Le ridicule n’a plus de limite au Liban. Et l’atteinte à l’intelligence des Libanais se renouvelle à chaque occasion sans que les responsables concernés ne fassent l’effort de réfléchir quelque peu à l’absurdité de leur comportement insensé. Dans notre édition du 15 mai, nous avions vivement stigmatisé la décision de la Sûreté générale d’interdire l’entrée au Liban de quatre hebdomadaires français, Paris Match, Le Courrier international, Le Point et L’Obs, sous prétexte qu’ils ont publié un dossier sur Israël pour les 70 ans de la création de l’État hébreu.
Dans la journée d’hier, le Paris Match était disponible dans les librairies, mais... charcuté des pages portant sur Israël. Ces messieurs de la censure n’ont sans doute pas lu, ou vu, que le dossier incriminé comporte une interview d’un cinéaste israélien qui critique violemment la politique du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens et qui dénonce, de plus, « l’occupation à laquelle sont soumis les Palestiniens ».
Ces messieurs de la censure ignorent sans doute, en outre, que les Libanais sont suffisamment mûrs pour faire la part des choses et pour avoir une lecture critique des articles publiés dans la presse. Pire encore : ils ignorent sans doute qu’à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, tout article, d’où qu’il provienne, peut être téléchargé et lu par un seul petit clic...
Plus grave encore, la SG vit dans le déni et fait abstraction de la réalité objective. Elle a ainsi démenti hier avoir interdit la vente cette semaine des quatre hebdomadaires français précités. Pourtant, le responsable d’une grande librairie de la place a bel et bien indiqué hier à L’Orient-Le Jour que « le Courrier international, Le Point et L’Obs ne sont pas arrivés ». Quant à Paris Match, il était en vente hier, mais charcuté de plusieurs pages. De son côté, une source bien informée dans le milieu du livre a confirmé à L’Orient-Le Jour que les numéros en question ont bel et bien été interdits dans les kiosques.
(Repère : La censure au Liban, comment ça marche ?)
Le déni
Pourtant, interrogée par L’OLJ, une source autorisée au sein de la SG s’est dit « étonnée » des informations rapportées par L’OLJ. « Nous n’avons pas interdit ces publications, contrairement à ce que L’OLJ prétend, affirme la source sécuritaire. Nous avons autorisé la vente du Courrier international et de L’Obs. Par rapport au Point, c’est le distributeur lui-même qui ne l’a pas importé de peur qu’il ne soit interdit en raison d’un dossier et de publicités sur Israël », précise le responsable. Concernant le numéro de Paris Match du 10 au 16 mai, le responsable souligne qu’il a été autorisé à la vente « après que des pages comportant un contenu invitant à la normalisation des relations avec Israël » ont été découpées.
En dépit de ce démenti, Le Courrier international, Le Point et L’Obs étaient introuvables hier.
(Pour mémoire : Liberté de la presse ; Le Liban recule encore d’une place, dans le rapport de RSF)
« C’est un peu plus strict qu’avant »
Il reste que la source précitée du milieu du livre a souligné à L’OLJ que la censure est « de plus en plus pratiquée depuis que le Hezbollah a commencé à prendre de l’importance dans le pays ». « C’est un peu plus strict qu’avant par rapport aux questions relatives à Israël », révèle la source qui souligne que la censure touche beaucoup aussi bien les produits littéraires concernant Israël que ceux se rapportant à l’érotisme, par exemple. Selon la source en question, les numéros de la semaine des magazines précités ont tous été importés au Liban avant d’être interdits par la SG. « Paris Match a ensuite été autorisé après que les pages incriminées ont été découpées. Courrier international a été interdit au départ puis autorisé, mais c’était trop tard parce que le nouveau numéro était déjà sorti », souligne la source qui assure que Le Point a été interdit, tout en affirmant ne pas savoir ce qu’il en est de L’Obs.
« Dans les pays arabes, c’est pire. Nous jouissons encore d’une certaine liberté, mais il n’empêche que cette censure donne une mauvaise image du Liban qui se veut un pays libéral », ajoute la source.
Contacté par L’OLJ, Ayman Mhanna, directeur du centre SKeyes pour la liberté d’expression, estime pour sa part que ce genre de censure est « anachronique et inefficace dans un monde aussi connecté ».
(Pour mémoire : Inquiétudes de HRW et RSF pour la liberté d’expression au Liban)
M. Mhanna fait toutefois la distinction entre la liberté d’expression et la censure de publicités « dans l’optique d’un boycott commercial et économique d’Israël ». « Il y a ceux qui s’opposent à toute forme de censure et ceux qui veulent interdire la promotion commerciale d’Israël. Il s’agit de deux points de vue différents qui ont tous les deux droit d’avoir voix au chapitre », estime-t-il, ajoutant par ailleurs que SKeyes est « contre la pratique d’une censure préalable ».
M. Mhanna révèle par ailleurs le fait que certains distributeurs de livres ou de films décident par moments de ne pas importer certains produits culturels qui pourraient être controversés, « afin d’éviter les problèmes ». « Une des stratégies du bureau de censure libanais est de faire comprendre quelles sont les lignes rouges à ne pas dépasser de façon à ce que les gens les respectent par eux-mêmes, ce qui lui permet de ne pas apparaître comme un censeur », ajoute-t-il.
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commentaires (14)
Le Liban ( SG ) est plus royaliste que le roi...
Eleni Caridopoulou
19 h 00, le 19 mai 2018