Si les États-Unis misaient, en rétablissant les sanctions contre l’Iran, sur une aggravation immédiate de la situation économique et des protestations de masse antigouvernementales, ils seront peut-être déçus, même si le plus dur pourrait encore venir, estiment des analystes hier. Le président américain Donald Trump a décrit les sanctions rétablies mardi comme « les plus dures jamais imposées », une affirmation en réalité exagérée puisqu’elles existaient déjà avant la signature de l’accord nucléaire de 2015 dont il s’est retiré unilatéralement en mai. Son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, a affirmé que les dirigeants iraniens étaient déjà « sur un terrain glissant » après des manifestations la semaine dernière dans plusieurs villes d’Iran.
Mais si les Iraniens sont désespérés par les difficultés économiques – chômage, inflation, manque d’eau, corruption – et craignent pour l’avenir, ils ne sont pas descendus dans la rue le jour du retour des sanctions, selon les échanges sur les réseaux sociaux. L’importante mobilisation des forces de sécurité et la coupure du réseau internet mobile y étaient certainement pour quelque chose. Et la situation hors de Téhéran reste difficile à évaluer en raison des lourdes restrictions imposées aux médias. Pour des analystes, il est improbable que le marasme économique mène à une révolte en Iran.
« Les observateurs occidentaux sont souvent prompts à conclure, à tort, que des manifestations ponctuelles sont des signes clairs du rejet total de la République islamique, estime Henry Rome, chercheur à l’Eurasia Group à Washington. Malgré la multiplication des manifestations (des dernières semaines), le régime n’est pas encore confronté à une menace existentielle. Les forces de sécurité sont brutales, efficaces et loyales. »
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Trouver des solutions
D’ailleurs, le début de semaine a été marqué par une bonne nouvelle : après l’annonce de nouvelles mesures du gouvernement encadrant le taux de change, la monnaie nationale, le rial, a repris 20 % de sa valeur après une chute vertigineuse depuis avril. De plus, le vice-gouverneur de la Banque centrale a été arrêté ainsi que d’autres responsables accusés de corruption et de spéculation. Cela montre que les problèmes de l’Iran sont dus non seulement à l’hostilité américaine ou à la rhétorique agressive de Donald Trump, mais également aux dynamiques internes.
C’était la décision des autorités d’imposer un taux de change fixe et de fermer les bureaux de change qui avait provoqué l’explosion du marché noir, avant qu’elles ne fassent marche arrière. « Le gouvernement a tardé à agir, mais c’est la bonne décision », estime Mohammad Reza Najafi Manesh, chef de la commission des affaires de la Chambre de commerce de Téhéran, pour qui les sanctions sont secondaires à comparer avec les problèmes internes.
« Ce n’est pas la première fois que nous faisons face à des sanctions. Nous savons comment trouver des solutions et nous ferons de notre mieux pour répondre aux besoins (des Iraniens) localement », a-t-il dit. Les sanctions ont bien sûr eu des répercussions. De grandes entreprises européennes comme Total, Siemens et Peugeot se sont retirées d’Iran avant même que leurs investissements ne portent leurs fruits.
(Lire aussi : Le pari risqué de l’UE face aux sanctions US contre l’Iran)
Soutien oriental
En novembre, une nouvelle série de sanctions entrera en vigueur et ciblera le secteur pétrolier, vital pour l’Iran, ainsi que les transactions financières et le transport. « Tout va se jouer en novembre : une grande partie des revenus pétroliers s’évaporeront et les banques iraniennes se retrouveront probablement à l’écart du système bancaire international », analyse Henry Rome. Nombreux sont ceux qui mettent en doute la capacité de Hassan Rohani à répondre efficacement aux sanctions, après avoir échoué à résoudre les problèmes du chômage, de la corruption et d’un secteur bancaire sclérosé. Le Parlement l’a d’ailleurs convoqué pour qu’il s’explique, et a retiré sa confiance au ministre du Travail, obligeant le président à le limoger.
« Les ministres en charge de l’économie constituent la faiblesse du gouvernement Rohani. Tout le monde le sait, mais il ne les a jamais remplacés car ce sont ses alliés », explique Mohammad Reza Behzadian, ex-responsable de la Chambre de commerce de Téhéran. Si les efforts de l’Europe pour résister aux sanctions américaines ont polarisé l’attention, les décisions les plus cruciales pourraient être prises ailleurs. Selon des chiffres recueillis par l’économiste Faezeh Foroutan et publiés par l’analyste James Dorsey, plus de 25,6 % des importations iraniennes viennent de Chine alors que les exportations vers ce pays représentent 19,7 % depuis mars, soit plus que la totalité des échanges avec l’Europe. Et la Chine, l’Inde et la Turquie ont déjà annoncé qu’elles ne comptaient pas réduire de manière significative leurs importations de pétrole iranien. L’Iran espère que « le manque de confiance » de nombreux pays à l’égard de Donald Trump aidera à surmonter les effets des sanctions.Pour le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif, « avant, personne ne soutenait l’Iran. Maintenant, tous les pays du monde (le) soutiennent. L’Amérique a constamment zigzagué, personne ne peut lui faire confiance aujourd’hui ».
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commentaires (2)
Lorsque la BCI sera aussi dans la liste, plus personne n'y pourra rien.
Pierre Hadjigeorgiou
11 h 18, le 09 août 2018