Le flou continuait d’entourer le week-end dernier la décision du ministre sortant des Affaires étrangères, Gebran Bassil, de geler les nouvelles demandes de résidence ainsi que le renouvellement des permis de séjour du personnel du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). M. Bassil est-il revenu ou non sur sa décision, prise vendredi dernier, après que cette mesure eut suscité un tollé dans le pays ? Le timing d’une telle décision aurait-il servi à noyer le poisson en ce qui concerne le décret de naturalisation fraîchement signé ? Autant de questions soulevées par ce dossier épineux qui ne cesse de diviser la classe politique libanaise.
« Oui, M. Bassil est revenu sur sa décision vendredi après-midi. Ma réaction ainsi que celle du ministre d’État pour les Réfugiés, Mouïn Merhebi, et de Nadim Mounla, conseiller du Premier ministre Saad Hariri, ont sans doute contribué à cela », a affirmé à L’Orient-Le Jour le ministre sortant de l’Éducation, Marwan Hamadé, qui avait vertement critiqué les mesures adoptées par le chef de la diplomatie, accusant ce dernier de « déclarer une guerre d’élimination contre les organisations internationales ». MM. Merhebi et Mounla avaient, eux, dénoncé une décision « unilatérale » et ne représentant pas la position du gouvernement. « Personne ne peut prendre une mesure de cette importance sans l’aval du Conseil des ministres. (…) Il ne s’agit pas d’une affaire que l’on peut débattre à partir d’une tribune à Batroun avec cette légèreté », a déclaré M. Hamadé à L’OLJ. « Les Syriens resteront syriens et rentreront en Syrie. Ce genre de démagogie facile fait que M. Bassil chasse une sorcière après l’autre, surtout avant la formation du gouvernement », a-t-il ajouté. Selon M. Hamadé, la décision de Gebran Bassil servirait « à couvrir » le récent décret de naturalisation qui a donné la nationalité libanaise à environ 400 personnes dont une majorité de Syriens, dont certains seraient proches du régime de Bachar el-Assad.
Mécontent à la suite des conclusions d’un rapport établi par une délégation du ministère des Affaires étrangères qui s’était rendue la semaine dernière au village de Ersal, dans la Békaa, M. Bassil, qui accuse depuis plusieurs mois le HCR de dissuader les réfugiés de rentrer en Syrie, avait décidé de bloquer les permis de séjour des employés de l’agence onusienne pour deux semaines. Le ministère des AE avait affirmé que, selon ce rapport, le HCR « n’encourage pas les déplacés à rentrer chez eux et va jusqu’à les intimider en leur posant des questions qui les poussent à craindre de retourner dans leur pays, notamment en mentionnant le service militaire, la situation sécuritaire, l’état du logement, l’arrêt des aides onusiennes ainsi que d’autres questions dissuasives ». À noter qu’un retour de quelque 3 000 Syriens réfugiés à Ersal est prévu cette semaine.
Interrogée par L’OLJ, une source proche du courant aouniste a pour sa part formellement démenti que M. Bassil soit revenu sur sa décision... Pire encore, « si le HCR ne se montre pas coopératif, M. Bassil pourrait étudier la mise en place d’autres mesures à son égard », met en garde cette source. « M. Bassil persiste dans sa décision et cette mesure fait partie de ses prérogatives. Elle n’est pas reliée avec le fait de vouloir saper les relations avec le HCR. Il y a tout simplement quelques employés (du HCR) qui ont mal agi. Cette décision n’est aucunement liée au fait de vouloir calmer le jeu par rapport au décret de naturalisation. Les réfugiés voulaient juste rentrer chez eux pour la fête du Fitr (qui marque la fin du ramadan). Leur retour n’est pas relié à d’autres problématiques de la scène locale », a-t-elle ajouté.
Comme on pouvait s’y attendre, les mesures adoptées par M. Bassil n’ont pas manqué de provoquer l’ire du Premier ministre, mécontent d’avoir été contourné dans une affaire aussi importante. Les deux hommes s’étaient entretenus vendredi soir, après que M. Bassil eut annoncé sa décision, « dans une atmosphère positive », selon la chaîne LBCI. Même s’il n’a pas publiquement commenté la décision de Gebran Bassil, M. Hariri lui aurait fait savoir que c’est à lui que revenait le gestion de la relation avec les Nations unies et qu’il était inacceptable de le contourner dans ce dossier, selon des informations rapportées par le quotidien panarabe al-Hayat dans son édition datée de samedi.
Polémique
Farouche opposant à la politique de Gebran Bassil à l’égard des réfugiés, le ministre d’État pour les Réfugiés, Mouïn Merhebi, n’y a pas été de main morte dans ses critiques samedi, affirmant dans une déclaration que le chef de la diplomatie se comportait « comme s’il n’y avait ni gouvernement, ni ministères concernés, ni président de la République, ni Premier ministre ». « M. Bassil accuse toujours les autres, comme s’il était le seul à se soucier du pays. Il a un comportement qui consacre le confessionnalisme, comme d’habitude, de façon à engager le pays dans des tensions qui pourraient mener vers une guerre civile », a-t-il mis en garde.
Nadim Gemayel, député de Beyrouth des Kataëb, est pour sa part formel : le tollé provoqué par le chef de la diplomatie avait pour but de couvrir « l’erreur » du décret de naturalisation, mais il ne fera pas long feu. « Les regards vont à nouveau être braqués sur le décret étant donné qu’il s’agit d’un des dossiers les plus dangereux du moment », a-t-il souligné. Il a par ailleurs critiqué les « attaques » de M. Bassil contre le HCR tout en affirmant que « le retour (des réfugiés syriens) doit se dérouler de façon sécurisée et humaine ». « Nous refusons qu’ils retournent pour être tués par le régime syrien. (…) Le retour doit se faire sous protection internationale », a-t-il déclaré.
Dans les milieux proches de M. Bassil, on salue par contre sa décision « souverainiste » face à une communauté internationale accusée d’imposer l’implantation des réfugiés. « Sitôt clos le tollé concernant la naturalisation, la position souverainiste du ministre des Affaires étrangères a émergé et elle consiste à faire face à l’implantation par l’action et non seulement par la parole », a écrit le député Georges Atallah (CPL) samedi sur son compte Twitter.
« Gebran Bassil a adressé un message à la communauté internationale par le biais du HCR pour que l’on trouve une solution rapide au dossier des réfugiés », a dit pour sa part le député Salim Aoun samedi. « Si notre attitude est considérée comme ayant abouti à un conflit avec le HCR, nous avons l’honneur d’avoir provoqué ce conflit dans l’intérêt du Liban et pour que les réfugiés rentrent chez eux », a-t-il estimé.
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La confusion, ou plutôt, l'autre confusion... Y en a tellement qu'on n'est plus confus on est complètement sidérés, ébahi et désespéré... À quand la fin de ce purgatoire qui, au contraire du purgatoire des chrétiens qui mène au salut, celui-là nous mène Illico presto en enfer...
23 h 10, le 11 juin 2018