Le processus de formation du nouveau gouvernement est entré dans une nouvelle étape de tension et d’escalade, chaque partie refusant de jeter ce qu’il faut de lest pour assurer un dénouement heureux aux efforts menés par le Premier ministre désigné Saad Hariri. Dès sa nomination, ce dernier avait pourtant appelé toutes les parties à faire des concessions dans l’intérêt du pays, mais les obstacles n’ont pu être aplanis. Au contraire, ils semblent avoir plus que jamais la vie dure, d’autant que chacune des parties interprète des formules, telles que « les critères unifiés » ou « l’unité nationale », selon sa propre optique. Les forces politiques campent sur leur position, intransigeantes : les Forces libanaises (FL) restent attachées à leur « droit » à cinq portefeuilles, dont un régalien. Le Parti socialiste progressiste (PSP) réclame trois portefeuilles et refuse le principe du « ministre-roi » qui serait nommé conjointement avec le président de la République. Le Courant patriotique libre (CPL) exige 11 ministres et le duopole chiite Amal-Hezbollah réclame une révision de sa quote-part sur base des « critères unifiés ».
Dans le cadre de l’escalade en cours, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a reçu dans la banlieue sud une délégation de rebelles houthis et souligné la nécessité de normaliser les relations avec le régime Assad. Des moyens de faire pression sur le Premier ministre désigné, qui s’est vu interpeller par les Émirats arabes unis sur le sort de la politique de distanciation que Beyrouth affirme adopter. La déléguée US aux Nations unies, Nikki Haley, a estimé pour sa part que « cette réunion entre le Hezbollah et les dirigeants houthis révèle la nature de la menace terroriste régionale » et que « les affidés de l’Iran au Liban et au Yémen représentent d’importants dangers pour la paix et la stabilité au Proche-Orient tout entier ».
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Dans ce contexte, des sources qui se sont rendues récemment à Moscou affirment que les responsables russes se défendent d’intervenir dans les affaires intérieures du pays, notamment pour ce qui est du processus de formation du gouvernement. Ils incitent cependant les responsables libanais à tenir le Liban à l’écart des conflits régionaux et de leurs répercussions, dans la mesure où cela ne fait que compliquer davantage la situation. Moscou invite les Libanais à ne pas prêter l’oreille à la scène extérieure concernant le gouvernement et soutient la mise sur pied d’un cabinet d’entente nationale qui n’exclurait aucune partie et réconforterait tout le monde. Les responsables russes refusent par ailleurs de se perdre dans les dédales sectaires du pays, dans la mesure où la morphologie de la Russie ne leur permet pas cela. Ils encouragent la formation d’un gouvernement au plus vite afin que ce dernier puisse soutenir leur initiative en faveur du retour des réfugiés syriens dans leur pays.
Moscou encourage en outre Beyrouth à reprendre contact avec Damas. C’est dans ce cadre que le président de la République, Michel Aoun, aurait contacté son homologue syrien Bachar el-Assad pour s’enquérir de l’état de santé de sa femme, Asma. Cette prise de contact a eu lieu au moment où le dossier de la normalisation des relations avec la Syrie pèse dans le cadre du processus de formation du gouvernement, certaines parties allant même jusqu’à en faire un passage obligé vers la genèse du nouveau cabinet. Le camp adverse refuse cette logique en soulignant que la question des relations avec la Syrie n’a jamais été une condition sine qua non dans le processus de formation des gouvernements. En fait, ce dossier est exploité pour torpiller la formation du gouvernement. Selon le 8 Mars, le trio Saad Hariri-Walid Joumblatt-Samir Geagea l’utiliserait pour bloquer le processus de formation, en phase avec une volonté saoudienne de retarder la naissance du cabinet en attendant les résultats des développements en Syrie. De leur côté, les composantes du 8 Mars susciteraient la question pour opérer une sorte de chantage sur le Premier ministre désigné et le mettre sous pression de manière permanente afin de maximiser leurs gains.
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Il reste que, selon des sources proches du binôme chiite, il n’y aura pas de gouvernement de sitôt et qu’il est nécessaire, partant, d’intensifier les contacts avec certaines forces pour les pousser à faire des concessions. Or, rien ne montre jusqu’à présent qu’il existe une volonté d’aplanir les obstacles. Les milieux proches de la banlieue sud accusent surtout MM. Joumblatt et Geagea de semer les obstacles, d’autant que M. Hariri n’est pas disposé à former un cabinet sans leur participation et leur aval sur la formule ministérielle.
En réponse aux rumeurs selon lesquelles il aurait accepté de se contenter de quatre portefeuilles, le président des FL a répondu dans son dernier entretien télévisé par une proposition de répartition des 15 postes ministériels chrétiens, jugée comme un recours à l’escalade : 8 sièges pour le président de la République et le CPL, 5 pour les FL, 1 pour les Marada et 1 pour le parti Kataëb. Le PSP, lui, a proposé que le troisième siège druze soit choisi conjointement entre Walid Joumblatt, Saad Hariri et le président de la Chambre Nabih Berry. Une manière de confier à M. Hariri les clefs du « veto consensuel » dont disposerait alors M. Joumblatt – dans la mesure où il représenterait à lui seul toute sa communauté. Cependant, toutes ces propositions n’ont pas été prises en compte en raison de l’opposition du régime et du CPL à ce que le PSP dispose du « veto consensuel ».
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Rien ne laisse présager que le processus de formation du cabinet soit moins complexe dans les jours à venir, quand bien même Baabda évoque une nouvelle approche dans ce cadre à partir du début du mois de septembre, après les fêtes et le retour de Saad Hariri de ses vacances à l’étranger. Le palais présidentiel garde toutefois son mutisme sur cette approche, tout en assurant qu’elle est à même de sortir le processus de la crise pour assurer la naissance du gouvernement avant le départ de Michel Aoun pour New York à la tête de la délégation libanaise pour la session ordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU, à la mi-septembre.
Le Hezbollah, lui, souhaite la mise en place d’un gouvernement au plus vite, sans prendre d’initiatives cependant. Il reste également attaché à la présence de Saad Hariri à la présidence du Conseil, si bien que même dans le cas où ce dernier se désisterait, il serait disposé à le nommer de nouveau. Des sources proches du binôme chiite précisent dans ce cadre que la mission de M. Hariri n’est pas limitée par des délais constitutionnels et qu’il peut continuer à expédier les affaires courantes jusqu’au moment où un accord se dégagera entre les forces politiques pour la formation du cabinet.
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commentaires (6)
faut pas tirer la charrue avant d'y mettre les bœufs !! ce qui veut dire QUE RIEN N'EST JOUER ENCORE AU LIBAN
Bery tus
16 h 48, le 26 août 2018