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Moyen Orient et Monde - Irak

L’éreintant chemin de croix des chrétiens de Bagdad

Ils font profil bas et célèbrent leurs fêtes dans des églises bunkérisées. Alors que leur nombre se réduit de plus en plus, les chrétiens de Bagdad ont du mal à se sentir en sécurité.

À l’entrée de Notre-Dame de la Délivrance, les portraits des victimes de la prise d’otages du 31 octobre 2010.

Ils vivent en silence, repliés sur eux-mêmes et dans la peur. Ils savent, qu’un jour, il n’y aura plus aucun chrétien à Bagdad, probablement même dans tout l’Irak. Leurs églises sont bunkérisées, protégées par deux pans de mur en béton, des barbelés et des barrages…

Il n’est pas facile d’être chrétien aujourd’hui à Bagdad. En l’absence de chiffres exacts, on estime qu’ils ne sont plus que 300 000 en Irak, alors qu’ils étaient selon des sources concordantes 1,5 million, appartenant notamment aux communautés chaldéenne, assyrienne, syriaque-orthodoxe, syriaque-catholique et arménienne, en 2003, lors de la chute de Saddam Hussein.

Peu de chrétiens sont prêts à témoigner à visage découvert, probablement par peur de représailles. Rares sont aussi les chrétiens qui donnent leur avis sur la situation de leur pays ou qui défendent leur point de vue devant leurs compatriotes musulmans. Ils préfèrent se taire pour se protéger.

De nombreux chrétiens de Bagdad ne font pas confiance aux musulmans ou, pire encore, les craignent. Certains ne fréquentent que des personnes de leur communauté, d’autres, assez nombreux, refusent de recevoir des musulmans chez eux.

Le plus significatif également est que leurs chefs religieux préfèrent garder profil bas, l’un refusant d’accorder des interviews, un autre vantant la convivialité et le rôle des chrétiens dans le futur changement social en Irak, et un troisième rejetant des propos qu’il estime pouvant porter préjudice à sa communauté.

L’exode des chrétiens d’Irak n’est pas nouveau mais s’est véritablement amplifié en 2006. Dans le chaos ambiant, les milices ont commencé à sévir auprès des habitants chrétiens des villes, que ce soit à Bagdad ou à Mossoul, et cela à travers des enlèvements contre rançon ou des chantages financiers, les chrétiens se voyant obligés de payer de l’argent aux milices pour sécuriser leurs commerces ou leurs vies. Plusieurs personnes ont été assassinées.

C’est à cette époque que de nombreux chrétiens habitant les villes ont fui pour leurs villages d’origine dans la plaine de Ninive, où ils ont ouvert des commerces et construit des maisons, avant d’en être chassés en août 2014 par les jihadistes de l’État islamique. D’autres avaient pour leur part décidé de quitter le pays, arrivant en Jordanie, en Syrie et au Liban et demandant l’aide du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) pour être installés dans un pays tiers. Ce départ vers les pays voisins atteindra son apogée en 2014.


(Lire aussi : Quand seul un cimetière relie encore les réfugiés chrétiens à leur village natal)


L’église Notre-Dame de la Délivrance
Bedros, diacre d’une vieille église arménienne-orthodoxe de Bagdad, à l’icône miraculeuse vénérée par toutes les communautés chrétiennes, confie : « À un moment, c’était effarant. Les gens venaient par dizaines tous les jours pour brûler un dernier cierge devant l’icône de la vierge, me confiant qu’ils partiraient bientôt. Ils étaient tellement nombreux qu’à un moment, j’ai pris peur et j’ai appelé l’évêque pour voir si on pouvait faire quelque chose pour les empêcher de partir. ».

Il existe également une autre date charnière dans l’exode des chrétiens d’Irak, celle du 31 octobre 2010 marquant, lors d’une messe qui rassemblait plus de 200 personnes, la prise d’otages et le massacre de l’église Notre-Dame de la Délivrance des syriaques-catholiques qui a fait 45 morts, dont les deux prêtres célébrant la messe, et une centaine de blessés. Actuellement le dossier de béatification des victimes est en cours d’étude au Vatican.

« Il y avait eu des attentats contre les églises avant celui de Notre-Dame de la Délivrance mais celui-là avait eu un autre impact, vu peut-être le nombre des victimes ou la prise d’otages elle-même qui avait duré plus de cinq heures », se souvient Mikhaël, un rescapé dont le frère a péri lors de la prise d’otages.

Les violences contre les chrétiens et les églises se sont poursuivies après octobre 2010. Des prêtres ont été assassinés en plein ville et plusieurs églises ont été la cible d’attentats.

Bagdad comptait plus d’une centaine d’églises appartenant à toutes les communautés. Il n’en reste plus que 58. Les autres ont fermé leurs portes à cause d’attentats ou d’autres violences ou encore par manque de paroissiens.

Depuis quelques années, les chrétiens ne s’aventurent plus loin de chez eux. Leurs femmes ne sortent qu’en manches longues même en plein été. Certaines se couvrent les épaules d’un foulard qu’elles portent au-dessus de leurs vêtements.

Viviane, 21 ans, ne se retrouve pas dans les rues de sa ville, ne connaît ni ses jardins publics ni l’emplacement de la zone verte. « Je passe mon temps entre le travail à côté de chez moi, la maison et l’église. Quand je sors avec mes amis, nous allons dans des endroits sûrs, où on ne risque pas de croiser des personnes qui nous regardent de travers parce que nous n’avons pas la tête couverte. En tout, je connais trois ou quatre quartiers de la ville », dit-elle.


(Lire aussi : Le musée de Bagdad a récupéré près du tiers de ses objets pillés)


En attendant de partir…
Aujourd’hui, il n’y a pas une famille chrétienne à Bagdad dont tous les membres vivent encore dans le pays. Chacun a un frère, une sœur, un oncle ou une tante établi en Australie, au Canada, aux États-Unis, en Suède, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas ou ailleurs. Des centaines d’Irakiens chrétiens attendent aussi au Liban ou en Jordanie d’être relocalisés par le HCR dans un pays tiers.

De nombreux chrétiens de la capitale ne restaurent pas leurs maisons, ne les repeignent pas, n’effectuent pas des travaux… car ils savent qu’ils partiront bientôt.

Chaza, la soixantaine, veuve d’un riche commerçant, présente ses excuses en recevant dans sa villa qui date des années soixante-dix. Elle montre le mur qui se lézarde, la peinture qui s’écaille au plafond. Au deuxième étage, la moitié de ses affaires sont déjà empilées dans des cartons. « J’attends de vendre quelques terrains et de partir. Je compte m’acheter un appartement à Beyrouth pour m’y installer avec ma famille », dit-elle. « Je ne reconnais plus ma ville. Les changements opérés sont irréversibles. Chaque lieu me rappelle un mauvais souvenir. Il y a eu trop de morts et c’est pour cela que je partirai », ajoute-t-elle.

Ce sont les plus pauvres qui sont restés. Ceux qui n’ont pas les moyens de s’adapter au coût de la vie au Liban ou en Jordanie, ceux qui n’ont pas de famille proche établie à l’étranger avant l’occupation américaine de 2003.

Il y a aussi ceux qui ont fait carrière en Irak qui demeurent au pays, ceux qui ont un emploi bien rémunéré. Il s’agit de médecins, infirmières, ingénieurs, enseignants, fonctionnaires… De nombreux médecins chrétiens qui travaillent à l’hôpital Saint-Raphaël des catholiques, au cœur de Bagdad, ont transféré leurs familles en Jordanie. Ces spécialistes vivent seuls et se rendent auprès de leurs familles un week-end sur deux. De nombreuses femmes seules employées à Bagdad vivent soit dans la maison familiale désertée, soit dans des couvents de religieuses pour plus de sécurité.

Jamais la situation des chrétiens d’Irak n’a été aussi alarmante, même si de nombreux religieux et historiens évoquent les massacres perpétrés contre eux au fil des siècles depuis l’islamisation de la Mésopotamie il y a 1 400 ans.  Pour en revenir à l’histoire récente, les chrétiens d’Irak ont commencé à quitter leur pays en 1958 après le coup d’État qui a renversé la monarchie et ouvert la voie à des années d’instabilité, avant que le parti Baas ne consolide son pouvoir. Les nationalisations des années 70 ont alors poussé de nombreux chrétiens, qui étaient dans les affaires, à partir.
Les guerres qui se succèdent, avec l’Iran (1980-1988) puis la guerre du Golfe (1990-1991), ainsi que l’embargo qui s’ensuit, les poussent à l’émigration.  En 2003, les chrétiens de Bagdad ont vu dans les soldats américains des libérateurs, des alliés – chrétiens comme eux – qui les protégeront et les libéreront du sentiment d’être une minorité. Ils se sont trompés. Et depuis, même ceux qui avaient rêvé de démocratie et de liberté sous Saddam Hussein évoquent avec nostalgie des années passées sous la dictature, oubliant souvent qu’elle leur avait uniquement assuré la liberté de culte.

Maha, quant à elle, s’insurge : « Je veux savoir quels services a rendus Saddam Hussein aux chrétiens d’Irak ou à l’Irak tout entier. Il a éreinté le pays par les guerres, nationalisé l’éducation, baissant son niveau, volé les biens de l’État. C’était un dictateur qui a poussé toute personne éprise de liberté à partir. Les Américains n’ont pas fait mieux. Finalement tous se valent et nous payons et paierons encore le prix. »



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Finalement, Bagdad a su préserver une bonne partie de son âme...

Ils vivent en silence, repliés sur eux-mêmes et dans la peur. Ils savent, qu’un jour, il n’y aura plus aucun chrétien à Bagdad, probablement même dans tout l’Irak. Leurs églises sont bunkérisées, protégées par deux pans de mur en béton, des barbelés et des barrages…Il n’est pas facile d’être chrétien aujourd’hui à Bagdad. En l’absence de chiffres exacts, on estime...

commentaires (2)

A CAUSE DE LA MODERATION ET DE L,AMOUR QUE LES AUTRES CITOYENS LEUR PORTENT ( SIC ! )...

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 50, le 13 avril 2018

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Commentaires (2)

  • A CAUSE DE LA MODERATION ET DE L,AMOUR QUE LES AUTRES CITOYENS LEUR PORTENT ( SIC ! )...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 50, le 13 avril 2018

  • Tant de haine et d'ignorance envers les minorités et ceux qui sont diffetents, n'est il pas faiblesse intellectuelle et spirituelle ? De plus est, ces minorités sont les plus anciens habitants de la région. L'islam doit se remettre en question. Le pire ennemi de l'homme est lui meme, cet adage prend tout son sens ... La révolution culturelle engagée en Arabie Saoudite ... Est parfaitement bienvenue même si elle nous semble lente

    Sarkis Serge Tateossian

    09 h 28, le 13 avril 2018

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