Dans le brouhaha des cafés aux heures de coup de feu, dans la rue à l’ombre de quelque arbre oublié, à n’importe quelle ombre, entre valets parking désœuvrés et livreurs chevauchant nonchalamment de vieilles mobylettes immobiles, à l’entrée des immeubles, sous les auvents des commerces et, bien sûr, devant les miroirs des coiffeurs, on ne parle que d’eux, c’est la saison. Après les chanteurs de restaurants à fontaine et mezzé, voici pour nous distraire des embouteillages les aspirants députés ; ou soupirants, c’est selon. Chaque bavard y va de ses analyses et de ses pronostics avec la passion d’un turfiste et l’expertise d’un maquignon. Visiblement, à l’aune de ces conversations de commentateurs sportifs, le 6 mai prochain, il s’agira moins d’élections législatives que d’une sorte de concours de musculation, « développé, couché, incliné » pour emprunter le vocabulaire de cette discipline; cela ne s’invente pas. Entre deux publicités de boissons gazeuses, de fromage industriel ou de crèmes dépilatoires, leurs portraits nous regardent de haut. Déjà que le paysage n’est pas beau, il fallait qu’ils y ajoutent une couche. Déjà que nous ne les portons pas dans notre cœur, il fallait qu’ils nous imposent à longueur de route la vacuité de leur regard, leurs sourires cosmétiques et ces attitudes trop confiantes, arrogantes, conquérantes, dictées par leur coach de campagne, finalisées par une pichenette sur l’épaule. Non, nous ne les aimons pas, ces pansus de l’esprit, ces tuméfiés de l’ego, ces satisfaits de cacher le soleil et d’envahir les façades, ces candidats qui n’ont pas compris que l’enjeu, le privilège même de leur succès seront de servir et non de se servir, encore moins d’être servis.
Ce qu’ils nous ont fait? Rien, justement. De ce rien, nous avons composé un bouquet de haine. Avec leurs têtes, nous avons recréé ce jeu jubilatoire qui consistait dans les anciennes fêtes foraines à lancer des boules de son sur des figurines de personnages connus : le jeu de massacre. Nous n’aimons pas non plus, décidément pas, leurs slogans creux et leurs promesses sans objet. Que nous promettent-ils d’ailleurs, sinon d’être les plus forts, ce qui nous fait une belle jambe ; les plus probes, c’est mal parti ; les plus engagés, ce qui n’a pas plus de sens que laver plus blanc. Réservoirs de voix et réservoirs d’argent, voilà les deux nerfs de cette course pipée. Certes, le Parlement devra accepter à l’arrivée quelques nouveaux, quelques honnêtes et quelques femmes. On ne peut pas rester éternellement entre soi. Jetés dans la mare aux crocodiles, ceux-là devront faire l’objet de tous nos soins.
À la génération pliée aux courbettes, résignée aux coupures d’électricité, au rationnement de l’eau, aux cortèges agressifs et aux autoprorogations, habituée à n’attendre de ses édiles qu’une lichette d’asphalte sur des routes détruites par la première pluie tant le budget alloué à leur construction s’est dispersé en commissions, bouleversée dans ses deuils par l’apparition d’un responsable au rituel des condoléances, ébahie par la seule tenue d’un scrutin normal, succède aujourd’hui une jeunesse choyée, qui n’a pas vécu le chaos de la guerre et qui exige qualité de vie et équité. Il faudra en tenir compte.
Haltères ego
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 12 avril 2018 à 01h39
Avec ces portraits de nos futures marionnettes qui nous regardent de haut on dirait une invitation pour un film érotique dans un pays où tout est devenu vulgaire crasseux. Et vive nous libanais qui iront le 6 mai prochain et en moutons de Panurge pour voter.
16 h 43, le 12 avril 2018