« Quiconque fera des affaires avec l’Iran n’en fera plus avec les États-Unis », a averti hier le président américain Donald Trump via son réseau social favori, Twitter, après que Washington eut réimposé lundi les sanctions économiques contre Téhéran. Les manœuvres aussitôt prises par l’Union européenne pour tenter de contrer ces sanctions pourraient donc entraîner des tensions diplomatiques et politiques entre l’UE et les États-Unis.Quatre-vingt-dix jours après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien (ou JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action), le 8 mai dernier, les sanctions « les plus cinglantes jamais imposées », promises par Donald Trump, ont pris effet hier à 00h01, heure de Washington. Elles ont pour principal objectif l’effondrement de l’économie iranienne, déjà mal en point, pour forcer la République islamique à revenir à la table des négociations et conclure un nouvel accord plus approfondi qui inclurait, cette fois, la question de l’enrichissement d’uranium et du programme des missiles balistiques iraniens. Le président iranien Hassan Rohani, dans une interview retransmise lundi soir à la télévision, a dénoncé une « guerre psychologique » menée par les Américains.
Pour tenter de contrecarrer l’effet extraterritorial des sanctions américaines, la Commission européenne a décidé lundi la mise en place de la loi dite « de blocage ». Son adoption avait été décidée à la suite d’un sommet organisé le 17 mai dernier dans la capitale bulgare, Sofia, réunissant les dirigeants des 28 pays de l’UE. « Nous devons maintenant agir », avait alors souligné Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, lors de cette réunion où il a reçu le soutien « unanime » des représentants de l’UE présents ce jour-là. Entrée en vigueur hier, cette loi doit permettre de protéger les entreprises européennes présentes en Iran, ou voulant investir sur place, des mesures économiques punitives américaines. Ce dispositif empêche également toute entreprise basée au sein de l’UE de se conformer à des sanctions venues de l’étranger. Elle représente donc l’un des plus sérieux challenges lancés par l’Europe à l’administration Trump.
Les pays du Vieux Continent signataires du JCPOA luttent bec et ongles pour sa préservation et considèrent qu’il est le meilleur moyen d’empêcher que la République islamique ne se procure l’arme nucléaire. Mais malgré la détermination européenne, la loi de blocage pourrait ne pas avoir le succès escompté. Certaines entreprises européennes, en particulier françaises, ont en effet déjà préparé leurs valises en vue de quitter le territoire iranien. Le géant pétrolier et gazier Total, les constructeurs automobiles PSA et Daimler (allemand) ou encore l’armateur de porte-conteneurs français CMA-CGM ont annoncé leur intention de ne plus faire d’affaires en Iran par crainte de subir de trop lourdes pertes à cause des sanctions américaines.
(Lire aussi : Une lecture iranienne des sanctions américaines et de leurs conséquences, le décryptage de Scarlett Haddad)
Une relation fragile
Réaliser des emprunts à la Banque européenne d’investissement (BEI) et transférer des fonds directement à la Banque centrale iranienne (BCI) pour éviter les pénalités américaines, voilà la stratégie européenne. Mais elle pourrait se révéler inefficace en raison, non pas de la première vague de sanctions américaines tombée hier, mais de la seconde, prévue pour le 4 novembre, qui visera notamment le pétrole et le gaz iraniens mais également la BCI. Cela laisserait donc peu de marges de manœuvre aux Européens pour assurer la sécurité économique de leurs entreprises en Iran. « Les moyens sont là (…) mais il ne faut pas se voiler la face : les moyens sont limités », avait déjà prévenu lundi M. Juncker. C’est dire si les mesures européennes peuvent réellement aboutir à un résultat, malgré toute la bonne volonté dont le Vieux Continent semble faire preuve. Par ailleurs, la loi de « blocage » n’a jamais été mise en œuvre. Son utilisation semblerait donc, aujourd’hui, et compte tenu des nombreuses difficultés auxquelles fait face l’UE, relever davantage du « test » que de la mesure concrète et sûre fournissant des garanties aux entreprises européennes installées en Iran et s’exposant aux sanctions américaines.
Parallèlement à cela, la mise en place de la loi de « blocage » pourrait avoir des conséquences très lourdes sur les relations politiques et diplomatiques entre les États-Unis et l’Europe. Ces derniers mois, les deux parties ont connu des périodes de fortes tensions, notamment en raison des mesures d’ultraprotectionnisme économique décrétées par Donald Trump, fervent défenseur de l’« America first », en particulier à travers des taxes sur l’acier et l’aluminium dans la plupart des pays du monde. La tension pouvait d’ailleurs se lire sur les visages des chefs d’État du G7, réunis en juin dernier au Canada pour discuter notamment de la Russie, du climat et de l’Iran. Un mois plus tard, lors du sommet de l’OTAN, organisé les 11 et 12 juillet à Bruxelles, les principaux acteurs se sont entendus pour travailler ensemble, semblant dissiper les tensions aperçues au G7. Le président américain y a eu un entretien avec son homologue français, Emmanuel Macron, au cours duquel il a insisté sur le fait qu’il « n’y a pas de rupture » entre les différents alliés et lui a rappelé son « attachement personnel » au Vieux Continent. Le locataire de la Maison-Blanche a également insisté sur la permanence du lien entre les deux entités. Les relations américano-européennes ont enfin retrouvé une certaine forme lors de la visite à Washington du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 25 juillet dernier. Mais si le sentiment de guerre commerciale américano-européenne semblait se dissiper quelque peu, l’épisode de la réimposition des sanctions américaines contre l’Iran et des mesures prises par les Européens pour les contrer pourrait changer la donne. Il faudra donc attendre les prochains mois pour vérifier si la stratégie européenne fonctionne et si l’Europe se retrouvera sous le coup de difficultés économiques en raison de son opposition à la politique américaine.
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commentaires (4)
L’Europe ne possède pas des portes avions, elle reste un nain qui a besoin du grand frère. Elle se révolte comme un ado mais fini par obéir.
DAMMOUS Hanna
11 h 08, le 08 août 2018