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Moyen Orient et Monde - Diplomatie

Succès mitigé de la conférence sur la Libye à Paris

Les quatre acteurs principaux libyens ont approuvé hier la tenue d’élections législatives et présidentielle le 10 décembre, mais leur mise en place s’annonce difficile.

Lors de la conférence sur la Libye, hier à l’Élysée, en présence des quatre principaux acteurs de la crise. Étienne Laurent/Pool via Reuters

Après de multiples efforts pour faire avancer le dossier libyen, Paris a réussi son pari de mener la danse sur la scène diplomatique, du moins sur la forme. Face à une crise qui n’en finit plus depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, le président français, Emmanuel Macron, a convié hier à Paris les quatre acteurs principaux sur la scène politique libyenne en présence de l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, le Franco-Libanais Ghassan Salamé. Le Premier ministre du gouvernement d’union nationale Fayez el-Sarraj, le maréchal Khalifa Haftar, qui a la mainmise sur l’est de la Libye, le président de la Chambre des représentants à Tobrouk, Aguila Salah, et le président du Conseil d’État à Tripoli, Khaled el-Mechri, se sont donc retrouvés à la même table. L’événement était une première alors que MM. Sarraj et Haftar s’opposent farouchement et que MM. Salah et Mechri ne reconnaissent pas leurs gouvernements respectifs.
Qualifiant le rendez-vous de « rencontre historique », M. Macron a estimé qu’il représente « une étape-clé pour la réconciliation » qui est « accompagnée par l’ensemble de la communauté internationale », tout en félicitant les représentants libyens.


(Pour mémoire : Libye : L’ONU appelle à faire avancer le processus politique)


Avant leur arrivée à Paris, les responsables libyens s’étaient mis d’accord sur une feuille de route devant être validée lors de la réunion d’hier face à vingt pays dont les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, des pays européens, du Maghreb et du Golfe concernés par le dossier libyen à différents niveaux. Le président Macron a souligné l’importance capitale de la présence de ces pays dont certains « ont parfois essayé de tirer les ficelles derrière les rideaux ces dernières années », alimentant le conflit libyen dans le cadre duquel les Émirats arabes unis et l’Égypte notamment soutiennent le maréchal Haftar alors que la Turquie et le Qatar appuient les islamistes. Alors que les parties libyennes en présence « ne se reconnaissent pas mutuellement », « plus personne ne pourra dire “je n’étais pas d’accord” », a noté M. Macron. Le document en huit points, qui porte sur les pans politique, économique et sécuritaire, a donc été approuvé oralement – et non signé comme initialement annoncé – par les représentants libyens. Marquant une avancée supplémentaire dans la crise, des élections législatives et présidentielle ont été annoncées pour le 10 décembre. « Nous nous sommes engagés (…) à œuvrer de manière constructive avec les Nations unies pour organiser (…) des élections dignes de foi et pacifiques, et à respecter les résultats des élections lorsqu’elles auront lieu », précise le texte approuvé par les parties libyennes en présence. Ces dernières ont également jusqu’au 16 septembre prochain pour adopter une « base constitutionnelle pour les élections » et des « lois électorales nécessaires ». La communauté internationale et l’ONU devraient, pour leur part, apporter « le soutien nécessaire » aux forces de sécurité libyennes « chargées de garantir le processus électoral ». « Ceux qui enfreindront ou entraveront le processus électoral auront à en rendre compte », indique le document final où il n’est plus question de sanctions claires à la différence des versions antérieures, a rapporté l’agence Reuters.


(Pour mémoire : Haftar veut réaffirmer son statut)

« Des raisons d’être sceptique »
« M. Macron a des raisons de se féliciter car il a donné à la France un grand rôle dans la recherche d’une solution sur la crise libyenne, mais il vaut mieux attendre avant de porter un jugement sur cette conférence », confie à L’Orient-Le Jour un diplomate proche du dossier ayant requis l’anonymat. Évoquant la réunion organisée par le président français à La Celle-Saint-Cloud en juillet de l’année dernière entre MM. Haftar et Sarraj à l’issue de laquelle un plan de sortie de crise avait été établi notamment pour lutter contre le terrorisme et permettre la tenue d’élections, le diplomate rappelle que « cette initiative, si elle était de grande envergure, n’a pas donné de suite ». « Il y a donc des raisons d’être sceptique », ajoute-t-il.
Les mesures approuvées hier s’inscrivent dans la continuité des déclarations faites par M. Macron avant la réunion. Le président avait déclaré que « la période que nous traversons impose des décisions, la capacité à rassembler et une volonté de réconcilier en laissant le peuple souverain s’exprimer ». Un point sur lequel il a insisté à différentes occasions, reconnaissant en février dernier la responsabilité internationale et française dans la situation dans laquelle se trouve désormais la Libye depuis l’intervention de l’OTAN en 2011. « Nous ne remplaçons pas les Libyens, ce sont eux qui s’entendent entre eux. C’est capital », a insisté, pour sa part, Ghassan Salamé, avant de se déclarer « optimiste » pour la suite.
La réunion est aussi vue par certains observateurs comme un moyen supplémentaire de consolider le poids politique du maréchal Haftar, qui s’était vu légitimé par la rencontre organisée par la France à La-Celle-Saint-Cloud. Ce dernier, qui a récemment été hospitalisé à Paris, a « plus de chances d’être élu si les élections sont rapprochées alors qu’il n’y a pas de grande personnalité sur la scène politique pouvant susciter un soutien des différentes régions », note le diplomate.

« Risque d’exacerber les divisions »
Le processus de Paris présente toutefois des limites alors que certains groupes libyens présents à Paris n’ont pas pu participer à l’approbation du texte final tandis que d’autres dirigeants manquaient à l’appel hier tels que, entre autres, ceux des puissantes milices à Misrata, dans l’ouest du pays, ou encore de la ville de Zenten. « De nombreux acteurs tant politiques que militaires se sont sentis exclus et n’ont pas hésité à crier leur mécontentement », note le diplomate. « Cette conférence n’est pas suffisamment inclusive pour permettre une sortie de la crise », poursuit-il.

La société libyenne qui se trouve dans une situation particulièrement complexe est encore trop fragmentée et n’a pas d’institutions politiques assez solides pour permettre de trouver une solution efficace et durable dans l’immédiat. Et ce d’autant plus que le contrôle des régions est réparti entre les groupes armés. L’accord final prévoit tout de même de « mettre fin progressivement à l’existence du gouvernement et des institutions parallèles », dont les forces armées. Il prévoit également l’unification de la Banque centrale libyenne. L’International Crisis Group notait en outre dans un rapport publié hier que « négocier par le biais de personnalités individuelles sans assurer un consensus plus large à travers le spectre politique et militaire risque d’être contre-productif ». Dans ce contexte, « toute précipitation pour organiser des élections est comme une fuite en avant qui risque d’exacerber les divisions », observe le diplomate en se référant aux élections législatives organisées en 2014 qui ont mené à une escalade dans le conflit libyen.

Enfin, le manque de précisions quant à la tenue des élections sur le plan légal a notamment été pointé du doigt par l’ONG Human Rights Watch. « La Chambre des représentants n’a pas encore adopté de nouvelle loi électorale, et un projet de Constitution proposé par l’Assemblée constituante en juillet 2017 n’a pas encore été soumis à un référendum national », rappelle l’organisation dans un communiqué publié hier. Selon le texte, « la Haute Commission électorale nationale, organe chargé de la tenue des élections, doit encore clarifier le cadre juridique de la participation des partis politiques et comment elle prévoit d’assurer la présence et la sécurité des observateurs indépendants et internationaux sur les lieux du scrutin ». Autant d’éléments qui pourraient compliquer un peu plus la mise en application concrète de l’accord conclu hier à Paris.



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