Nul ne le dit encore clairement, mais le processus de formation du gouvernement est dans l’impasse. Les conditions et les contre-conditions des uns et des autres ne sont que la partie visible de l’iceberg, selon des sources politiques bien informées. Le véritable problème résiderait dans le fait que les Américains et leurs alliés arabes et régionaux n’auraient pas encore digéré la victoire du Hezbollah et de ses alliés aux élections législatives, et ils pousseraient ainsi leurs alliés libanais à gagner du temps en durcissant leurs positions. Soit ils auront ainsi le camp adverse à l’usure en le poussant au fil du temps à faire des concessions pour ne pas prendre le risque de perdre encore plus de temps et de crédibilité. Soit ce sont eux qui feront des concessions pour faire passer le gouvernement, mais, entre-temps, ils auront réussi à ternir la victoire électorale et ralentir l’élan qu’elle devait donner au mandat du président Michel Aoun. Dans tous les cas, donc, aux yeux de ce camp, le retard dans la formation du gouvernement est utile pour rééquilibrer le rapport des forces internes, perturbé par les élections législatives et par les développements régionaux en faveur de l’axe dit de la résistance.
Pour accréditer cette théorie, les sources bien informées précitées rappellent que les « nœuds » reconnus et évoqués régulièrement dans les médias ne sont pas insolubles et ne justifient pas tout ce retard dans la formation du gouvernement, d’autant que la classe politique libanaise est connue pour sa capacité à trouver des compromis improbables et que les positions politiques ne sont pas aussi rigides qu’elles le paraissent. Ce qui manquerait donc, c’est la décision de chercher des solutions parce que le moment pour cela ne serait pas encore arrivé. Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle, en trois mois, le Premier ministre désigné n’a pas encore présenté la moindre formule concrète au chef de l’État, se contentant de parler de principes généraux et de chercher une entente sur les parts de chaque partie au sein du gouvernement, sans entrer dans les détails des portefeuilles et des noms.
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Face à cette inertie qui commence à peser sur les Libanais et sur leurs problèmes quotidiens, le chef de l’État tente de faire bouger les choses en laissant entendre, à travers ses visiteurs, qu’au début de septembre, il compte intervenir directement dans le processus de formation du gouvernement si, d’ici là, le Premier ministre désigné ne s’est pas manifesté avec une formule concrète. Les spécialistes constitutionnels affirment que le chef de l’État ne dispose pas de véritables moyens pour pousser le Premier ministre à former le gouvernement, et une des faiblesses de l’accord de Taëf est justement de ne pas fixer de délai pour cette formation. Mais le président peut exercer des pressions politiques et populaires sur le Premier ministre désigné, et, surtout, il peut s’adresser aux Libanais pour leur expliquer les véritables causes du retard dans la formation du gouvernement. Le chef de l’État pourra se résoudre à recourir à ce moyen s’il a le sentiment qu’aucun effort sérieux n’est déployé et que « l’inertie » du Premier ministre (en dépit de quelques réunions avec les différentes parties) est le fruit d’une décision consciente et réfléchie dans le but de paralyser son mandat et de l’empêcher d’aller de l’avant. Selon les visiteurs de Baabda, ce moment n’est pas encore arrivé, mais il se rapproche, car le président estime avoir attendu et fait attendre les Libanais pendant déjà trop longtemps pour pouvoir concrétiser sa vision du Liban fort et souverain – il a renoncé à Doha en mai 2008 à la présidence à la demande entre autres du président français de l’époque Nicolas Sarkozy et il a attendu de mai 2014 à octobre 2016 pour être élu. Il ne veut donc pas que du temps soit encore perdu inutilement. D’autant qu’au final, il y aura un gouvernement, qui reflétera les nouveaux équilibres politiques issus des élections législatives, puisque toutes les parties s’étaient entendues sur ce point au moment d’organiser le scrutin. D’ailleurs, les fameux nœuds ne portent que sur deux ou trois portefeuilles, ce qui ne justifie pas tout ce retard et confirme l’hypothèse selon laquelle l’objectif caché est justement de priver le chef de l’État de l’élan positif provoqué par les élections législatives.
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Les sources politiques précitées considèrent ainsi que ce qui compte aujourd’hui, c’est de pousser le Premier ministre à agir. Selon ces sources, il est temps pour lui de présenter une formule concrète sur sa vision de la composition de son gouvernement. Toujours selon les mêmes sources, le chef de l’État pourrait très bien à ce moment-là, sauf s’il y a vraiment des choix choquants, lui faciliter la tâche et accepter la formule. Il signerait ainsi le décret, et le gouvernement serait annoncé. Celui-ci élaborerait sa déclaration ministérielle, en restant dans les généralités et en utilisant des formules subtiles, puis il irait devant le Parlement pour le vote (à la majorité simple) de confiance. Si le gouvernement ainsi formé ne plaît pas à la majorité parlementaire, celle-ci ne lui donnera pas sa confiance et le président devra alors organiser de nouvelles consultations parlementaires pour la désignation d’un nouveau Premier ministre. Ce scénario pourrait permettre à toutes les parties de sortir de l’impasse actuelle. De plus, ces dispositions sont prévues dans la Constitution et respectent les normes démocratiques, même si ce scénario ne s’est encore jamais déroulé au Liban. Toutefois, bon nombre de parties politiques estiment qu’il vaut mieux que la stagnation actuelle.
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commentaires (13)
Je pense que Mr. Aoun ne peut rien faire sans la Syrie , l'Iran et le Hezbollah , où nous sommes arrivés .
Eleni Caridopoulou
19 h 25, le 25 août 2018