Malgré l’adoption de la loi sur la chasse et l’ouverture de la saison pour la seconde année consécutive, les mêmes photos sordides continuent de circuler sur les réseaux sociaux : l’une d’elles a particulièrement choqué les internautes, au lendemain de l’ouverture de la saison le 1er septembre, celle d’un capot recouvert de rapaces morts, des oiseaux qu’il n’est en aucune façon permis de chasser. Et il est évident que l’incident n’est pas unique, les anciennes habitudes de ceux que les environnementalistes, tout comme les chasseurs qui se considèrent comme « responsables », appellent des « tireurs » ou des « braconniers » reviennent en force.
Que faire donc pour que l’ouverture de la chasse ne reste pas synonyme d’hécatombe ? Le ministre de l’Environnement Tarek el-Khatib, qui est par la même occasion le président du Haut Conseil de la chasse, s’est « indigné des abus commis » durant les premiers jours d’ouverture de la chasse, rappelant les dispositions de la loi et les espèces qui constituent des proies pour la chasse. Hier, M. Khatib a demandé « à l’avocat général pour les affaires environnementales du Mont-Liban de se saisir du cas de l’un des chasseurs, Zouheir Zouheiri, de Bekaata dans le Chouf, et de tous ses possibles complices, pour entrave à la loi sur la chasse n° 580/2004, en raison de photos qui montrent une quantité de rapaces sur sa voiture ». Les violations de la loi dans ce cas sont multiples : chasse d’espèces interdites et menacées en nombre important, et leur exposition bien au vu des passants et des internautes.
Le ministre de l’Environnement, qui était injoignable hier, a certes pris ses dispositions par rapport à ce chasseur, mais combien d’autres restent impunis? Sachant que l’application de la loi à proprement parler est du ressort du ministère de l’Intérieur et de ses appareils de sécurité, l’ouverture de cette saison de chasse ne se présente pas sous de bons auspices. C’est ce qui a poussé le Mouvement écologique libanais (rassemblement d’ONG) à demander au ministre Khatib « de tenir une réunion du Haut Conseil pour décider d’un plan pour l’application de la loi sur la chasse, sous peine de quoi il faudrait geler l’ouverture de la saison si l’État n’est pas en mesure de mettre un terme aux violations ».
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Massacre à Denniyé
Dans son appréciation de la situation sur le terrain, Antoine Faissal, membre de la Coalition pour la conservation des oiseaux au Liban (LBCC), estime que « le chaos est toujours le même, on attend toujours que des massacres aient lieu pour porter plainte contre certains chasseurs, or cela ne prend en aucun cas la place de l’application de la loi ». Il fustige « la culture de la violence » qui continue de sévir dans ce domaine. « Rien qu’à Denniyé récemment, près de 600 buses ont été abattues d’un coup, déplore-t-il. C’est là qu’ont souvent lieu les massacres, parce que les oiseaux migrateurs volent bas et se posent sur les arbres pour dormir la nuit, et que tôt le matin, ils attendent les courants d’air chaud pour pouvoir s’envoler. »
Assaad Serhal, président de la Société de protection de la nature au Liban (SPNL), a une vision plus mesurée de la situation, tout en reconnaissant toutes les difficultés à appliquer la loi. « Le problème n’est pas dans la loi mais dans son application lacunaire, dit-il. Nous notons la coopération positive avec le ministère de l’Environnement, qui a accepté d’enlever les espèces de bec-figues (au moins 32 espèces de petits oiseaux) de la liste des proies et de retarder l’ouverture de la saison qu’il prévoyait pour mi-août. Il s’agit cependant de pénaliser lourdement les braconniers qui continuent de sévir. Mais il faut reconnaître une chose : les Forces de sécurité intérieure réagissent vite quand on les sollicite. »
M. Serhal rappelle que des 400 espèces d’oiseaux résidents et migrateurs, seules 12 espèces font partie des proies autorisées en nombre limité, ainsi que deux espèces de mammifères : les lapins et les sangliers. Il estime également que les associations ont l’obligation d’aider à l’application de la loi. « Il existe une unité au ministère de l’Environnement chargée de former une base de données sur les violations de la loi, et nous l’aidons à collecter ces données, explique-t-il. Nous nous sommes par ailleurs réunis avec les avocats généraux dans les différentes mohafazats, qui se sont montrés très coopératifs et prêts à recevoir les dossiers que nous leur enverrons. Il restera à pénaliser les contrevenants une fois pris sur le fait. »
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Les permis de chasse
Les chasseurs « responsables » tiennent dorénavant le même discours, comme Adonis Khatib, président du Centre du Moyen-Orient pour la chasse durable et responsable du dossier de la chasse à la SPNL, qui estime que « les véritables chasseurs n’ont aucun problème à reconnaître les espèces autorisées ». « Nous avons beaucoup travaillé à la sensibilisation de groupes de chasseurs et avons progressé à ce niveau, poursuit-il. Certains de ceux qui n’accordaient aucune attention aux règles de la chasse dénoncent aujourd’hui les mauvaises pratiques. Mais pour que les mœurs changent réellement, il faut du temps. »
Un des indicateurs plutôt positifs selon Adonis Khatib est le nombre de demandeurs de permis, 16 500 l’année dernière et 4 090 nouveaux cette année. « La seule inconnue est le nombre de détenteurs de permis qui l’ont renouvelé cette année, dit-il. Il se peut en effet que certains aient été découragés par l’application insuffisante de la loi, et qu’ils aient remarqué que d’autres chasseurs sans permis n’ont jamais été inquiétés. »
Pour sa part, Antoine Faissal estime que « ce nombre de demandeurs de permis est une blague vu le nombre estimé de chasseurs au Liban ». Étant donné l’absence de statistiques, il est risqué de s’aventurer à deviner le nombre de chasseurs, mais alors qu’Assaad Serhal les situe autour de la centaine de milliers, Antoine Faissal parle plutôt d’un demi-million.
L’armée ou les municipalités
Qu’ils soient plutôt optimistes ou pessimistes, ces militants s’accordent à dire que l’application de la loi est plus que lacunaire. Mais que faire pratiquement pour renforcer la mise en place du texte ? Pour Antoine Faissal, il ne fait pas de doute qu’« il faut une décision en haut lieu, que ce soit le président de la République ou le commandant en chef de l’armée, afin de charger l’armée d’appliquer la loi sur la chasse ». Il se souvient d’une époque, vers la fin des années 90 et le début des années 2000, où l’armée avait réussi à instaurer de l’ordre et à imposer une discipline dans les rangs des chasseurs.
Pour sa part, Adonis Khatib pense que la lourde tâche d’organiser la chasse ne doit pas être réservée aux seuls agents des forces de l’ordre qui, de surcroît, sont souvent chasseurs eux-mêmes. « Les municipalités ont un très grand rôle à jouer, elles qui connaissent le terrain et ont autorité à dresser des procès-verbaux et à arrêter les contrevenants, assure-t-il. Un énorme progrès serait réalisé si les municipalités étaient impliquées dans le processus. »
Assaad Serhal fait remarquer que la chasse la plus dangereuse reste celle des petits oiseaux par le biais de filets et non de fusils, à des fins commerciales. Les oiseaux sont en effet un mets très apprécié. « Si l’on ne freine pas ce processus au niveau de la pénalisation des contrevenants mais aussi par le biais d’une coopération avec le ministère de l’Économie, il n’y aura bientôt plus d’oiseaux au Liban », dit-il.
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commentaires (12)
J'ai communiqué l'article de Suzanne Baaklini à la Ligue pour la Protection des Oiseaux forte de 42.000 membres et un million de lecteurs de sa publication. J'espère bien qu'elle publiera l'article avec la photo des rapaces tués exposés sur le capot de la voiture du fanfaron matamore. Par ce geste, les Français auront une idée de la chasse-hécatombe pratiquée au Liban malgré la présence d'un ministre de l'Environnement qui touche un salaire très important pour ce qu'il fait en défaveur de la nature...
Un Libanais
19 h 06, le 04 septembre 2018