Le président de la République, Michel Aoun, a demandé samedi "à tous ceux qui détiennent des preuves concernant des personnes qui ne méritent pas d'obtenir la nationalité libanaise de les présenter à la Sûreté générale", alors qu'un projet de décret de naturalisation de plus de 360 personnes, révélé mercredi par le député Nadim Gemayel, continuait de faire polémique.
Rédigé en catimini, ce décret vient contredire les mises en garde successives contre les risques d’une implantation des réfugiés syriens ou autres au Liban.
Un survol de la liste d’une centaine de noms seulement, publiée par Nadim Gemayel sur son compte Twitter, permet de constater que la plupart sont syriens. La liste compte aussi des personnes de nationalité palestinienne, ainsi que des ressortissants arabes et étrangers fortunés – dont certains sont originaires de pays du Golfe – sans compter des sans-papiers.
Selon des informations de la chaîne LBCI, une réunion a eu lieu samedi entre le président Aoun et le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. Le chef de l'Etat aurait transféré le dossier à M. Ibrahim afin que celui-ci enquête sur les noms des personnes qui figurent dans le projet de décret.
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"Jouer avec la démographie du pays"
Les Forces libanaises de Samir Geagea, le bloc du Rassemblement démocratique de Walid Joumblatt, et le député Nadim Gemayel se préparaient tous à formuler un recours contre le décret, selon différentes annonces faites au cours de la journée de vendredi. Selon des sources au sein des FL citées par la chaîne LBCI, le parti attend que le décret soit signé ou publié dans le Journal officiel pour présenter un recours en invalidation devant la justice.
Le groupe parlementaire du Rassemblement démocratique a de son côté annoncé dans un communiqué qu'il se préparait à faire appel devant le Conseil d’État et s'est interrogé sur "les critères adoptés pour l'octroi de la citoyenneté libanaise aux personnes énumérées dans le décret". Il a également appelé les "les autorités officielles compétentes à clarifier tout le contenu de ce décret devant l'opinion publique". "Est-ce que la citoyenneté libanaise est à vendre?", s'insurge le bloc.
Le député Nadim Gemayel a dénoncé le fait qu'aucune clarification officielle n'ait été faite, que ce soit de la part de la présidence, du chef du gouvernement ou du ministère de l'Intérieur et s'est interrogé sur les raisons de ce silence. "Quels sont les critères adoptés pour la naturalisation ? (...) Est-il si facile de jouer avec la démographie du pays ?", a interrogé le député.
Il a aussi rappelé que "des mères libanaises réclament depuis des années de pouvoir donner la nationalité à leurs enfants". "Mais en vain ! Nous sommes aujourd'hui surpris de voir que la nationalité a été donnée à plus de 300 personnes ne résidant pas au Liban et que la majorité d'entre elles ne méritent pas la citoyenneté", a dénoncé M. Gemayel, avant d'ajouter : "Nous préparons une étude juridique pour faire appel contre ce décret, qui menace, comme d'autres décrets publiés auparavant, de changer l'identité du Liban".
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L'ex-ministre de la Justice Achraf Rifi a lui aussi violemment critiqué le décret. "Que la nationalité libanaise soit accordée à ceux qui la méritent est une preuve que le Liban applique les lois et protège les libertés des citoyens. Mais un décret de naturalisation qui pue le marché arrangé prouve que le pouvoir en place ne maîtrise que la politique de l'achat et de la vente. La nationalité libanaise n'est pas à vendre", s'est insurgé M. Rifi. Le ministre sortant de l'Information, Melhem Riachi, a, lui, appelé le président à ne pas signer le document.
Vendredi, le chef des Kataëb, Samy Gemayel a demandé à la présidence d'obtenir une copie du décret, ce à quoi le directeur général de la présidence de la République a répondu samedi en disant que "le ministère de l'Intérieur est l'autorité compétente concernée par cette demande". "La présidence a refusé de nous donner une copie du décret de naturalisation, bien qu'il s'agisse de l'autorité qui l'a émis", a écrit M. Gemayel sur son compte Twitter. "Elle nous a transféré au ministère de l'Intérieur, autorité chargée de mettre en oeuvre le décret. Nous ferons notre demande lundi auprès de ce ministère", a-t-il affirmé.
"De la compétence du président"
Le ministre sortant de la Justice, Sélim Jreissati, a indiqué vendredi dans un communiqué que le décret "relève de la compétence du président de la République et que le pouvoir d'accorder la citoyenneté est réservé au président". "Le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur contresignent le décret et c'est ce qui est arrivé", a-t-il dit. Le ministère a en outre précisé qu'il ne s'agissait pas d'un "décret collectif à l'instar d'autres documents qui avaient changé la démographie" du Liban. "Le nouveau décret rassemble des cas individuels", a ajouté le ministre.
La Fondation maronite dans le monde a de son côté expliqué qu'à la demande du président Aoun, elle a présenté 21 dossiers de familles afin que ces dernières obtiennent la nationalité libanaise en vertu d'un décret présidentiel. "Ces dossiers son ceux de femmes libanaises mariées à des étrangers et du sportif français d'origine libanaise Marvin Sarkis afin qu'il puisse faire partie de la sélection libanaise de Basketball", précise la fondation. Celle-ci a également noté qu'elle n'a aucun lien avec les noms des "hommes d'affaires de différentes nationalités qui circulent dans les médias".
Par ailleurs, une dispute a éclaté entre des étudiants partisans du Courant patriotique libre et d'autres des Forces libanaises, à la faculté de sciences politiques à l'Université libanaise, lors d'une discussion portant sur ce décret polémique. Les partisans des FL ont souligné "la nécessité de préserver l'identité et la terre libanaises", selon un communiqué de leur parti. "Malheureusement, des partisans du CPL, s'estimant provoqués ont agressé un de nos camarades", ajoute le texte. Un communiqué du CPL a été également publié expliquant que "ce qui s'est passé était le résultat de provocations continues".
Pour mémoire
Ilfaudrait qu'il commence par nous presenter leurs "mérites"?
23 h 23, le 03 juin 2018