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Liban - Focus

Campji, le média des camps de réfugiés au Liban

La salle de rédaction du média, où les journalistes travaillent souvent par groupes de deux. Photo Clément Di Roma

Depuis 2016, de jeunes journalistes citoyens, palestiniens et syriens, publient des reportages vidéo sur le quotidien de leur communauté dans les camps, à travers le média Campji, qui gagne en popularité.  « L’objectif était de donner une voix aux réfugiés, à l’intérieur même des communautés. » Les idées de sujets à traiter dans les camps fusent et provoquent des débats et réflexions dans les bureaux de Campji à Beyrouth, au-dessus du théâtre Tournesol, avec vue sur le rond-point de Tayyouné. Les journalistes ont entre 20 et 30 ans et terminent la conférence de rédaction hebdomadaire du média. Lara Abou Saifan, leur manager, organise la réunion et note minutieusement chaque idée dans son emploi du temps. Lorsqu’il est question de réaliser une vidéo sur la commémoration du massacre de Tell Zaatar, un camp de réfugiés palestiniens détruit pendant la guerre civile, Lara clôture « Yalla, vendu ! » avant de passer au sujet suivant.

En 2016, Campji était lancé à l’initiative de la Deutsche Welle Akademie, une organisation de la chaîne internationale allemande DW, qui finance le projet. Pendant un an, les journalistes citoyens ont été entraînés sur le terrain à diverses techniques de reportage, vidéo et photo. Ils sont maintenant 7 dans l’équipe, dont plusieurs correspondants depuis les camps syriens de la Békaa. « Ils travaillent aussi en dehors de Beyrouth, on les laisse explorer ce qu’ils veulent », affirme leur manager. Aujourd’hui, ils travaillent en autonomie et produisent des vidéos informatives et humoristiques autour des sujets quotidiens des camps : portraits, comédies, satires, investigations… Ils sont rémunérés pour produire un contenu similaire à celui d’une chaîne locale, uniquement en arabe, pour leurs 25 000 abonnés sur Facebook.


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Montrer un quotidien ignoré
Quand on lui demande pourquoi il a voulu participer à Campji, Ahmad Mansour, un Palestinien vivant à Chatila, raconte que « l’occupation n’a montré qu’une seule face du conflit à Gaza dans les médias. Je veux apprendre à filmer et à photographier pour dépasser les sujets exploités par les médias internationaux et les stéréotypes des camps. Il faut montrer le quotidien des réfugiés et leur parler directement ». À côté de lui, Rayan Succar, une Palestinienne vivant aussi à Chatila, voulait s’orienter vers des études de dentiste, mais celles-ci étaient trop onéreuses pour elle. « Je suis curieuse et je ne veux pas m’asseoir dans un bureau toute la journée », explique la jeune femme. Son père cultivait le rêve de devenir journaliste et elle a grandi avec son appareil photo. Elle ajoute qu’à Chatila, « je me sens à la maison en travaillant avec mes amis, ma famille ».

« On veut montrer que le camp est magnifique », raconte l’équipe en imitant ironiquement les pleurs. « Il ne faut pas seulement transmettre la misère, mais montrer que ce sont des gens normaux qui vivent dans ces camps, qu’ils sont pleins de vie, beaux et drôles », poursuit Rayan.
À l’autre bout de la salle, Samih Mahmoud explique qu’il détestait les médias avant Campji : « Ils sont parfois trompeurs, et je suis devenu journaliste pour changer cela, pour ne pas me mentir à moi-même et servir ma cause », affirme ce Palestinien venu d’un camp de réfugiés en Syrie il y a plusieurs années.


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« Les gens nous font confiance »
Les 25 000 abonnés du média sur Facebook montrent un engouement certain et participent aux commentaires, suggèrent des idées et interagissent avec l’équipe. Pour Omar Ahmad, le rapport avec les autres réfugiés et habitants des camps est primordial à la réussite de Campji. « Dans la rue, les gens viennent et nous proposent des sujets. Ils sont heureux qu’un média diffuse leur voix et les représente dans leur quotidien », s’enthousiasme le Palestinien arrivé il y a 5 ans au Liban. Lara Abou Saifan vante les vidéos satiriques, régulièrement publiées par Campji. « Les gens adorent quand ils se moquent des actualités, des personnalités politiques ou des gouvernements », affirme-t-elle, en expliquant que les jeunes diversifient les formats au maximum pour s’adapter à une audience du même âge. Les relations de proximité avec leurs spectateurs sont parfois compliquées. « Dans la Békaa, certains, une minorité, ne veulent pas nous voir, ils pensent qu’on s’impose trop », observe Alaëddine Jassem, un trentenaire syrien originaire d’Alep, correspondant dans les camps de réfugiés dans la vallée libanaise. Sa femme accouchait en Syrie le jour de la réunion de rédaction, un lundi.

Campji développe aussi des segments explicatifs sur les sujets brûlants des camps, comme l’éducation ou encore l’usage des armes à feu. En plus de se considérer comme journalistes citoyens, le membres de l’équipe de ce nouveau média n’hésitent pas à se qualifier d’activistes. « Nous sommes indépendants, donc les gens nous font confiance », justifient-ils. La crédibilité de ce média traverse même les frontières : « En Europe, au Liban, en Jordanie, à Gaza, en Algérie… Pendant les directs sur Facebook, on reçoit des messages avec l’origine des spectateurs. »
Une notoriété internationale qui pourrait bien refléter l’avenir de ce média. L’équipe de Campji discutait de la création d’une antenne dans la bande de Gaza : « De nombreux spectateurs nous le demandent, alors pourquoi pas ? » Pour ces jeunes Palestiniens et Syriens, leur avenir en tant que journalistes est incertain, mais ils auront acquis des compétences utiles pour trouver un emploi dans l’audiovisuel. Selon Lara, « ils ont assez d’expérience maintenant et cela va les aider à trouver du travail ensuite ».



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