C’est un petit village d’apparence paisible qui se matérialise au détour d’une route, à la périphérie de Tyr. Comme sorties de terre, les maisonnettes colorées s’alignent le long d’un chemin dallé et entouré d’une végétation luxuriante, visiblement entretenue avec grand soin. À l’entrée, une pierre sur laquelle est gravé le nom de ce village flambant neuf : les Ateliers de Tyr. Le lieu a été imaginé et créé sous la supervision de Maha el-Khalil Chalabi, grande bienfaitrice libanaise, présidente de l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr et ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco. Le but : faire renaître le patrimoine culturel et historique phénicien « dans un esprit moderne », explique-t-elle en faisant le tour de la propriété.
Situés au cœur d’une orangeraie, les Ateliers, inspirés de l’architecture phénicienne, occupent plus de 1 500 mètres carrés. Ils ont été inaugurés en septembre 2017 et visent dans le long terme à devenir un grand centre de formation aux métiers ancestraux de l’artisanat phénicien, pour les femmes venant de milieux défavorisés et les personnes à mobilité réduite. Une dizaine de personnes par atelier seront recrutées par concours une fois les Ateliers fin prêts, puis seront sélectionnées au terme des trois premiers mois, pour finalement créer une centaine d’emplois. Les meilleurs pourront choisir de rester aux Ateliers ou, moyennant un prêt, travailler à leur compte : dans le verre soufflé, la joaillerie, la céramique, la sérigraphie, l’agro-alimentaire ou la production de pourpre… « Il faut susciter une prise de conscience libanaise et internationale », estime Mme Khalil Chalabi. Passionnée depuis son enfance par l’héritage de sa ville natale, Tyr, et les dangers qui l’ont menacé et le menacent toujours, elle raconte vouloir retrouver la splendeur du « Paris du Moyen-Orient » d’antan. Dans ce but, elle visite ses terres deux fois par semaine, surveillant attentivement l’avancée des derniers travaux (notamment l’installation d’ascenseurs accessibles) et la finalisation des derniers ateliers.
« Résurrection » du savoir-faire phénicien
En flânant le long des bâtiments, à l’ombre des quelques arbres fruitiers que la fondatrice a pris soin de sauvegarder lors de la construction, on aperçoit des tables où sont soigneusement agencées les dernières créations des ateliers : des carafes en verre, des vases, des vide-poches de couleurs chatoyantes ou au contraire translucides et étincelants. « Les Phéniciens ont introduit de grandes innovations dans l’art et la culture. Nombre d’entre elles sont méconnues et négligées au Liban aujourd’hui », explique Mme Khalil Chalabi, caressant du bout des doigts une grenade en verre coloré.
Après avoir fait inscrire Tyr sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1984, elle s’est engagée dans un combat pour obtenir une résolution des Nations unies pour le lancement d’une campagne internationale, à la fin des années 1990, prévoyant déjà la création des Ateliers. Marquée par les ravages de la guerre au Sud-Liban et par la folie immobilière qui s’est emparée de Tyr sans respect pour son patrimoine ancestral, elle s’est promis de faire tout ce qui est en son pouvoir pour mener à bien la « résurrection » de ce savoir-faire qui lui tient tant à cœur.
« Le cœur du projet » reste à faire
Si les premiers produits ont pu être déjà mis en ligne et même vendus, le village n’a pas encore atteint son but ultime : les ateliers de soufflerie de verre, de dessin, de sérigraphie/couture et de poterie tournent déjà à plein régime, mais ni les apprentis ni les formateurs ne sont sur le site de manière constante. En cause, le manque de financement pour faire venir les « enseignants » et les loger : car le savoir-faire phénicien s’est perdu dans l’artisanat libanais, selon Mme Khalil Chalabi. Les rares artisans libanais encore en mesure de faire revivre les traditions phéniciennes lui ont refusé leur aide.
C’est donc « le cœur du projet » qui reste à faire, selon elle : la fondatrice cherche, faute d’experts libanais, à faire venir des artisans étrangers pour former les futures recrues. Une entreprise qui nécessiterait plusieurs centaines de milliers de dollars, du logement des professionnels à l’entretien des machines. « Ce four, par exemple », s’exclame-t-elle en arrivant dans l’atelier de verre recyclé où œuvre déjà le maître verrier égyptien Varag Askari, « est utilisé dans la fabrication du verre de Murano, et une fois allumé, il faut toujours l’alimenter », ce qui entraîne des coûts importants. Une fois le village pleinement opérationnel, elle espère accueillir des designers et des spécialistes dans la vingtaine de bungalows qu’elle fait construire à l’arrière du village.
Faire rayonner Tyr, du local à l’international
Au-delà des métiers d’artisanat, le but des Ateliers de Tyr est de faire rayonner les spécialités de Tyr non seulement au Liban, mais également à l’international : devenir, en bref, une vitrine pour Tyr et le Liban, de la cuisine phénicienne à l’écotourisme. Un restaurant en terrasse dans l’un des bâtiments propose d’ores et déjà des plats typiques de Tyr (dont la plupart des ingrédients proviennent des cultures environnantes).
Des plants de papyrus et des fleurs de toute sorte ont été plantés à travers le village ; les eaux usées sont récupérées et filtrées, et l’ensemble de l’endroit est eco-friendly. Un site qui fait figure d’exception au Liban. « Dans tous les États, il y a une sorte de planification… Au Liban, ça n’existe pas. Si l’État ne prend pas les choses en main, cela va être de plus en plus difficile. Il faut planifier à long terme pour que les projets de la sorte puissent survivre. C’est pour cela que nous prenons tout notre temps. » Mme Khalil Chalabi entretient l’espoir que les pourparlers entamés avec différents sponsors aboutiront à un résultat positif afin de pouvoir enfin faire de ce vieux rêve une éclatante réalité.
BRAVO!! Mme Chalabi? quand aux expert artisanaux Libanais quelle honte!!
19 h 55, le 02 août 2018