Le tollé autour d’une recommandation du Conseil supérieur de la chasse sur un allongement de la saison de chasse cette année par rapport à l’année dernière aura fait son effet. Suite à un communiqué signé par 120 associations de protection de l’environnement, qui avaient haussé le ton au sujet de cette recommandation (voir L’OLJ du 16 juillet), le ministre de l’Environnement Tarek el-Khatib, qui est également président du Comité supérieur de la chasse, a tenu une conférence de presse pour assurer que « cette recommandation a été faite au conseil mais que la décision n’a pas encore été prise ». « Si les arguments des environnementalistes sont convaincants, je suis prêt à rouvrir le débat », a-t-il ajouté.
Cette recommandation avait été soulevée au conseil jeudi au cours d’une réunion de ce dernier. Le communiqué envoyé par les associations en week-end s’insurgeait particulièrement contre la recommandation « d’ouvrir la chasse à la mi-août 2018 au lieu de fin septembre et de retarder sa clôture jusqu’à fin février 2019 au lieu de fin janvier », soit non moins de 60 jours supplémentaires. Et ce n’est pas tout : le conseil « a modifié la liste des espèces, gibier à plumes et mammifères, qu’il est permis de chasser », y incluant des espèces menacées et bénéfiques pour la protection de la biodiversité et de l’agriculture.
Hier, donc, le ministre de l’Environnement a précisé que « le Conseil supérieur de la chasse transmet des recommandations au ministre qui décide, ou pas, d’ouvrir la saison de chasse ». Il a insisté sur le fait que la réunion du jeudi dernier n’avait pas abouti à une décision. « Nous avons eu vent de la contestation d’associations écologiques (…) dont nous respectons l’opinion, a-t-il poursuivi. Voilà pourquoi j’ai décidé de m’adresser aux associations par médias interposés, afin de leur demander de me présenter, par écrit et dans un délai de trois à quatre jours, leurs éventuels arguments. Je suis prêt à les soumettre au conseil. »
Interrogé plus particulièrement sur les espèces de becfigues qui ne se nourrissent que de fruits saisonniers et qui n’étaient pas présentes sur la liste des espèces pouvant être chassées l’année dernière, M. Khatib a indiqué que « cet oiseau n’est pas résident », ajoutant que « la recommandation de sa réintroduction sur la liste des proies a fait suite à des protestations l’an dernier ». « Que ceux qui s’insurgent contre cela nous présentent des arguments scientifiques, et nous les discuterons, nous ne sommes pas fermés au dialogue », a-t-il insisté.
Par ailleurs, en réponse à une question sur l’influence des marchands d’armes et de munitions de chasse, le ministre a formellement démenti qu’ils aient quelque chose à voir là-dedans, réitérant, comme il l’avait fait à L’OLJ la veille, que « l’application de la loi sur la chasse durant la saison précédente n’était pas parfaite », soulignant que « les marchands d’armes n’ont de toute façon jamais arrêté de vendre leur marchandise ». Il a enfin suggéré que « les représentants des environnementalistes ont émis des réserves sur la rallonge de la saison de chasse et pas sur l’ajout d’espèces à la liste des proies ».
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Une « volonté de modifier la décision » ?
Or des sources ayant requis l’anonymat assurent que les représentants d’environnementalistes ont émis des réserves sur les deux points. Interrogé par L’Orient-Le Jour sur la présence des environnementalistes dans le conseil, Assaad Serhal, directeur de la Société de protection de la nature au Liban (SPNL), rappelle notamment que l’ornithologue Ghassan Jaradi en fait partie et qu’il représente le Conseil national de la recherche scientifique, sans compter un représentant des associations. « Il était en voyage et le demeure, mais il avait donné un avis défavorable par écrit », souligne-t-il. M. Jaradi avait déclaré la veille à L’OLJ que le conseil « n’a pas pris en considération les avis scientifiques ».
L’argument qu’avance Assaad Serhal est sans appel. « Si on réintroduit les petits oiseaux insectivores dans la liste des espèces pouvant être chassées, c’est un immense pas en arrière, affirme-t-il. La loi a précisé que les proies se limitent à 14 espèces d’oiseaux et deux espèces de mammifères, et cela est fondé sur des arguments scientifiques. Les petits oiseaux insectivores, dont il existe d’innombrables espèces et non pas une seule, n’en font pas partie en raison de leur importance pour la biodiversité, d’autant plus qu’ils sont très difficiles à identifier. »
À une question sur ce qu’il pense de l’issue de cette affaire, M. Serhal indique avoir décelé dans la conférence de presse tenue par le ministre une volonté de modifier cette décision concernant l’ouverture de la chasse, ce qui est « positif ». « Nous sommes prêts à fournir un avis scientifique, poursuit-il. Nous préparons actuellement le document muni de notre argumentation, que nous enverrons au ministre dans les délais. Et nous avons demandé un rendez-vous dans le courant de cette semaine. »
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Une chasse « sans aucune éthique »
Pour Fouad Nassif, responsable de la communication au Conseil national de la chasse (également représenté au sein du Conseil supérieur de la chasse), l’introduction des becfigues et passereaux dans la liste des espèces pouvant être chassées est inadmissible. « Le représentant du Conseil national est arrivé en retard à cette réunion du jeudi, sinon il aurait voté contre cette décision, affirme-t-il à L’OLJ. Nous demandons la tenue d’une nouvelle réunion et un nouveau vote. Mais ce que je peux vous dire, c’est que cette recommandation votée ce jour-là était arrivée dans un papier imprimé d’avance. » Celui qui est lui-même un chasseur expérimenté pense que « l’impulsion vient des marchands d’armes et de munitions ». Il rappelle que les becfigues et passereaux sont des oiseaux insectivores très bénéfiques, et qu’ils sont généralement chassés sur les arbres et non en vol. « Les abattre n’est même pas du sport, c’est une chasse sans aucune éthique, d’autant plus qu’on finit par truffer les arbres de plomb », ajoute-t-il.
Par contre, M. Nassif se dit favorable à l’ouverture de la chasse à la mi-août, soulignant que c’est la seule saison à laquelle on peut cibler un oiseau particulier, la sarcelle d’été, ainsi que du gibier. « Cela n’aura pas d’incidence sur les espèces tant que la chasse est réglementée, et je peux vous dire qu’elle l’est puisqu’elle est interrompue depuis la clôture de la chasse cette année, ce qu’on peut mesurer par l’arrêt de la vente de munitions », affirme-t-il. Comment y croire lorsque le ministre lui-même confirme que l’application de la loi est, pour le moins, lacunaire ?
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commentaires (7)
Les Libanais, au point où en est l'assassinat de la nature au Liban, se doivent d'INTERDIRE LA CHASSE UNE FOIS POUR TOUTE ! Toute autre alternative ne peut et ne doit être considérée !
Remy Martin
17 h 20, le 17 juillet 2018