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Moyen Orient et Monde - Portrait

Le maréchal Haftar, émule de Kadhafi ?

Le leader de l’Est de la Libye se pose en homme providentiel, mais pourrait bien être le principal obstacle à une solution politique.

Le général Khalifa Haftar lors d’une conférence de presse à la base aérienne de Benina, à Benghazi, le 24 mai 2014. Esam Omran el-Fetori/Reuters

Dans le chaos de la situation actuelle en Libye, sept ans après le début du soulèvement qui aboutit à la fin du régime de Mouammar Kadhafi, émerge un homme qui ressemble à bien des égards à l’ancien dictateur, et ne cache pas son aspiration à accéder un jour au pouvoir. Le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle la Cyrénaïque (dans l’est de la Libye), s’oppose au gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, basé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale. Il soutient un gouvernement parallèle dans l’Est, qui conteste la légitimité du GNA, et dispose de nombreux appuis : il est soutenu par l’Égypte et les Émirats arabes unis, courtisé par les Russes et encouragé en sous-main par les Français.

L’homme fort de l’Est libyen a tenté de s’imposer fin 2017 comme la seule alternative au pouvoir, mais a fini, sous la pression, par annoncer qu’il soutiendrait la tenue d’élections, dont l’ONU espère la tenue en 2018, sans préciser s’il allait se présenter. « Haftar n’a pas de projet politique. Il est difficile de le contourner et il doit faire partie d’une solution, mais il ne peut pas être la solution », affirme un analyste libyen qui ne veut pas être nommé.

Le maréchal Haftar commande l’Armée nationale libyenne, composée de forces hétéroclites dont d’anciens officiers de l’armée libyenne, des miliciens, mais aussi des salafistes, et dans laquelle ses fils, dont Saddam et Khaled, commandent des bataillons. Il se pose en pourfendeur des jihadistes, mais il lui a fallu trois ans de combats meurtriers pour pouvoir annoncer, en juillet dernier, en avoir débarrassé Benghazi, deuxième ville de Libye. C’est au terme d’un parcours tortueux que cet officier septuagénaire contrôle aujourd’hui l’est du pays, ainsi que le Croissant pétrolier, et est présent dans le Sud.


(Lire aussi : Tarek Mitri : Les élections en Libye sont une fuite en avant)


Traversée du désert

Originaire d’Ajdabiya en Cyrénaïque où il est né en 1943, Haftar entre à l’Académie militaire de son pays à 20 ans. C’est là qu’il fait la connaissance d’un jeune homme impétueux du nom de Mouammar Kadhafi. Le groupe d’officiers est gagné par la fièvre nationaliste arabe et adhère aux idéaux du raïs égyptien, Gamal Abdel Nasser. Haftar participe au coup d’État qui renverse le vieux roi Idriss le 1er septembre 1969 et fait de Kadhafi, à 27 ans, le nouveau maître de la Libye. Il poursuit sa carrière sans encombre dans la Libye nouvelle, devient colonel et suit une formation militaire à Moscou.

En 1978 éclate le conflit entre la Libye et le Tchad voisin, et Khalifa Haftar participe aux combats pour le contrôle de la bande d’Aozou, au cours desquels il aurait commis de nombreuses exactions. Avec la victoire finale d’Hissène Habré, rebelle tchadien porté au pouvoir durant le conflit, en 1987, Haftar et des centaines de militaires libyens sont faits prisonniers par les forces tchadiennes. Survient alors ce qui a constitué pour lui un « véritable choc », selon des connaisseurs du dossier libyen : le colonel Kadhafi refuse de reconnaître que des soldats libyens se trouvent au Tchad et lâche son compagnon.


(Lire aussi : Qui sont les principaux acteurs du conflit libyen ?)


Les Américains, qui à l’époque cherchent par tous les moyens à renverser Kadhafi, parviennent à le libérer dans des conditions qui n’ont jamais été élucidées. Collaborant avec la CIA, il prend alors la tête d’un groupe de volontaires qui s’entraînent au Soudan et dans d’autres pays de la région avec l’objectif de renverser le guide de la Jamahiriya. Mais ces projets échouent et il obtient alors l’asile politique aux États-Unis où il s’installe dans une confortable villa, non loin du siège de la CIA.

Commence alors une traversée du désert pour Haftar, qui tombe dans l’oubli. Selon certaines sources, le régime de Kadhafi, ayant appris que Haftar avait des difficultés financières, l’approche dans les années 2000 et lui offre une aide matérielle ainsi qu’une maison en Égypte. Lorsque éclate le soulèvement du 17 février 2011, déclenché à Benghazi, qui se libère la première du joug du colonel Kadhafi, Khalifa Haftar entre dans la ville. Il se cherche un rôle, et une poignée d’officiers le proclament chef d’état-major, une nomination qui n’a toutefois jamais été officialisée.

Marginalisé, il attend son heure alors que le pays s’enfonce dans le chaos. En mai 2014, il annonce la création de l’Armée nationale libyenne et lance l’opération « Dignité » dans le but de détruire les milices jihadistes de Benghazi. Cette fois-ci, il parvient à s’imposer car il a de puissants appuis étrangers : les Émirats arabes unis, qui soutiennent tous ceux qui combattent les islamistes, le financent, et l’Égypte, pour laquelle le maintien de la sécurité à sa frontière occidentale est vital, est à ses côtés. L’officier se rapproche également de la Russie où il se rend à deux reprises et effectue une visite sur un porte-avions russe qui croise au large de la Libye. Et si le Kremlin reconnaît officiellement, à l’instar de la communauté internationale et de l’ONU, l’autorité du GNA, il affiche désormais son soutien à Haftar. Quant à la France, qui elle aussi proclame son appui au GNA, la mort en juillet 2016 de trois membres de la DGSE dans la chute de leur hélicoptère à Benghazi révèle qu’elle apporte une aide plus que politique à l’homme fort de l’Est libyen.


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« Une tasse de café instantané »

En septembre 2016, Haftar devient le premier maréchal de l’histoire de la Libye, grâce au Parlement élu de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale. Mais son succès le plus notoire est son annonce, le 6 juillet 2017, de la « libération totale » de Benghazi des jihadistes. Fort de cette victoire, le maréchal est invité à Paris avec le Premier ministre Fayez al-Sarraj le 25 juillet, et les deux hommes s’engagent en présence du président Emmanuel Macron sur un processus de sortie de crise. Mais leur rapprochement reste depuis laborieux et compromis par les incertitudes sur les intentions de Haftar, qui ne cache pas ses réticences à l’égard du plan de l’ONU prévoyant de prochaines élections.

« La Libye d’aujourd’hui n’est pas encore mûre pour la démocratie, confiait-il récemment à Jeune Afrique. C’est un mode de gouvernance qui s’élabore, qui ne s’impose pas du jour au lendemain. La démocratie est une culture qui se construit, ça n’est pas une tasse de café instantané. Elle est notre but, mais qu’il est prématuré de vouloir atteindre. Peut-être les futures générations y parviendront-elles. »


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