Ce que les milieux proches de Aïn el-Tiné qualifient de « nonchalance » de la part du Premier ministre dans la formation du gouvernement commence à inquiéter les différents groupes politiques qui se demandent s’il n’y a pas des raisons cachées qui entravent la naissance du nouveau cabinet. En effet, les trois visites du Premier ministre à Baabda depuis sa désignation pour former le gouvernement ont été considérées comme des démarches de forme et non de fond.
La première fois, avant le congé de la fête du Fitr, le Premier ministre a remis au chef de l’État des idées générales sur un gouvernement de 30 ministres, représentant le plus grand nombre de forces politiques et ressemblant au gouvernement actuel. Une fois de retour au pays après un périple qui l’a mené à Moscou, Riyad et Paris, le Premier ministre a répondu aux critiques ouvertes que lui avait adressées le président de la Chambre par une deuxième visite à Baabda, porteur cette fois d’une formule qui donne satisfaction aux Forces libanaises (cinq portefeuilles, dont un régalien et deux autres dits consistants) et au leader druze Walid Joumblatt en lui donnant les trois portefeuilles druzes. En principe, Saad Hariri devait attendre la réponse du président, mais il se doutait bien que la mouture qu’il a présentée n’avait aucune chance d’obtenir l’aval de Baabda, d’autant qu’elle ne proposait pas de compromis.
Hier, et après le communiqué ferme et clair de la présidence dans lequel le chef de l’État a exprimé son attachement à « la part présidentielle » dans le gouvernement, dont le poste de vice-président du Conseil, le Premier ministre désigné a donc repris le chemin de Baabda. Ses proches avaient déjà laissé entendre qu’il était porteur cette fois d’une formule de 24 ministres. Mais les milieux présidentiels ont rapidement fait savoir qu’une telle formule est inacceptable parce qu’elle ne permet pas une représentation équitable de toutes les forces politiques, selon le principe avancé précédemment par le Premier ministre désigné et déjà accepté par les responsables. La rencontre est donc l’occasion d’examiner les différentes possibilités et de trouver d’éventuelles brèches qui pourraient permettre de concilier les conditions des uns et les contre-conditions des autres. Selon des sources concordantes, ce n’est donc pas encore la détente espérée. Mais le Premier ministre souhaite ainsi montrer qu’il fait de son mieux...
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Pour l’instant, les différents milieux politiques continuent de miser publiquement sur la bonne foi de toutes les parties et sur une volonté réelle chez elles d’aboutir à un nouveau gouvernement dans les plus brefs délais. Toutefois, dans les réunions privées, des doutes sérieux commencent à être formulés. Les sources proches du Hezbollah font ainsi le rapprochement entre le peu d’empressement apparent du Premier ministre à défaire les nœuds qui entravent la naissance de son prochain gouvernement et la situation régionale. Selon ces mêmes sources, le fait que les voyages successifs du Premier ministre en Arabie ces derniers temps ne lui aient pas permis d’être reçu par le prince héritier et homme fort du royaume, Mohammad ben Salmane, est en soi un indice sur un souhait saoudien de ne pas hâter la formation du gouvernement. Pour les mêmes sources, cette volonté cachée serait liée à la décision du président américain Donald Trump de conclure au plus tôt ce que l’on est en train d’appeler « le deal du siècle » et qui constitue un règlement du conflit israélo-palestinien, selon les conditions israéliennes. C’est du moins ce qui apparaît pour l’instant du plan américain qui n’a pas encore été divulgué.
Les mêmes sources évoquent à cet égard la dernière rencontre entre le prince Mohammad ben Salmane et le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Se référant à des fuites palestiniennes, les sources proches du Hezbollah rapportent que l’héritier du trône saoudien aurait clairement déclaré à son interlocuteur palestinien que son pays et les Arabes en général mènent une vaste et dure confrontation avec l’Iran, sur toutes les scènes possibles. Dans cette confrontation, ils ont besoin de l’aide des Israéliens.
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C’est pourquoi il ferait bien d’accepter la solution qui lui est proposée dans le cadre du « deal du siècle », même si elle prévoit une séparation entre la Cisjordanie et Gaza et ne parle pas du droit au retour tout en donnant Jérusalem-Est aux Israéliens, déplaçant la capitale de l’État palestinien vers Abou Dis. Les sources proches du Hezbollah précisent que le président Abbas a refusé de donner son accord et son entretien avec le prince saoudien s’est mal terminé. Depuis, il fait l’objet de multiples pressions de la part des Arabes dits modérés et des donateurs internationaux, tout comme l’Égypte cherche à exercer des pressions similaires sur le Hamas à travers la bande de Gaza et le point de passage de Rafah.
Dans ce contexte, les Arabes dits modérés auraient promis aux Américains de faire taire les voix discordantes contre le plan de Trump et l’une d’elles vient du Liban. Le chef de l’État et le ministre des Affaires étrangères ont été pratiquement les seuls responsables arabes à prendre position aussi clairement contre la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, que ce soit au Caire ou à Istanbul ou encore dans toutes les autres tribunes internationales, à la fois pour des raisons de principe et par refus de l’implantation des Palestiniens au Liban. Pour cette raison, il faudrait empêcher le Liban d’avoir un gouvernement dans lequel le chef de l’État aurait une part confortable (on reparle du fameux tiers de blocage) et qui hausserait le ton contre cet accord, risquant ainsi d’entraîner derrière lui des pays encore hésitants. De même, ce camp régional et international ne souhaite pas que le Hezbollah soit à l’aise dans le nouveau gouvernement. Ce n’est pas tant une question de portefeuilles que d’alliances. D’autant que le Hezbollah ne cesse de répéter qu’il souhaite un gouvernement qui soit le reflet des rapports de force issus des élections législatives, autrement dit qui lui donne, avec ses alliés, la majorité. Selon les sources précitées, ce serait là le nœud caché qui expliquerait la lenteur dans les tractations pour la formation du gouvernement. Mais, en même temps, la situation économique est pressante et pourrait contraindre les différentes parties à trouver un compromis.
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commentaires (8)
Super! Et merci beaucoup pour cet article Mme Haddad! Maintenant je sais que, dorénavant, en ne lisant pas vos articles, je peux gagner 5 minutes pour lire des articles plus intéressants et plus édifiants, sans sentir de regrets pour n'avoir pas lu le vôtre! Merci donc.
Wlek Sanferlou
13 h 57, le 29 juin 2018