Le ministre sortant de l'Intérieur, Nohad Machnouk, a annoncé lundi que la mise en application du décret de naturalisation de centaines de ressortissants étrangers, dont la majorité sont syriennes ou palestiniennes, qui provoque un tollé au Liban ne pourrait pas être gelé, mais que son application allait être "retardée", le temps de mener une nouvelle enquête sur les personnes qui en bénéficient.
"Le décret de naturalisation ne contient le nom d'aucune personne suspecte", a affirmé le ministre Machnouk, à l'issue d'une réunion avec le chef de l'Etat Michel Aoun au palais de Baabda, soulignant toutefois que l'application du texte sera "retardée" le temps que la Sûreté générale mène son enquête. "Le gel de cette décision n'est toutefois pas à l'ordre du jour", a-t-il déclaré. Il a ajouté que "le chef de l'Etat et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, ne reviendront sur leur décision que si des informations précises permettent de prouver que des personnes concernées sont suspectes". Le ministre a dans ce contexte appelé les Libanais à "présenter toute information sérieuse sur les personnes visées par le décret", mettant toutefois en garde les citoyens à ne pas fournir d'informations diffamatoires. Il a indiqué que le décret sera publié à l'issue de l'enquête, par respect pour l'opinion publique et à la demande des députés.
M. Machnouk a encore souligné que trois enquêtes avaient déjà été menées sur les personnes mentionnées dans ce décret, une par Interpol, une seconde par les autorités judiciaires libanaises et une troisième par les services de renseignements des Forces de sécurité intérieure. "Certains noms de personnes suspectes ou ayant commis des infractions figuraient dans les versions précédentes du texte et ont été enlevés", a-t-il précisé.
Par ailleurs, le ministre sortant a annoncé que le bloc du Futur, dont il fait partie, va présenter un projet de loi permettant aux mères libanaises de transférer la nationalité à leurs enfants. "Ce projet va être préparé au cours des prochaines semaines, afin d'être envoyé au Parlement", a-t-il précisé. Le scandale du décret de naturalisation a en effet provoqué la colère des mères libanaises qui ne peuvent pas transmettre la nationalité à leurs enfants.
A l'issue d'une réunion avec Michel Aoun et le président de la Chambre Nabih Berry, le Premier ministre désigné Saad Hariri a de son côté invité "tous ceux qui s'opposent au décret à faire appel à la justice". Il a affirmé que le directeur de la Sûreté générale va "passer en revue toute cette affaire".
Dans un geste visant visiblement à calmer les esprits, le président de la République Michel Aoun avait déjà demandé dimanche au directeur de la SG, le général Abbas Ibrahim, d’effectuer une enquête sur tous les nouveaux naturalisés, dont de nombreux Syriens, des Palestiniens et d’autres personnes de nationalité arabe et étrangère. Lundi plus tôt dans la journée, le général Ibrahim avait été reçu par le ministre Machnouk qui avait indiqué que trois autorités concernées ont vérifié les noms figurant dans le décret et qu'un groupe de noms ne méritant pas la nationalité libanaise a été rayé de la liste.
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"La naturalisation individuelle est souhaitée"
Pour sa part, le ministre sortant des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a défendu le décret polémique et le principe de naturalisation "individuelle". "Ce que nous entendons aujourd'hui sur le dossier de la naturalisation porte atteinte à l'identité libanaise et la nationalité libanaise, a déclaré M. Bassil. Toute naturalisation collective qui ressemble à l’implantation est inacceptable et toute naturalisation individuelle accordée à quelqu'un qui la mérite doit être faite et est souhaitée".
Il a dans ce cadre indiqué que les personnes qui méritent d'être naturalisées sont les mères libanaises (mariées à des étrangers) "tout en gardant à l'esprit les dangers de l'implantation", ainsi que les personnes "utiles à l'Etat, comme les personnes qui ont bonne réputation et à qui l'Etat à un intérêt à accorder la nationalité". Le chef de la diplomatie avait proposé d'accorder la nationalité aux enfants nés de mère libanaise et de père étranger, sauf s'il est Syrien ou Palestinien.
Le chef de la diplomatie a demandé au président Aoun, de "continuer à accorder la nationalité à ceux qui la méritent de manière claire et transparente et sur la base de critères clairs". Il a en outre estimé que la campagne contre le décret était "dirigée contre le président et a des objectifs clairs". "Mais cette campagne ne couvrira pas le crime et le silence de certains sur la tentative de naturaliser un million et demi de Syriens", a ajouté M. Bassil.
Le ministre a en outre demandé la publication des noms concernés par le décret et a demandé qu'une enquête soit ouverte pour savoir si de l'argent a été payé en échange de la nationalité. "Il est certain que le palais présidentiel et le ministère des affaires étrangères ne sont pas concernées par quelconque affaire suspecte, a-t-il assuré. La nationalité n'est pas un objet de marchandage", a-t-il assuré.
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Des députés se mobilisent
Les Kataëb et les Forces libanaises et le bloc de la Rencontre démocratique ont de leur côté déposé une demande auprès du ministère de l'Intérieur afin d'obtenir une copie de ce décret qu'ils contestent vivement.
"Il est de notre droit en tant que citoyens et députés d'obtenir une copie de ce décret, a déclaré le député Elias Hankache, membre de la délégation Kataëb qui s'est rendue au ministère. "Il devrait y avoir plus de transparence sur ce décret, a-t-il ajouté. Les informations que nous avons à ce sujet viennent des médias nous n'avons rien d'officiel".
La conseillère juridique du chef des Kataëb, Samy Gemayel, Lara Saadé accompagnait la délégation et a affirmé demander ce décret pour pouvoir prendre les mesures légales adéquates à ce sujet.
Vendredi, le chef des Kataëb, Samy Gemayel avait demandé à la présidence d'obtenir une copie du décret, ce à quoi le directeur général de la présidence de la République a répondu que "le ministère de l'Intérieur est l'autorité compétente concernée par cette demande". "La présidence a refusé de nous donner une copie du décret de naturalisation, bien qu'il s'agisse de l'autorité qui l'a émis", avait alors réagi M. Gemayel. "Elle nous a référés au ministère de l'Intérieur, autorité chargée de mettre en œuvre le décret".
Nadim Gemayel qui a lui-même divulgué l'existence de ce décret en publiant sur son compte twitter une centaine des noms qui sont concernés, a indiqué ne pas vouloir divulguer ses sources. "Mais il s'est avéré que ces noms sont corrects, a-t-il indiqué. Nous venons savoir qui sont ces personnes et pourquoi ces personnes ont été choisies".
M. Gemayel s'est interrogé sur "la manière de laquelle ce décret a été promulgué et le choix des personnes". "Certaines personnes méritent d'être sur cette liste, mais d'autres ont leur nom sur la liste Interpol, a dit M. Gemayel. Certaines personnes de nationalité syrienne n'ont pas le droit d'ouvrir des comptes au Liban, en leur donnant la nationalité libanaise, on met en danger le secteur bancaire" libanais.
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commentaires (16)
Ces personnes sont-elles de parents libanais? C’est ça la question qu’il faudrait poser et non pas celle de savoir si elles sont « suspectes » ou si elles ont commis un crime.
Abichaker Toufic
20 h 29, le 04 juin 2018