Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Irak / Éclairage

Opération turque risquée à Kandil

L’Iran a pris ses distances par rapport à cette offensive militaire contre le PKK.

L’objectif affiché est d’ouvrir un corridor de Sidekan vers Kandil au sud, qui abrite les « quartiers généraux » du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Burent Kilic/AFP

La situation militaire a beau être plutôt statique sur le terrain, Ankara n’est jamais à court de lexique guerrier. « Assécher le marécage » ou encore « couper le tête du serpent » sont autant de formules imagées relayées dans les médias proches du pouvoir pour promouvoir l’opération turque dans la région frontalière de Sidekan, au nord-ouest de l’Irak. L’objectif affiché est d’ouvrir un corridor de Sidekan vers Kandil au sud, qui abrite les « quartiers généraux » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste par Ankara. 1 500 hommes appartenant à une brigade commando et une autre d’infanterie légère responsable de la sécurité des frontières seraient massés à Semdili, une localité d’Anatolie orientale au carrefour des frontières iranienne et irakienne. La gendarmerie et quelques bataillons des forces spéciales seraient également mobilisés. Les hommes déployés au sol sont toutefois cantonnés à un rôle auxiliaire, puisque l’essentiel du travail est effectué par l’aviation. Les chasseurs turcs ont entraîné hier la mort de 15 militants séparatistes kurdes dans la région de Gara, en plus des 26 tués dans une frappe du 12 juin. Cinq soldats turcs ont été tués par les militants du PKK le 14 juin. Plusieurs centaines de sympathisants du PKK et de militants de la société civile ont manifesté hier au pied du mont Kandil contre l’« invasion ». « Il y a une invasion massive, mais en même temps, il y a une résistance acharnée », a assuré Sarhad Vartu, porte-parole du PKK à l’AFP. « Aujourd’hui, nous organisons cette manifestation au pied du mont Kandil pour être des boucliers humains contres les menaces turques », a expliqué Mitra Zardasht, une militante de la société civile également interviewée par l’AFP. 

« Une présence militaire durable »
D’un point de vue militaire, le moment de l’opération est mal choisi. La région de Kandil est montagneuse et extrêmement aride. Les pics de chaleur estivale approchent, et le relief procure des fortifications naturelles au PKK. Ses combattants se fondent dans les populations locales éclatées entre les centaines de villages qui parsèment la zone. D’après Metin Gurcan, vétéran des forces militaires turques anciennement stationnées dans le nord de l’Irak et journaliste à Al-Monitor, le PKK aurait renforcé les caves d’habitations qui servent de planques à l’organisation avec du béton armé. Sans miser franchement sur les forces terrestres, les frappes de l’armée turque ne devraient affecter que superficiellement le PKK dont la maîtrise du sol est redoutable. « L’armée turque ne cherche véritablement pas à en finir avec le PKK, mais plutôt à installer une présence militaire durable entre Kandil et la frontière turque, pour entraver la circulation des combattants kurdes entre l’Irak et la Turquie », explique à L’OLJ Jordi Tejel Gorgas, spécialiste des questions kurdes à l’université de Neuchâtel. 

Ankara a beaucoup survendu les soutiens étrangers prétendument récoltés par l’armée turque pour cette campagne militaire. Recep Tayyip Erdogan a officiellement annoncé l’opération le 11 juin dans la ville anatolienne de Nigde, où le président turc a donné un meeting à ses supporters en vue des prochaines élections de ce dimanche. Le soir même, son ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, indiquait sur les ondes qu’Ankara était étroitement en contact avec Téhéran pour préparer une opération militaire dans le Nord irakien. Les montagnes du Kandil débordent sur l’Iran, qui fait lui-même face aux activités problématiques d’une filiale locale du PKK sur son territoire, le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK). Plusieurs représentants du gouvernement et de l’AKP de M. Erdogan ont vanté le soutien iranien dans les médias pro-Erdogan. « Notre offre à l’Iran était de conduire l’opération ensemble. L’Iran, au moins dans ses remarques, a exprimé un soutien très important », a assuré le ministre turc de la Défense, Nurettin Canikli, dans une interview accordée à l’agence Anadolu. Au vu de l’assurance avec laquelle les officiels turcs ont promu la camaraderie avec l’Iran, le démenti catégorique de Téhéran était franchement embarrassant. « La République islamique d’Iran pense qu’une action militaire contre le territoire d’un autre pays sans la permission de son gouvernement légitime, avec l’excuse de combattre le terrorisme, est illégal », a déclaré le porte-parole de l’armée iranienne, le général Abulfazil Shekarchi. « L’opération turque viole la souveraineté de l’Irak, donc la Turquie cherche une légitimité internationale », explique M. Gorgas. Mais la convergence d’intérêts entre Ankara et Téhéran, respectivement aux prises avec le PKK et le PJAK qui possèdent chacun des bases arrière en Irak, est précaire. « Certes, les Kurdes mènent périodiquement des attaques contre les troupes iraniennes. Mais le PYD (déclinaison syrienne du PKK) a des relations avec le régime syrien. L’Iran n’a pas intérêt à trop affaiblir le PKK, car ils sont alliés en Syrie », poursuit le chercheur. 

Fanfare
Le décalage entre les objectifs militaires modérés de cette opération et sa promotion dans les médias pro-Erdogan est béant. La conquête de Kandil et la levée du drapeau turc sur ses montagnes sont promises pour dans 90 jours. Les interventions extérieures turques sont spécialement corrélées à la politique interne sous le mandat de M. Erdogan. Ce dernier espère rejouer le scénario post-Afrine, même si l’enjeu de cette nouvelle opération est moindre. 

Suite à l’incursion militaire turque dans l’enclave kurde du Nord-Ouest syrien, les mosquées du pays avaient tenu des prières spéciales en l’honneur de la « conquête », et la fanfare militaire ottomane Mehter s’était produite dans les provinces frontalières avec la Syrie pour célébrer le contingent mobilisé dans l’opération. Le gain électoral espéré auprès de l’électorat nationaliste pourrait cependant buter sur le flop créé par le démenti iranien. L’électorat kurde, un des déterminants des prochaines élections, est grossièrement partagé entre une tendance gauchisante et une tendance conservatrice dont la fidélité à l’AKP est demeurée stable. Mais une fine strate de cet électorat conservateur est refroidie par le glissement accéléré de l’AKP vers l’extrême droite nationaliste.



Lire aussi 

La Turquie intensifie ses opérations dans le Nord

La Turquie va poursuivre ses bombardements dans le nord de l'Irak, dit Erdogan


La situation militaire a beau être plutôt statique sur le terrain, Ankara n’est jamais à court de lexique guerrier. « Assécher le marécage » ou encore « couper le tête du serpent » sont autant de formules imagées relayées dans les médias proches du pouvoir pour promouvoir l’opération turque dans la région frontalière de Sidekan, au nord-ouest de l’Irak. L’objectif affiché...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut