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À La Une - Syrie

Il y a cinq ans, le père Paolo Dall'Oglio disparaissait à Raqqa

"Sa personnalité est celle des anciens prophètes de l'Ancien Testament, qui n'ont pas hésité à hausser le ton. Il avait beaucoup d'humour et de tendresse, mais c'était un combattant", déclare à l'OLJ Friedrich Bokern, le président de l'association humanitaire Relief and Reconciliation for Syria.

Le père jésuite Paolo Dall'Oglio, en 2007, au monastère de Mar Moussa, en Syrie, qu'il avait rénové dans les années 80. Photo d'archive AFP / Louai BESHARA

Il y a cinq ans, le 29 juillet 2013, le père jésuite Paolo Dall'Oglio se rendait au quartier général de l'Etat islamique à Raqqa, en Syrie, sa terre d'adoption, afin de demander la libération de journalistes otages du groupe jihadiste. Il n'a plus été revu depuis.

Arrivé dans l'ancienne capitale du califat le 28 juillet, le prêtre italien d'une cinquantaine d'années cherche immédiatement à rencontrer des personnes haut-placées au sein de l'EI afin de négocier la libération des otages. Il essuie un premier refus, notamment dû au fait que "la majorité de ses interlocuteurs étaient irakiens et ne l'ont pas reconnu... S'il s'était agi de Syriens, ils auraient directement su de qui il s'agissait parce que tout le monde en Syrie connaissait le père Dall'Oglio", raconte Friedrich Bokern, le président de l'association humanitaire Relief and Reconciliation for Syria, parrainée par le prêtre jésuite. Mais cela ne l'arrête pas. Il retourne dès le lendemain au siège du gouvernorat de Raqqa, où s'était installé le commandement de l'EI, pour de nouveau plaider la cause des otages. C'est lors de cette deuxième visite qu'il va se faire arrêter et incarcérer par les jihadistes. 


Amour de l'Autre
Pour Friedrich Bokern, contacté par L'Orient-Le Jour, c'est son amour incommensurable pour l'Autre, doublé d'un profond engagement envers la Syrie, qui a poussé le prêtre italien à se jeter dans la gueule du loup. Il n'en était d'ailleurs pas à son coup d'essai. 

Installé en Syrie depuis les années 80, le père Dall'Oglio avait été expulsé du pays par le régime de Bachar el-Assad, pour avoir soutenu voire porté, dès 2011, les appels à une transition politique pacifique. "Le mensonge et la torture ont été érigés en système depuis quarante ans. C’est une forme de guerre civile. Et la répression du régime vis-à-vis des jeunes descendus dans la rue a transformé cette révolution pacifique en une guerre civile encore plus violente et plus visible à partir de juin 2011", déclarait le prêtre lors d'une conférence à Paris, en septembre 2012, rapporte Ignace Leverrier, ancien diplomate en Syrie, dans son blog sur Le Monde. "Je suis démocrate et révolutionnaire depuis mon enfance. Mon père disait tout le temps qu’il reprendrait les armes s’il y avait un coup d’État contre la démocratie en Italie", indiquait-il également à L’Orient-Le Jour, lors de l'un de ses passages à Beyrouth, en mars 2013. "Pour moi, il est naturel donc de soutenir la révolution. Ce qui n’est pas naturel, c’était l’immense patience de mes trente ans passées en Syrie, c’était un vrai sacrifice pour moi de traiter avec le régime fasciste", ajoutait-il.

Fin 2013, il s'agissait de la troisième visite en Syrie de Paolo Dall'Oglio, et ce malgré tous les dangers. Au cours d'une de ces visites, qui se déroulaient sous la haute protection de groupes rebelles, "il avait notamment négocié des accords de cessez-le-feu dans des villages chiites au nord d'Alep qui étaient assiégés par l'Armée syrienne libre", raconte M. Bokern, très proche du prêtre.  

Le parcours du père Dall'Oglio n'a pourtant pas toujours été aussi politique. Ancré dans une spiritualité profonde et dans la prière, le père jésuite, né au milieu des années 50, a rapidement eu la vocation d'aller à la rencontre de l'Autre, surtout de la communauté musulmane. Cet appel le pousse à se rendre, dès la fin des années 70, au Liban puis en Syrie, où il lance la rénovation du monastère de Mar Moussa, et fonde une nouvelle communauté religieuse dédiée aux relations d'amitié islamo-chrétiennes et au dialogue. En 2011, il ressent "malgré lui le besoin d'élever la voix" afin de soutenir les mouvements de protestation naissant en Syrie, raconte M. Bokern. "Sa personnalité est celle des anciens prophètes de l'Ancien Testament, qui n'ont pas hésité à hausser le ton. Il avait beaucoup d'humour et de tendresse, mais c'était un combattant", se souvient-il.


(Pour mémoire : Dall’Oglio : Les chrétiens du Moyen-Orient ont besoin d’une réponse spirituelle pour rester dans la région


Incertitudes
Depuis son enlèvement par Daech (acronyme arabe de l'EI), un nuage d'incertitudes entoure le sort du père Dall'Oglio.

En mai 2014, plusieurs sources, dont un membre dissident du groupe jihadiste, cité dans un communiqué de la Ligue syrienne de défense des droits de l'homme, avaient affirmé que le père jésuite avait été exécuté quelques heures après son arrivée au siège de l'EI, le 29 juillet. Trois ans plus tard, un combattant de l'EI arrêté lors de la prise de Raqqa par les Forces démocratiques syriennes avait affirmé, dans une interview à Asharq el-Awsat, que le prêtre avait été assassiné début août 2013, quelques jours seulement après sont enlèvement. "Nous avons des preuves que ces témoignages sont faux", assure toutefois Friedrich Bokern. "Début 2014, via une chaîne d'intermédiaires s'étendant des services de renseignements italiens jusqu'à l'EI, la famille a pu poser des questions secrètes et obtenir des réponses qui se sont avérées justes, ce qui vient corroborer les témoignages de personnes affirmant avoir vu le père Paolo Dall'Oglio en vie", explique-t-il.

En 2016, Rami Abdrahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), indiquait que certaine de ses sources avaient affirmé avoir vu le prêtre "dans la prison de Sedd el-Fourat", un des centres de détention de l'EI situé non loin de Raqqa. M. Abdrahmane rapportait néanmoins également que d'autres sources appuyaient la thèse d'une exécution dès le 29 juillet 2013.


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Selon M. Bokern, ce "mythe" de l'exécution rapide du père jésuite sert les intérêts du régime de Damas, pour qui Dall'Oglio était "l'ennemi public numéro un car il était le seul à avoir contredit le narratif du régime qui se posait en tant que protecteur des chrétiens". "Le régime Assad ne veut pas lever le voile sur le sort du père : si le décès de Dall'Oglio était officiellement annoncé, de nombreux appels seraient lancés pour faire de lui un martyr, tandis que s'il était déclaré vivant, le pape aurait fait pression pour sa libération", estime M. Bokern. 

Une stratégie qui semble payer car si au sein de la communauté du père Dall'Oglio, "l'espoir qu'il soit en vie est resté très fort pendant trois ans, aujourd'hui, seule la moitié de ses proches y croient encore, se désole Friedrich Bokern. Certains témoignages circulent encore, ceux de compagnons de cellules par exemple, mais il n'existe aucune preuve concrète de sa survie". 

L'absence de Dall'Oglio pèse sur sa communauté qu'il s'est toujours efforcé de tenir à l'écart de ses prises de position politiques. "Ils sont orphelins depuis sa disparition. Les monastères de Mar Moussa, en Syrie et de Maryam al-Adra, à Souleymaniyya, en Irak, continuent de fonctionner. Mais sans la présence de leur fondateur, et dans un tel climat d'incertitudes, ce n'est pas facile", conclut le président de Relief and Reconciliation for Syria.

En juillet 2017, le Pape François, membre de la congrégation jésuite à laquelle appartient le prêtre, avait appelé à la libération de Paolo Dall'Oglio. En vain, jusqu'à présent.



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Il y a cinq ans, le 29 juillet 2013, le père jésuite Paolo Dall'Oglio se rendait au quartier général de l'Etat islamique à Raqqa, en Syrie, sa terre d'adoption, afin de demander la libération de journalistes otages du groupe jihadiste. Il n'a plus été revu depuis. Arrivé dans l'ancienne capitale du califat le 28 juillet, le prêtre italien d'une cinquantaine d'années cherche...

commentaires (3)

Il ressent "malgré lui le besoin d'élever la voix" afin de soutenir les mouvements de protestation naissant en Syrie. Sa personnalité est celle des anciens prophètes de l'Ancien Testament, qui n'ont pas hésité à hausser le ton. Il avait beaucoup d'humour et de tendresse, mais c'était un combattant" J'ai fait sa connaissance et de suite on pouvait voire que c'etait un dangereux agent provocateur....Esperons que le monastere lui a survecu

aliosha

18 h 57, le 30 juillet 2018

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Commentaires (3)

  • Il ressent "malgré lui le besoin d'élever la voix" afin de soutenir les mouvements de protestation naissant en Syrie. Sa personnalité est celle des anciens prophètes de l'Ancien Testament, qui n'ont pas hésité à hausser le ton. Il avait beaucoup d'humour et de tendresse, mais c'était un combattant" J'ai fait sa connaissance et de suite on pouvait voire que c'etait un dangereux agent provocateur....Esperons que le monastere lui a survecu

    aliosha

    18 h 57, le 30 juillet 2018

  • Il y avait aussi un évêque grec orthodoxe qui a été enlevé en même temps on n'en parle plus de lui

    Eleni Caridopoulou

    18 h 27, le 30 juillet 2018

  • PAUVRE PERE DALL,OGLIO QUI CROYAIT EN L,HUMANITE DES INHUMAINS ! QUE SON AME REPOSE EN PAIX. IL AVAIT FAIT PLUS QUE SON DEVOIR.

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 18, le 30 juillet 2018

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