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Culture - Le grand entretien du mois

Samy Khayath : La tâche de faire rire est à prendre au sérieux

Faiseur de gestes mais surtout faiseur de mots, Samy Khayath a accompagné les grandes étapes du Liban actuel avec le rire au bout des lèvres et l’optimisme au fond des yeux. Homme de scène, humoriste et amuseur, il sème la gaieté parmi les Libanais depuis presque soixante ans et son imagination qui voyage n’a jamais tari. Il a réussi ainsi, à force de travail et d’acharnement, à fidéliser un public qui lui a toujours fait confiance. Jean qui rit, Jean qui pleure ? Qui se cache derrière ce masque ? disait Scaramouche. Seulement un homme qui a le feu sacré du théâtre, désireux de partager cette passion avec les autres.

Pour Samy Khayath, la vie est un spectacle continu. Photo D.R.

Votre amour pour le théâtre est inconditionnel et omniprésent dans votre vie puisque vous avez même pensé aller à Hollywood. Mais votre parcours n’a pas été facile, ayant toujours été votre propre pourvoyeur de fonds. Qu’est-ce qui vous a donné cette force de persévérer ?

C’est probablement mon tempérament qui a été le moteur de ma carrière. J’avais le feu sacré du théâtre. J’aimais surtout faire rire les autres et leur faire plaisir. Et ceci, je l’ai hérité de mon père qui aimait également divertir les gens. Il organisait des soirées épiques rien que pour voir les autres heureux. Ce rire occupait donc une grande place dans mon enfance, que je considère comme bénie.

Si votre père a en quelque sorte tracé votre chemin d’humoriste, vous êtes néanmoins redevable à votre école qui vous a beaucoup encouragé, voire adoubé.

Sans aucun doute. On aurait pu croire qu’une école aussi sévère que celle de Jamhour écraserait la personnalité d’un élève qui veut s’épanouir en prenant des chemins de traverse. Au contraire, les éducateurs m’ont beaucoup soutenu. Je peux dire que j’ai eu trois sortes d’écoles de vie : la ville où mon père régnait en maître absolu ; la montagne, en l’occurrence Dlebta, où ma mère organisait avec mes tantes des soirées festives, et enfin, l’institution scolaire.

Si on aligne tout ce que vous avez accompli dans votre vie, vous devez avoir plus de deux cents ans...

En effet. Je n’ai jamais fait des études d’arts scéniques. Par contre, j’ai poursuivi le cursus de droit et de sciences politiques. On me disait souvent «Tu dois être avocat car tu parles très bien. » Passionné de linguistique et de langue, j’ai même étudié cette discipline tout seul. J’étudiais donc le matin tout en travaillant à la banque, et le soir, je jouais dans l’émission Les nouveaux riches d’Yvette Sursock. J’ai même travaillé à L’Orient-Le Jour pendant un court moment. Je faisais trente heures de travail quotidiennement, tout en simultané. En somme, je suis un ogre qui veut tout dévorer.

Si vous lancez un regard vers votre passé, quelles ont été vos influences et d’où avez-vous puisé toute cette inspiration.

Comme je l’ai mentionné auparavant et je le répète, mes parents ont beaucoup contribué à mon éducation théâtrale.

Je ne me suis inspiré d’aucun comédien. Lorsque j’ai commencé à écrire mes spectacles, tout en risquant de paraître prétentieux, tout le contenu était très personnel. Je m’inspire surtout du quotidien et de toutes les expériences que je vis. Même la crèche de Saint-Vincent-de-Paul de mon enfance qui organisait des shows spectaculaires a contribué à éveiller en moi le sens de la mise en scène.

Qu’est-ce que le rire pour vous ? Est-ce une manière de cacher une sensibilité exacerbée, une angoisse profonde ou simplement une recherche de l’amour du public, des autres ? Et est-ce qu’il y a un Jean qui pleure et un Jean qui rit en vous ?

Le rire a plusieurs rôles, entre autres, celui de dissimuler une peine, une douleur ou une déception. D’ailleurs, toute créativité naît d’une souffrance quelconque. Pour ma part, si je suis un Jean à deux faces car c’est un défoulement ou même un exutoire de faire rire les gens sur leurs travers et sur tout ce qui n’est pas correct, je me sens investi du rôle de faire rire pour châtier les mœurs, toujours dans la dérision. C’est comme si je tirais à blanc sur les « méchants ». Le rire est aussi une tribune. Les écrivains s’expriment en écrivant, les peintres en peignant. Quant à moi, je m’exprime en riant. Enfin, le rire est un espace de liberté, et ceci je l’ai senti durant la guerre lorsque, malgré les bombes et l’ambiance sombre qui sévissait à l’extérieur, j’arrivais à faire rire ce public qui accourait pour assister à mes spectacles. C’était alors une joie immense.

Vous avez été le témoin d’une époque, et à travers vos spectacles, se profile une face du Liban. Est-ce que vous étiez conscient de ce témoignage que vous portiez aux Libanais ?

C’est durant la guerre que les salles où je me produisais regorgeaient le plus de spectateurs. Je voulais à la fois faire rire et témoigner de la chronique libanaise. Je n’ai jamais quitté le Liban. Lorsque la guerre était au plus fort, je m’arrêtais de travailler pour reprendre à la moindre petite accalmie. Les spectacles duraient parfois un an et je continuais à puiser mon inspiration de la situation ambiante. Je me devais d’être présent avec mes compatriotes.

Vous avez collaboré avec des personnes de différents milieux, entre autres Pierre Chamassian ou André Bikhazi. Leur rôle était provisoire alors que vous étiez l’élément permanent. Qu’est-ce qui explique cela ?

Il n’y a pas réellement une troupe Samy Khayath. Lorsque le spectacle se termine et que le rideau tombe, tout le monde rentre chez soi sauf moi, qui continue à écrire pour la fois suivante. Il y a parmi eux qui durent plus longtemps : Leyla Haddad par exemple est restée quinze ans. Ma femme Nayla, elle, est restée trente ans (rires). Je ne choisis pas des gens du théâtre pour jouer avec moi. Par exemple, André Bikhazi n’a jamais été acteur. Il l’a été seulement avec moi puis est retourné à son architecture. Pierre Chamassian n’était pas encore connu quand je l’ai choisi puis il a volé de ses propres ailes. Mes spectacles sont faits sur mesure, ils sont écrits en fonction des personnes qui vont interpréter le rôle.

Nayla, votre femme, a donc longtemps collaboré avec vous avant que vous ne l’épousiez et, après trente ans, elle a quitté la troupe...

Dans mon livre édité à l’ALBA en 2010, je raconte comment le Amid Raymond Eddé m’a demandé un jour si j’allais épouser Nayla. Il avait l’habitude de nous inviter à l’Express après chacun de mes spectacles. Au début, nous étions de simples collaborateurs et nous n’y pensions même pas, et puis un jour, ça s’est fait. Nayla a beaucoup donné pour la troupe. Elle a surtout prêté sa belle voix reconnaissable entre toutes. Mais elle est tout d’abord une technicienne de la pédagogie et elle a voulu revenir à sa première « voie » en faisant des spectacles pour enfants. Ce qui lui réussit tout autant. Nous nous sommes donc séparés « artistiquement », bien que la rumeur beyrouthine en avait décidé autrement à l’époque.

Dans votre jardin, il y a plus d’une vingtaine de chats qui viennent se nourrir et parfois dormir chez vous. À part les chiens que vous avez souvent abrités. Vous partagez cet amour pour les bêtes avec votre épouse ?

Il est vrai que j’ai hérité de cet amour pour les bêtes de mon père qui était le fondateur de la Société protectrice des animaux. Mais j’ai retrouvé en Nayla quelqu’un d’aussi investi que moi dans cette cause. Elle a toujours de la nourriture et des gamelles dans son coffre qu’elle distribue aux chats ou aux chiens sans abris.

Comment êtes-vous en coulisses ? Totalitaire ? Perfectionniste ?

Oui, je suis perfectionniste car je suis au service de mon métier qui l’exige ainsi. J’étais capable de faire quinze premières sans personne dans la salle et j’étais capable de tout recommencer à la moindre erreur. La machine devait être très bien rodée. Malheureusement, on ne fait plus de premières actuellement. Pour pouvoir durer, il faut être exigeant et sévère envers soi. Au théâtre, il y a une grande responsabilité envers le public qui achète un billet à l’aveugle, sans savoir ce que vous allez lui offrir.

Il vous est fidèle et il vous fait confiance. Je n’ai pas le droit de le décevoir.

Vos critiques ont toujours écorché les politiciens sans être à proprement dire ni vulgaires ni méchantes. C’était cela depuis le début, même avec votre bouc émissaire feu le président Rachid Karamé que vous imitiez délicieusement bien.

Oui. Ma lignée de conduite était d’être dans le politiquement correct. Même dans mes souvenirs d’université où il était permis de moquer les professeurs à la fin de l’année, je ne pouvais qu’être poli. C’est ce qui m’a attiré les félicitations du père Ducruet à l’époque.

Quel est le spectacle que vous aimez le plus et qui semble à vos yeux le plus réussi ?

Ce sont tous les spectacles que j’avais réalisés durant la guerre car je sentais que le public avait besoin de moi.

Je cite par exemple Fia mafia dont tout le monde se souvient. Mais aussi Finito, badda boum.

Dans ses films, Louis de Funès était un pitre, mais à la maison, il était sérieux. Et vous ?

Le rire et la comédie sont du sérieux. Du moins la tâche de faire rire est à prendre au sérieux. Par ailleurs, si je suis souvent drôle en privé et j’aime faire des farces comme lorsque nous étions enfants, je suis néanmoins un râleur. Je m’offusque de tout ce qui est injuste et ceci me hérisse.

Que retrouve-t-on dans votre bibliothèque ?

J’ai certes un faible pour la langue française et je n’aime pas qu’on l’écorche, mais je possède dans ma bibliothèque tout genre de dictionnaires de langues de tous les pays. J’aime mélanger les langues et leurs sons.

D’ailleurs, j’ai suivi des études de linguistique. Quant aux albums musicaux, j’en possède aussi d’innombrables, des musiques de folklore de tous les pays ou de chorales que j’ai découvertes au fil de mes voyages.

Avez-vous peur de vieillir ? Et comment faites-vous pour garder la forme en sautillant toujours sur scène ?

J’ai peur, non de l’âge, mais de cette énergie qu’on perd en vieillissant. J’ai encore trop de projets en tête et j’aimerais rester le plus longtemps en forme pour pouvoir les accomplir. Sur scène, je dissimule souvent mes maux et j’arrive même à les oublier.

Des projets ?

Un ou plusieurs spectacles à sortir de mes tiroirs, surtout pour fêter le 60e anniversaire de ma carrière. Mais aussi un roman, qui sait ?



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Je le découvre... Un artiste epanoui, perfectionniste et oh combien humain. Un vrai plaisir.

Sarkis Serge Tateossian

12 h 17, le 28 août 2018

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Commentaires (1)

  • Je le découvre... Un artiste epanoui, perfectionniste et oh combien humain. Un vrai plaisir.

    Sarkis Serge Tateossian

    12 h 17, le 28 août 2018

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