En gelant les relations avec le Canada, l’Arabie saoudite fait montre d’une politique étrangère à poigne visant à faire taire les critiques extérieures au moment où elle s’engage dans des réformes à haut risque, estiment des analystes.
Riyad a annoncé lundi l’expulsion sous 24 heures de l’ambassadeur canadien, le rappel de son propre représentant au Canada et le gel des relations commerciales bilatérales. La compagnie nationale Saudia a de son côté annoncé la suspension des vols à destination et en provenance de Toronto, la plus grande métropole canadienne. La décision faisait suite à un tweet de l’ambassade du Canada se disant « gravement préoccupée » par de nouvelles arrestations de militants des droits de l’homme. Riyad a notamment jugé « inacceptable » que le Canada réclame la « libération immédiate » des militants.
« Il s’agit clairement d’une tentative d’intimider les pays (étrangers) pour qu’ils atténuent leurs critiques à l’égard de l’Arabie saoudite », a estimé, dans une déclaration à l’AFP, James Dorsey, de la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour. « La question est : ces pays vont-ils se laisser intimider, vont-ils tomber à genoux ? »
En dépit de ces mesures et du risque de perdre un marché de 15 milliards de dollars pour la vente à Riyad de véhicules blindés, le Canada a réaffirmé lundi sa détermination à « défendre les droits humains » dans le monde. Une dizaine de militantes des droits des femmes ont été arrêtées il y a quelques semaines et accusées de porter atteinte à la sécurité nationale et de collaborer avec les ennemis de l’État.
« Après avoir étouffé les critiques à l’intérieur par des avertissements et des arrestations, (l’Arabie saoudite) cherche à utiliser le levier économique et des actions diplomatiques pour discipliner également les critiques à l’étranger », a tweeté Kristin Diwan, de l’Arab Gulf States Institute à Washington. En mars 2015, l’Arabie saoudite a rappelé son ambassadeur de Stockholm à la suite des critiques suédoises au sujet du bilan de Riyad en matière de droits de l’homme.
Le Liban, « un pion »
Plus tôt cette année, Bloomberg News a rapporté que Riyad avait réduit ses relations avec des sociétés allemandes à la suite d’une querelle diplomatique avec Berlin. La décision semblait répondre à des propos du ministre allemand des Affaires étrangères qui avait affirmé en novembre que le Liban était un « pion » de l’Arabie saoudite, après la démission surprise de son Premier ministre Saad Hariri annoncée au cours d’une visite à Riyad.
« L’Arabie saoudite a historiquement eu une diplomatie réservée », explique à l’AFP Khalil Harb, expert en affaires du Golfe. Mais l’attitude « agressive et téméraire » envers le Canada illustre une nouvelle politique menée par le jeune prince héritier, Mohammad ben Salmane, a ajouté M. Harb. Le royaume « refuse toute ingérence dans ses affaires intérieures et traitera toute ingérence de façon déterminée », a ainsi réaffirmé lundi le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir.
« Hypernationalisme »
Des partisans de cette politique saoudienne ont cependant été très loin sur les réseaux sociaux : un compte Twitter progouvernemental a fait scandale en publiant – avant son retrait rapide – un photomontage rappelant les attentats du 11-Septembre, avec un avion fonçant vers un gratte-ciel de Toronto. Le ministère des Médias a ouvert une enquête, et la porte-parole de l’ambassade d’Arabie saoudite à Washington, Fatimah Baeshen, s’est dit « horrifiée » par cette image « totalement inacceptable », qui s’est rapidement répandue sur les réseaux sociaux.
La crise avec le Canada est un exemple de « l’hypernationalisme saoudien croissant qui consiste à défendre vigoureusement la souveraineté par des mesures punitives envers les pays » qui osent critiquer Riyad, souligne M. Diwan.
Mais les partisans du prince héritier affirment qu’il cherche à éviter les complications susceptibles de faire dérailler son plan de réformes sociales et économiques, qui suscite des réticences chez de nombreux ultraconservateurs. Le jeune prince héritier (32 ans) a introduit une série de réformes – dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans – telles que la levée de l’interdiction faite aux femmes de conduire. Le prince « veut un changement, mais ne veut pas être guidé par d’autres pays ni avoir un changement rapide qui pourrait déclencher un conflit à l’intérieur du royaume », a déclaré à l’AFP Najah al-Otaibi, une analyste de l’Arabia Foundation, proche de Riyad.
Source : AFP
Moyen Orient et Monde - Éclairage
L’Arabie saoudite fait montre d’une politique étrangère à poigne
Riyad cherche à faire taire les critiques internationales.
OLJ / le 08 août 2018 à 00h00
commentaires (1)
pays pourris avec gouvernement pourris
Talaat Dominique
19 h 19, le 08 août 2018