Le New York Times rapportait il y a quelques jours une réflexion particulièrement forte de l’ancien président américain Thomas Jefferson qui soulignait, dans une correspondance privée, que s’il aurait un jour à choisir « entre avoir un gouvernement sans presse ou une presse sans gouvernement, je n’hésiterai pas un instant à favoriser la seconde option ».
C’était en… 1787, année de la naissance de la Constitution américaine. Jefferson faisait allusion, à l’évidence, à la nécessaire présence d’une presse libre. En extrapolant à notre époque contemporaine, nous pouvons supposer sans trop de risques de nous tromper qu’il aurait parlé, à n’en point douter, de « liberté d’expression » dans les médias. De quoi faire réfléchir plus d’un responsable politique. Surtout au pays du Cèdre…
Les longues et pénibles épreuves que le Liban a connues au cours des dernières décennies ont démontré à quel point les Libanais, toutes tendances confondues, restent fermement attachés, contre vents et marées, aux libertés publiques, et plus spécifiquement à la liberté d’expression – sauf certains responsables jaloux de leur pouvoir. Dans les jours les plus sombres de l’occupation syrienne, un observateur étranger relevait, fort à propos, que le régime Assad ne parvenait pas à modifier en profondeur l’essence du système libanais, notamment en matière de libertés, malgré l’omnipotence de ses services de renseignements et en dépit de tous les moyens de coercition auxquels il n’hésitait pas à recourir. Au tout début de la guerre libanaise, et à la faveur de la première phase de « pacification », en 1977, il avait imposé une censure directe préalable sur les journaux. Cette tentative de « baassisation » devait durer ce que durent les roses. Nul ne peut changer aussi facilement l’ADN d’un peuple…
« Nous n’avons pas compris le Liban », soulignait en toute humilité Mahmoud Darwiche. Est-il possible que cela s’applique encore de nos jours à certains responsables, libanais de surcroît ? La question se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité que nombre de nos leaders et dirigeants ont, semble-t-il, les nerfs à fleur de peau et ne supportent pas la moindre critique. Au point d’aller jusqu’à susciter la déviation de l’action de plus d’un service sécuritaire. Ou de manipuler un nouveau venu dans le domaine. Les Libanais en font l’expérience depuis quelque temps avec le Bureau de lutte contre la cybercriminalité. Celle-ci, convient-il de relever en passant, concerne par définition le piratage, l’incitation au terrorisme, la diffusion de virus, le vol de logiciels ou de contenus audiovisuels (et autres) en ligne, la publication de propos racistes…
Ce à quoi nous assistons à cet égard est la transformation du Bureau de lutte contre la cybercriminalité en Bureau de lutte contre… les délits d’opinion. Cela a un nom : l’abus de pouvoir, censé être puni par la loi. Une telle déviation est d’autant plus dangereuse qu’elle ne porte que sur les délits d’opinion concernant une frange bien précise de nos leaders et dirigeants. On n’a pas vu l’instance en question faire preuve de zèle face aux cascades d’insultes et de propos diffamatoires visant, à titre d’exemple, des personnalités indépendantes, ou aussi Walid Joumblatt, Samir Geagea ou Samy Gemayel, sans compter les attaques répétées contre de hauts responsables étrangers.
Ceux qui s’emploient à manipuler de la sorte des structures étatiques dans le seul but de consolider leur pouvoir en essayant de se mettre à l’abri des critiques apportent la preuve qu’ils « n’ont pas compris le Liban ». Qu’ils n’ont pas compris l’ADN libanais. Ils ne sont pas plus forts que ne l’étaient les services syriens. Vouloir mater, en ayant recours à toutes sortes d’intimidation, les réseaux sociaux est une opération stérile qui ne peut que se heurter, par un inévitable effet boomerang, à ce qui fait la spécificité du Liban dans cette partie du monde. Il suffit pour s’en convaincre de survoler l’histoire du Liban ou tout simplement de lire les éditoriaux de la presse et les écrits des penseurs de notre époque contemporaine.
Certaines personnes, notamment nombre de hauts responsables, ont malencontreusement la mémoire un peu trop courte et ont de ce fait la fâcheuse tendance à ne pas tirer les leçons du passé. En matière de liberté d’expression, le Libanais est indomptable. Alors Messieurs, la meilleure façon de préserver votre pouvoir est paradoxalement de sauvegarder cette liberté d’expression. Car de la critique jaillit souvent la lumière…
commentaires (5)
On n'a pas connu de nos jours un organe de presse muselé ou contraint de fermer ses portes pour avoir attaqué une personnalité politique .Parce que la liberté d'expression et celle de critiquer sont respectées ( le Liban étant un modèle dans toute la région) . La preuve tangible et la plus concrète sont les éditoriaux libanais intarissables de critiques adressées à Michel Aoun et à tous ceux qui l'entourent . Compter le nombre de fois où le mot "gendre "est cité ,comme pour faire allusion au soi-disant népotisme ,est incalculable et pourtant , ces journaux paraissent tous les matins avant le chant du coq .Néanmoins , dans les cas des diffamations ou autres propos calomnieux visant à porter atteinte à la réputation des personnes de tous bords , la loi y est rapido appliquée à l'instar de la quasi totalité des pays civilisés du monde . Simple comme bonjour .
Hitti arlette
15 h 56, le 21 août 2018