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Liban - Rencontre

Propos croisés sur l’état des lieux et les enjeux de la francophonie

À l’occasion d’une journée d’étude sur « les dynamiques linguistiques et les mondes académiques » organisée la semaine dernière par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), « L’OLJ » a interviewé sur la question Youma Fall, directrice « langue française, culture et diversités » à l’OIF, Hervé Sabourin, directeur régional au Moyen-Orient de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), et Souleymane Bachir Diagne, professeur d’études francophones et de philosophie à l’université de Columbia (États-Unis).

Nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que la présence de la francophonie dans le monde assure la promotion d’un humanisme et des valeurs qui lui sont propres. Êtes-vous d’accord avec cette assertion ?
Souleymane Bachir Diagne : La francophonie est porteuse de valeurs dont la principale est le pluralisme. Elle estime en effet qu’il est bon que le monde soit pluriel, qu’il soit tissé de différences de toutes natures. Il s’agit de défendre cette pluralité de fait dans le monde. Toutes les autres valeurs dont la francophonie assure la promotion découlent de celle-là. Quand l’OIF intervient à sa manière pour renforcer la démocratie, les droits humains ici ou là, c’est toujours au nom de cette idée pluraliste et humaniste qui est la sienne.

La francophonie paraît aussi être vectrice de paix entre communautés religieuses. C’est par exemple le cas d’établissements francophones qui rassemblent à la fois chrétiens et musulmans dans des zones particulièrement conflictuelles. Cela fait-il aussi partie des valeurs que promeut la francophonie ?
Souleymane Bachir Diagne : Absolument, c’est encore une fois un autre modèle de pluralisme. Notre monde en a besoin, lui qui est aujourd’hui déchiré par toutes les formes d’ethno-nationalisme et d’enfermement sur des identités insulaires et crispées. Je crois que toutes les religions ont fondamentalement un message de paix et un message pluraliste, mais qu’il est difficile d’entendre aujourd’hui. J’ai moi-même été scolarisé chez les religieux catholiques tout en étant musulman. Voilà un espace de paix où se côtoient des enfants qui découvrent leurs différences religieuses.

Hervé Sabourin : La question du pluralisme, de la diversité dans l’espace francophone est une donnée maîtresse. La francophonie au Moyen-Orient se développe évidemment au Liban, où elle est très présente, mais également en Égypte, en Iran, en Palestine, et en Syrie qui, malgré la guerre, a gardé un espace francophone vivace. Des communautés syriennes qui vivaient à Damas et à Alep m’ont confié que la francophonie était leur dernier rempart pour continuer à espérer. Ce lien, elles arrivent à le préserver en organisant des échanges, des réunions entre francophones de Damas et d’Alep. C’est un symbole très fort de ce qu’on peut trouver comme réconfort à travers la fraternité et la solidarité active qui existent dans les espaces de la francophonie.

Les établissements catholiques francophones touchent plus de 400 000 élèves à travers le Moyen-Orient. Comment justifier cependant le manque d’implication de l’OIF dans ces institutions de plus en plus menacées de fermeture ?
Youma Fall : Il faut situer les responsabilités. La francophonie, c’est un espace de solidarité, de dialogue et de promotion de la diversité. Nous avons de nombreux outils pour garantir le bon fonctionnement de cet espace, mais l’OIF n’a pas de pouvoir direct sur les pays et ne finance pas directement les écoles et les formations. Nous accompagnons les systèmes, les États, et encore une fois, il faudrait que les États en expriment le besoin.

Hervé Sabourin : Nous savons aussi précisément pourquoi ces écoles ferment : il y a eu des décisions prises au niveau des États, qui ont impacté les écoles. Ce n’est pas le rôle de l’OIF de répondre à ce genre de difficultés qui émanent des politiques d’État. La francophonie dépasse aussi le cadre chrétien : elle s’occupe des communautés. Je rappelle qu’au Liban et dans les pays musulmans, nous avons de plus en plus de locuteurs francophones et de partenariats avec des universités historiquement musulmanes.


(Lire aussi : Les ressources multiples de la langue française)



Malgré l’expansion des réseaux de l’OIF, avez-vous l’impression que la francophonie est en perte de vitesse ?
Hervé Sabourin : Par rapport à ce qui est notre mission essentielle, soit la promotion de la langue française, c’est vrai qu’il y a un combat à mener, surtout au niveau de la jeunesse. C’est là que se trouve la grande résistance : la jeunesse libanaise estime par exemple, à tort, que l’anglais est la langue qui donne le maximum de perspectives et de compétences. Il nous faut donner une image différente, une image de modernité, de dynamisme. Il nous faut montrer qu’à travers la langue française, nous sommes capables d’offrir des solutions à la jeunesse, en termes d’acquisition de compétences, de solutions d’avenir, d’humanisme.

Youma Fall : Le dernier rapport publié par l’OIF en 2014 faisait état de 274 millions de locuteurs francophones dans le monde. Celui de 2018, qui est en train d’être finalisé, en recense 300 millions. Le français est aussi la quatrième langue employée sur internet, alors qu’il n’était que cinquième il y a encore quatre ans. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, le français a encore toute sa place dans le monde. En termes de cible, cependant, il est vrai que son usage régresse au niveau de la jeunesse.

Comment expliquer cette attirance persistante des jeunes pour le monde anglo-saxon, notamment américain ? Est-ce une question de communication, de manque d’ouverture à la jeunesse ?
Souleymane Bachir Diagne : Aujourd’hui, les jeunes générations ont un tropisme américain, c’est un phénomène global. Les universités américaines attirent les grands flux mondiaux d’étudiants, ce qui fait d’ailleurs la force de l’anglais. Il y a aussi la perception que l’anglais est porteur d’un meilleur avenir que celui de nos diplômes français. C’est un phénomène de perception. S’ajoute à cela le pouvoir des industries culturelles américaines, sans parler des classements universitaires qui sont basés sur le mode de fonctionnement des universités américaines. On sait, chiffres à l’appui, que ce n’est pas vrai, mais il est difficile d’agir contre les perceptions. Le paradoxe de cette attractivité pour les étudiants et les enseignants, c’est que cela fait une présence francophone dans le monde anglophone. C’est un aspect qu’il ne faut pas négliger.

Youma Fall : Le français a aussi évolué vers d’autres territoires : l’Argentine, le Mexique, la Louisiane (États-Unis), car nous avons des chercheurs qui sont partis enseigner dans ces espaces. Cela participe aussi à l’influence et à la force de rayonnement de la francophonie. L’enjeu se situe donc aussi dans ces territoires où la langue française et la culture francophone sont en train de s’implanter. Il ne faut pas non plus fonctionner avec l’anglais en termes de rivalité. Il faut aller chercher ce que peut apporter cette mobilité à la langue française.


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commentaires (3)

Les valeurs défendues par la France passent forcément à travers de la francophonie. Mais la francophonie a le privilège, d'être décentralisée, ce qui laisse une marge importante aux pays francophones de vivre la langue française et les valeurs qu'elle inspire chacun à son rythme. Vive la francophonie

Sarkis Serge Tateossian

21 h 54, le 16 juillet 2018

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Commentaires (3)

  • Les valeurs défendues par la France passent forcément à travers de la francophonie. Mais la francophonie a le privilège, d'être décentralisée, ce qui laisse une marge importante aux pays francophones de vivre la langue française et les valeurs qu'elle inspire chacun à son rythme. Vive la francophonie

    Sarkis Serge Tateossian

    21 h 54, le 16 juillet 2018

  • LA FRANCOPHONIE EST UNE VALEUR ! ELLE EST UNE NECESSITE ET UN ATOUT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 29, le 16 juillet 2018

  • Il serait bon de travailler d'abord à la restauration de la francophonie (parler français) en France! L'Académie Française y est mise au pilori, et avec elle, l'orthographe et la grammaire. Les journaux sont truffés de barbarismes, dont certains sont même imposés par l'Etat (de quoi se mêle-t-il?). On a ainsi vu un député mis à l'amende pour avoir voulu parler français dans l'Assemblée! Charité bien ordonnée commence par soi-même!

    Yves Prevost

    07 h 40, le 16 juillet 2018

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