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Liban - Circonscriptions

Législatives libanaises : Anatomie du vote au Liban-Nord III

Le CPL parvient à hisser Gebran Bassil à l’hémicycle et Boutros Harb perd la bataille pour la première fois depuis 1972.

La bataille électorale qui s’est déroulée le 6 mai dans la circonscription du Liban-Nord III (Zghorta-Bécharré-Koura-Batroun) était particulièrement fiévreuse, d’autant que c’est dans cette région à dominante chrétienne, et nulle part ailleurs, que se décidera l’avenir du leadership chrétien, voire même le profil du futur chef de l’État, selon diverses sources concordantes. La compétition a ainsi opposé les principales formations chrétiennes, en l’occurrence les Forces libanaises, les Kataëb, le Courant patriotique libre (CPL), les Marada ainsi que le Parti syrien national social (PSNS). Y ont également pris part des personnalités indépendantes à l’instar du chef du mouvement de l’Indépendance Michel Moawad, et des candidats potentiels à la première magistrature de l’État, notamment Boutros Harb, dont la présence politique à Batroun est historique et traditionnelle. Sur cet échiquier politique s’est greffée la société civile, qui s’est lancée dans la compétition sous le label Koullouna Watani. 

Conscients de la complexité de la bataille, certains candidats n’ont pas hésité à tisser des alliances que des observateurs politiques considèrent comme étant « contre nature ». Ils se sont présentés côte à côte aux élections en dépit de leurs orientations politiques diamétralement opposées, contrairement aux attentes de leurs bases respectives. On cite ainsi l’alliance tripartite entre les Marada de Sleiman Frangié, Boutros Harb et le PSNS. Un rapprochement que M. Harb a justifié à plusieurs reprises par les calculs électoraux dictés par la nouvelle loi. Cette liste a croisé le fer avec celle qui était parrainée par le CPL. Dans le prolongement de l’accord politique élargi qui avait donné le coup d’envoi à la présidence de Michel Aoun, le parti de Gebran Bassil s’est ainsi allié au courant du Futur pour mener la bataille au Liban-Nord III. Outre la dimension politique de ce choix – les deux partis ayant voulu assurer la pérennité du compromis de 2016 – ce rapprochement a revêtu une importance particulière au niveau électoral, puisqu’il a fait du bloc sunnite dans la région un électeur décisif. Si le tandem CPL-Futur a gagné son pari électoral en hissant deux cadres CPL au Parlement, il a également réussi à tisser une alliance avec le chef du mouvement de l’Indépendance, Michel Moawad, en dépit des divergences politiques sur des questions fondamentales entre ce dernier et les aounistes. Encore un pari gagné. M. Moawad occupe un des trois sièges maronites de Zghorta, et il fait partie du bloc dit Le Liban fort, parrainé par le CPL. Mais ce sont surtout les Kataëb et les Forces libanaises qui ont créé la surprise en se présentant côte à côte dans la circonscription. Les partis de Samy Gemayel et de Samir Geagea ont réussi à dépasser leurs querelles politiques principalement liées à leurs positions diamétralement opposées par rapport à l’accord de Meerab (conclu entre les FL et le CPL le 18 janvier 2016) et au compromis qui a mené Michel Aoun à la tête de l’État, et au gouvernement Hariri. Dans les milieux proches de Saïfi et de Meerab, on justifie cette alliance par la convergence de vues des deux partis sur les principes souverainistes pour lesquels ils ont lutté dans le cadre de l’alliance du 14 Mars. 


(Lire aussi : Anatomie du vote au Liban-Sud III... impossible !)



Les chiffres officiels
En dépit de l’importance de la compétition électorale dans cette circonscription, le taux de participation est resté faible, atteignant 43,24 %. C’est en tout cas ce que l’on déduit des chiffres officiels publiés par le ministère de l’Intérieur. 

Selon ces chiffres, parmi les 272 397 électeurs inscrits, seuls 117 811 ont voté. Le décompte fait également état de 2 015 bulletins annulés et de 1 130 blancs. Les suffrages exprimés s’élèvent donc à 115 796. Ceux-ci sont répartis comme suit : 1 130 bulletins blancs, 40 788 pour la liste « Ensemble pour le Liban et le Liban-Nord », regroupant les Marada, le PSNS et Boutros Harb. Quant à la liste « Le pouls de la République forte » née de l’alliance FL-Kataëb-Gauche démocratique, elle a obtenu 37 376 suffrages, contre 33 342 pour « Le Liban-Nord fort » parrainée par les formations de Saad Hariri et Gebran Bassil, alliées à Michel Moawad, et 3 160 pour le label Koullouna Watani. Le coefficient électoral est de 11 579,6. La liste de la société civile n’ayant pas atteint ce chiffre, elle n’a donc obtenu aucun siège. 

C’est à ce stade que l’on procède à la répartition des sièges entre les trois listes qualifiées. La liste « Le Liban-Nord fort » a enregistré un score de 2,96, soit deux sièges. Quant à l’alliance tripartite FL-Kataëb-Gauche démocratique, elle a obtenu 3,318, soit trois sièges, de même qu’« Ensemble pour le Liban et le Liban-Nord » (3,621). Les deux places vacantes sont attribuées aux listes ayant la décimale la plus élevée. À savoir « Le Liban-Nord fort » et « Ensemble pour le Liban et le Liban-Nord ». La première a donc trois sièges, alors que la seconde en a quatre. 


(Lire aussi : Législatives libanaises : Anatomie du vote à Saïda-Jezzine)



Le vote préférentiel
Pour ce qui est des gagnants (identifiés grâce au vote préférentiel), il s’agit de Tony Sleiman Frangié qui a obtenu 11 407 voix, et de ses colistiers Salim Saadé (PSNS) qui a enregistré un score de 5 263 voix, Fayez Ghosn (4 224) et Etséphan Doueihy (5 435 voix). 

Quant aux aounistes, ils ont profité de leur alliance avec le Futur pour mener leur chef, Gebran Bassil, à l’hémicycle. M. Bassil (qui avait pris part sans succès aux scrutins de 2005 et 2009) est d’ailleurs en tête des scores individuels, après avoir été crédité de 12 269 voix. Le CPL a, par ailleurs, gagné son pari sur Michel Moawad. Ce dernier s’est fait élire grâce à 8 571 votes préférentiels. Il est député de Zghorta, où les Marada ont longtemps monopolisé la représentation parlementaire. La formation fondée par le chef de l’État a opéré une percée significative à Koura (important fief des FL et du PSNS). Son candidat Georges Atallah occupe désormais un des trois sièges grecs-orthodoxes de ce caza avec 3 383 voix. 

Concernant les FL, elles ont affirmé leur hégémonie totale dans leur fief à Bécharré. D’autant que Sethrida Geagea et Joseph Ishac ont remporté la compétition pour les deux sièges concernés avec 6 677 et 5 990 voix respectivement. Et si la formation de M. Geagea a perdu un siège à Koura (l’ancien député Fadi Karam), elle a pu conserver son siège à Batroun. Elle a donc mené Fadi Saad à l’hémicycle (9 842 voix). 


(Lire aussi : Législatives libanaises : Anatomie du vote à Tripoli-Minié-Denniyé)


Loi complexe et abus de pouvoir
Bien qu’ils n’aient pas réussi à préserver le monopole de la représentation parlementaire de Zghorta, les milieux des Marada semblent satisfaits des résultats du scrutin. « Nous avons montré que nous sommes une force politique importante », confie à L’Orient-Le Jour une source proche de Sleiman Frangié. Dans les mêmes milieux, on déplore cependant des « abus de pouvoir » et « l’importance de l’argent électoral » durant le scrutin. Des pratiques également dénoncées par Fadi Saad, député FL de Batroun. Fadi Saad se dit toutefois satisfait. Et pour cause : « La proportionnelle a pu déterminer le poids populaire de chaque parti », dit-il, notant que son parti « n’a pas tissé des alliances faibles ou contre nature ». 

À son tour, Samer Saadé, ancien député Kataëb de Tripoli et candidat malheureux à l’un des sièges de Batroun, estime, dans un entretien accordé à L’OLJ, que « les gens n’ont plus espoir dans ce pays ». « Ils ont voté en pensant à leurs propres intérêts strictement personnels », déplore-t-il. Répondant aux accusations lancées contre son parti à cause de son positionnement politique, M. Saadé souligne que « les Kataëb ont payé le prix des choix des gens, mais aussi des grandes failles entachant la loi électorale, et des abus de pouvoir ». 

Enfin, Boutros Harb, ancien député et candidat malheureux à Batroun, estime que certaines parties ont voulu mettre fin au « phénomène Boutros Harb ». Contacté par L’OLJ, il fait état « d’ingérences flagrantes de la part du pouvoir en place dans le scrutin ». Il déplore aussi le fait que « les gens n’ont pas compris le nouveau code, d’où l’abstention populaire importante qui aurait influé sur les résultats ».


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