Ceux qui s’obstinent à vouloir entraîner le pays sur cette voie balaient du revers de la main les arguments d’ordre moral, ou plutôt simplement humain, avancés par les parties qui refusent de réhabiliter le régime Assad. Les partisans de la realpolitik syrienne font ainsi l’impasse sur tous les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés au cours des sept dernières années en Syrie, notamment par le pouvoir en place. Pour eux, peu importe l’utilisation à plusieurs reprises de l’arme chimique contre la population civile ; peu importent le demi-million de tués, les milliers de détenus morts sous la torture en prison, les 82 000 personnes enlevées et disparues depuis le début du conflit (selon Amnesty International) ; peu importe la mise en place d’une vaste opération de tri démographique pratiquée à grande échelle; peu importe que près de la moitié de la population syrienne soit réfugiée en dehors du pays ou forcée à l’exode à l’intérieur de la Syrie…
Pour les défenseurs du régime Assad, la guerre, c’est la guerre ; elle ne saurait s’encombrer de considérations d’ordre moral, et dans tout conflit armé, les pertes au sein de la population civile sont inévitables. Certes… Sauf qu’il y a une différence fondamentale entre les dommages collatéraux et les pertes civiles subies inévitablement au cours d’opérations militaires, d’une part, et la mise en œuvre d’une politique systématique et cyniquement planifiée visant à s’en prendre par tous les moyens possibles à des factions bien précises de la population, d’autre part.
C’est précisément au niveau de ce dernier point que se situe la gravité d’une réhabilitation à l’aveuglette du tyran de Damas. Car, même si l’on s’obstine à inscrire les crimes contre l’humanité du régime syrien au registre des inévitables dommages collatéraux, une réalité amère ne saurait être occultée : la persistance d’un conflit chronique, d’un climat de haine, entre une faction de la société syrienne et d’autres composantes de son tissu social. Le conflit en Syrie est loin d’être clos. Les multiples interférences étrangères aidant, et sous l’effet des très probables volontés extérieures de maintenir un état de déstabilisation permanente sur la scène syrienne, les racines du mal et les foyers d’hostilités persistent. Trop de sang a coulé, trop de haines ont été provoquées pour que l’on puisse considérer que la page peut être tournée aussi facilement.
Dans un tel contexte explosif, et tant qu’une solution politique radicale n’aura pas été trouvée, la Syrie restera profondément divisée en deux camps antagonistes (exception faite, à l’évidence, des jihadistes). Les dissensions risquent d’être sans doute alimentées par plus d’une puissance étrangère. Face à une telle conjoncture, quel intérêt aurait le Liban à prendre parti pour une faction contre une autre ? Surtout que le clivage vertical qui s’est ancré en Syrie a provoqué parallèlement au Liban des répliques semblables d’ordre communautaire. À cela s’ajoute que la légitimité de Bachar el-Assad est sérieusement remise en question. Elle ne pourrait être rétablie, le cas échéant – si l’on accepte de faire abstraction des crimes contre l’humanité –, qu’après des élections organisées sous étroite surveillance internationale, sur base d’un projet de nouvelle Constitution avalisée au préalable par les représentants des deux camps en présence, sous l’égide des grandes puissances (exception faite, encore une fois, des organisations terroristes).
Tant que l’ensemble de ces conditions n’auront pas été satisfaites, les initiatives unilatérales prises pour forcer le Liban à réhabiliter le régime Assad et à prendre parti pour une composante syrienne contre l’autre – et par le fait même pour une puissance régionale contre une autre – reviennent à rallumer des foyers de tensions sur la scène locale. Plus que jamais, la politique de neutralité du pays du Cèdre à l’égard du clivage vertical syrien, reflet lui-même d’un conflit régional plus large, s’impose aujourd’hui avec acuité.
Le petit jeu malsain qui consiste à afficher innocemment une volonté de rétablir les ponts avec le régime syrien « pour défendre les intérêts économiques des Libanais » ne trompe personne. Son objectif évident est d’ancrer le Liban à un axe régional contre un autre. Une telle voie ne peut mener qu’à une nouvelle et grave discorde interne, avec toutes les multiples conséquences que l’on pourrait imaginer.
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Ce n'est pas le Nicaragua qui a assassiné le mufti Hassan Khaled, René Mouaoud, Kamal Joumblatt, Samir Qassir, Rafic Hariri, Gébran Tuéni, Walid Eidou, Antoine Ghanem, Wissam Hassan, Béchir Gemayel etc.
Un Libanais
17 h 06, le 07 août 2018