à égalité entre chrétiens et musulmans), le chef de l’État estime que la demande des FL d’obtenir quatre portefeuilles consistants laisserait de facto le CPL plus « fort » en nombre de députés et donc plus méritoire, sans portefeuille de services (quand bien même l’un de ces portefeuilles est réservé au président de la République, dont répond le CPL), précise notre correspondante au palais de Baabda Hoda Chedid.
Il reste que le souci est le même chez Saad Hariri et Michel Aoun de garder la voie ouverte à un compromis. Les deux insistent sur le fait qu’il s’agit seulement d’une mouture de base, c’est-à-dire « non définitive », selon les milieux de Baabda, qui ne parlent ni de refus ni d’aval du chef de l’État.
Les choses sont donc au point mort. Reste à savoir quel bras de fer sous-tend cette paralysie. Le fait que le député Jamil Sayyed ait pris à sa charge d’annoncer hier soir dans un tweet que la proposition de M. Hariri est irrecevable pourrait trahir une volonté de maintenir le blocage jusqu’à avoir à l’usure le camp haririen ainsi que les FL. S’il exprime ainsi les desiderata de Damas (où le ministre sortant Hussein Hajj Hassan doit se rendre à nouveau aujourd’hui, signe emblématique d’une normalisation des relations avec le régime Assad que le 8 Mars souhaite imposer de facto), ces desiderata ne dérogent-ils pas au souhait du Hezbollah de voir un cabinet formé au plus vite ? La source du blocage serait-elle désormais uniquement syrienne ?
Pour mémoire
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17 h 20, le 04 septembre 2018