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Moyen Orient et Monde - Syrie

La bataille d’Idleb se rapproche de plus en plus

La Russie, parrain de Damas, a lancé hier des manœuvres militaires maritimes et aériennes en Méditerranée qui doivent s’étendre jusqu’à samedi.

Des combattants rebelles syriens du Front national de libération au cours d’un entraînement militaire hier dans la province d’Idleb. Aref Watad/AFP

À l’heure où la communauté internationale multiplie les pourparlers pour éviter une offensive à Idleb, la tension monte sur le terrain. Les différents groupes jihadistes et rebelles se préparent au lancement par Damas et son parrain russe de ce qui pourrait être l’ultime bataille contre le dernier grand bastion rebelle syrien. Situé dans le nord-ouest du pays, Idleb est devenue au cours des années un foyer d’accueil pour des centaines de milliers de déplacés venus des quatre coins de Syrie pour fuir la mainmise du régime après sa reprise des autres zones rebelles. La région compte désormais près de 3,5 millions d’habitants où se mélangent civils, rebelles et groupes islamistes.

Près de 60 % de la province est actuellement aux mains de Hay’at Tahrir el-Cham (HTC), principale formation jihadiste de la région issue du Front al-Nosra, l’ancienne branche syrienne d’el-Qaëda, qui compte 30 000 combattants selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Elle est concurrencée sur le terrain par le Front national de libération (FNL), une coalition soutenue par la Turquie formée début août. Elle regroupe Ahrar el-Cham, Noureddine el-Zinki et quatre autres factions rebelles.

Vendredi dernier, des groupes du FNL « ont fait sauter dans la nuit les deux ponts, situés dans le secteur de Sahl al-Ghab à Hama », a confié à l’AFP Rami Abdel Rahmane, le directeur de l’OSDH. « C’était les deux principaux ponts du secteur, mais il y en a deux autres », a-t-il indiqué. « Les rebelles ont observé une activité intense côté régime, avec l’arrivée de chars et de blindés dans le secteur », a-t-il poursuivi, avant d’ajouter que « les groupes rebelles fortifient leurs positions en prévision d’une opération militaire ». Selon des images de l’AFP, les rebelles creusent des tunnels et préparent des sacs de sable autour de leurs positions.

Des troupes du régime ont commencé à affluer dès le début du mois d’août aux alentours de la province vers Jisr el-Choughour, amenant avec elles des équipements militaires. La position géographique de cette ville du sud-ouest d’Idleb présente un intérêt stratégique, étant située à 85 kilomètres de la base aérienne russe de Hmeimim dans le gouvernorat prorégime de Lattaquié. Des bombes et des tirs de roquettes ont été lancées au cours des dernières semaines sur des positions jihadistes autour de la ville par les forces de Damas, qui ont également largué des tracts appelant les habitants d’Idleb à la reddition dans d’autres parties du gouvernorat. Selon l’OSDH, une femme enceinte et sa fille ont péri samedi dans des bombardements du régime dans la région de Jisr al-Choughour.


(Lire aussi : Qui est Hayat Tahrir al-Cham, dans le viseur du régime à Idleb ?)


Manœuvres militaires

Bien que la province d’Idleb soit considérée comme une « zone de désescalade » suite à un accord conclu entre Moscou, Ankara et Téhéran l’année dernière, le président syrien Bachar el-Assad et son homologue russe Vladimir Poutine n’ont jamais caché leur objectif final de reprendre le contrôle de la zone par la force si aucune solution politique n’est trouvée. Le scénario d’une confrontation armée paraît le plus probable alors que les acteurs présents sur le terrain ne souhaitent pas faire de concessions. « La décision du commandement syrien, c’est la lutte contre le Front al-Nosra à Idleb, quels que soient les sacrifices », a rappelé mardi dernier le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem.

La Russie a lancé hier des manœuvres militaires maritimes et aériennes qui doivent s’étendre jusqu’à samedi. L’opération envoie un double-message : une préparation plus intensive pour une offensive sur Idleb, et un avertissement à Washington en renforçant la présence russe dans la zone. « En 24 heures, la force de frappe américaine en Méditerranée pourrait être renforcée par deux autres destroyers, l’USS Donald Cook et l’USS Porter, actuellement déployés sur une base navale près de la ville espagnole de Rota, ainsi que par des sous-marins », a déclaré jeudi Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères. « Dans la même période, le destroyer USS Jason Dunham pourrait entrer en mer Rouge pour mener une frappe contre la Syrie et l’USS Sullivans dans le golfe Persique (Arabique) pourrait retourner dans la zone d’attaque », a-t-elle ajouté.

L’Iran, autre allié de Damas et dont les troupes et leurs supplétifs sont dispersés à travers le pays, semble pour sa part donner un appui limité à Damas sur le terrain afin de ne pas froisser Ankara. Selon l’Asia Time, « des sources sur le terrain indiquent que l’Iran n’a déployé aucun milicien chiite afghan ou irakien à Idleb, limitant les renforts militaires aux unités officielles de l’armée syrienne – principalement les forces spéciales de la quatrième brigade ». Idleb représente également un intérêt moins stratégique pour les Iraniens, contrairement au sud de la Syrie à la frontière avec Israël.

Match diplomatique

Simultanément aux préparatifs militaires, un sommet sur la Syrie entre Téhéran, Moscou et Ankara est prévu vendredi à Tabriz, en Iran. Le trio doit ensuite participer à une réunion de l’ONU les 11 et 12 septembre à Genève pour la future Constitution syrienne, qui doit être suivie d’une autre réunion le 14 septembre rassemblant les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite et le Royaume-Uni.

Selon l’accord de 2017, les forces turques sont chargées de la sécurité dans la province d’Idleb et disposent de douze postes d’observation autour de la zone en plus des postes russes et iraniens. La Turquie constitue un acteur-clé sur ce dossier d’Idleb d’autant plus qu’elle voit d’un mauvais œil une intervention militaire non loin de ses frontières, qui provoquerait un afflux de réfugiés vers son territoire. « Une solution militaire causerait une catastrophe non seulement pour la région d’Idleb mais aussi pour l’avenir de la Syrie », a déclaré le 24 août le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue russe.

« La grande question concernant la province d’Idleb est de savoir si Ankara, avec l’appui du secrétaire d’État (américain Mike) Pompeo, pourra gagner plus de temps pour tenir tête à Assad avant les réunions du 14 septembre », explique à L’Orient-Le Jour Nicholas Heras, chercheur au sein du programme sur la sécurité au Moyen-Orient du Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS). « La Russie veut obtenir un marché avec la Turquie dans le Nord-Ouest syrien, selon lequel les Russes garantissent à la Turquie de conserver Afrine et la zone du bouclier de l’Euphrate en échange de son acceptation du retour d’Assad dans la province d’Idleb », poursuit-il. Des forces turques sont présentes dans le Nord-Est syrien après la lancement par Ankara de l’opération « Rameau d’olivier » en janvier, faisant suite à « Bouclier de l’Euphrate », pour en chasser les troupes kurdes des Unités de protection du peuple (YPG).

« Les Turcs ne font pas non plus confiance à la Russie pour tenir Bachar el-Assad à distance s’il décidait de rompre le marché et de s’en prendre à Afrine et de soutenir les YPG pour reconquérir cette région de la Syrie », précise M. Heras. Selon lui, Ankara pourrait bénéficier dans les prochaines semaines de l’appui de Washington qui veut l’aider à combattre les groupes d’el-Qaëda à Idleb, pour ensuite garder la région « hors de portée d’Assad jusqu’à la fin du processus de Genève ». « Ce qui est en jeu au cours des prochaines semaines est la victoire du match diplomatique de la Russie en Syrie », poursuit-il.

M. Cavusoglu a souligné qu’il est « très important » que les « groupes radicaux, les terroristes, soient mis hors d’état de nuire » près de la frontière turque. En ce sens, la Turquie a publié une décision présidentielle vendredi dernier selon laquelle Ankara désigne désormais HTC comme une organisation terroriste, ce qui pourrait permettre aux Turcs d’obtenir une intervention « limitée » de Moscou et Damas à Idleb, à défaut d’une solution politique.



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