Un homme peut-il, à lui seul et tout à la fois, choquer profondément ses concitoyens, affoler ses alliés, dérouter la planète entière et se poser néanmoins en négociateur de génie : talent qui a valu, il est vrai, à l’insupportable vantard, une fortune astronomique ? Oui, yes I can, est parfaitement en droit de répondre Donald Trump, au lendemain du stupéfiant sommet bilatéral d’Helsinki où on l’a vu s’étaler devant un Vladimir Poutine qui n’en espérait sans doute pas tant.
Avant même de débarquer en Finlande, le chef de la Maison-Blanche tweetait le ton en attribuant la brouille russo-américaine à des années de stupidité yankee. Il faisait mieux encore à l’issue du sommet, agréant publiquement le plaidoyer pro domo de son interlocuteur, sans plus d’égard pour les accablantes accusations d’ingérence cybernétique dans l’élection présidentielle de 2016 portées contre Moscou par la justice et les agences de renseignements américaines. Il a bien tenté, sur le chemin du retour, de faire amende honorable en disant – toujours par tweet et majuscules à l’appui – son immense confiance en ses agents.
Mais il en faudra bien davantage pour enrayer la tempête de protestations qu’a suscitée, jusque dans les rangs du Parti républicain, son très singulier sauna, cette traditionnelle spécialité de la Finlande. Car entre volutes de vapeur brûlante et immersion dans l’eau glacée, c’est en réalité l’Amérique, et même plus d’un élément de sa propre administration, qu’aura flagellée, à grands coups de branches de bouleau, le caricatural président. Honte, triste jour, un des pires moments de l’histoire de la présidence ; incroyable capitulation, trahison : ce ne sont là que quelques-unes des appréciations décernées à l’homme à la houppe par le Tout-Washington politique, les plus sévères étant sans doute la mise en question de ses capacités mentales.
Les pays occidentaux ne sont pas en reste, qui peuvent (se) demander en effet par quelle aberration on voit aujourd’hui le président des États-Unis inverser cavalièrement l’équation stratégique, traitant les alliés par-dessus la jambe pour courtiser platement l’adversaire, faisant l’impasse sur le coup de force en Ukraine et quelques autres coups fourrés reprochés au Kremlin. Déjà à l’escale de Bruxelles où se tenait le sommet de l’OTAN, Trump trouve ainsi moyen de dénoncer le contrôle total de l’Allemagne qu’exerce, selon lui, la Russie, avant que de protester de l’excellence de ses relations avec Angela Merkel. Avec la même et erratique suite dans les idées, il multiplie remontrances et menaces à l’adresse de ses partenaires atlantiques, puis se congratule du regain de santé affiché, dit-il, par l’Alliance atlantique. À Londres enfin, le fantasque chef de l’exécutif US s’en prend à sa cible de prédilection, la presse, après avoir vainement conseillé à Theresa May… de poursuivre l’Union européenne en justice.
Bien plus près de nous, on ne peut que trembler à la perspective du deal sur la Syrie que pourrait conclure le chef de la superpuissance américaine avec un Vladimir Poutine à la sagacité éprouvée. Déjà se profilent les grandes lignes d’un tel arrangement qui, en échange de la survie du régime de Damas, prévoirait notamment un repli des forces iraniennes et affidées à distance respectable du Golan occupé : secteur qui serait à nouveau régi par l’accord de désengagement de 1974, obtenu à l’arraché par Henry Kissinger et qui interdit tout acte d’hostilité en attendant un règlement global du conflit arabo-israélien. Le projet jouit évidemment de l’enthousiaste bénédiction d’Israël qui, au cours des dernières décennies, a colonisé à outrance ce territoire sans jamais s’attirer un seul jet de pierre de la part de Damas : le raïs de l’époque, Hafez el-Assad, se gardant bien en effet de jouer avec le feu et préférant se parer d’une feuille de vigne sud-libanaise pour se poser en pilier de la résistance.
Porté à bout de bras qu’il est par les Russes et les Iraniens, son fils et successeur aura-t-il vraiment les moyens de perpétuer la supercherie, une fois devenu, en toute indignité, le gardien en titre, patenté, d’une frontière israélienne tracée, telle une lancinante cicatrice, en terre syrienne ? Et, plus près de nous encore, tout près de nous cette fois, de quels prétextes pourront encore user ses amis et comparses libanais pour entretenir la même fiction ?