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Moyen Orient et Monde - Témoignages

L’impossible retour, pour l’instant, des réfugiés syriens

« L’Orient-Le Jour » a recueilli la parole de réfugiés au Liban, en Turquie et en Jordanie, qui expliquent pourquoi ils ne prévoient pas de rentrer dans l’immédiat en Syrie.

Des enfants syriens réfugiés dans le camp d’Azraq en Jordanie. Archives AFP

Ils sont cinq millions et demi de Syriens à vivre, malgré eux, dans un pays qui n’est pas le leur. Sept ans après les premières manifestations populaires contre le régime, la question du retour des réfugiés reste en suspens. Malgré les cris de victoire des forces loyalistes et de leurs alliés russe et iranien, aucune partie n’est pour l’instant capable de gagner la paix et de permettre ainsi non seulement au pays de se reconstruire mais aussi à des millions de Syriens de rentrer chez eux. En visite vendredi dernier au Liban, le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, a estimé que le retour des réfugiés était « prématuré ». Qu’ils aient fui les bombes, les balles, les représailles du régime ou les conditions de vie, les réfugiés syriens dans les pays voisins espèrent pouvoir poser à nouveau un jour leurs valises sur leur terre natale. La grande majorité d’entre eux vit aujourd’hui en milieu urbain et quelque 8 % seulement sont logés dans des camps de réfugiés. Alors que 770 000 d’entre eux sont rentrés en 2017, L’Orient-Le Jour a recueilli le témoignage de réfugiés au Liban, en Turquie et en Jordanie, qui expliquent pourquoi ils ne prévoient pas de rentrer dans l’immédiat en Syrie. Les mêmes raisons reviennent le plus souvent : leur maison a été détruite, ils ne voient pas d’avenir en Syrie, ils ont peur des représailles du régime et pour les jeunes, ils craignent surtout d’être enrôlés dans l’armée.


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« Je n’ai pas choisi d’être au Liban, j’y suis obligé »
Au Liban, la vie est une lutte quotidienne pour plus d’un million de réfugiés syriens qui vivent sans ressources financières ou presque. Selon le HCR, environ 70 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. « Le pays est comme une mère. Il n’y a pas un seul d’entre nous qui ne voudrait pas y revenir », témoigne Abdallah*, 30 ans, sunnite, qui a fui Raqqa en 2013, soit un an avant que l’EI ne s’en empare. Ce jeune marié résidant à Dbayé en appartement, après avoir été longtemps dans un camp, espère revenir habiter en Syrie. « Mais je n’ai plus de maison et ma situation financière actuelle m’empêche de sauter le pas. »
 Karim* a le même âge, mais un parcours aux antipodes. Issu d’une grande famille damascène, le jeune homme regrette sa vie d’avant, « plus confortable ». Parti sur les chapeaux de roues avec les siens après que son père se soit fait tuer en 2012, Karim confie que son retour au pays est compromis tant que la situation sécuritaire désastreuse perdure. « Je n’ai pas choisi d’être au Liban, j’y suis obligé », dit-il. Pour échapper au service militaire obligatoire qui l’empêchait de revenir à Damas pour régler certaines formalités, le jeune architecte a dû verser un pot-de-vin de 8 000 dollars aux autorités.
Maria Malas, 22 ans, sunnite, damascène elle aussi, est rentrée hier dans son pays après avoir terminé ses études à Beyrouth. À la clef, un poste de coordinatrice au sein d’une ONG à Damas, afin d’aider ses compatriotes. « Je sais que je fais partie de ceux qui ont eu de la chance. Un toit, de la nourriture sur la table et de l’électricité m’attendent là-bas », raconte-t-elle quelques jours avant son départ.
 « 89 % des réfugiés que nous avons sondés ont affirmé vouloir rentrer dans leur pays, mais pas maintenant », a précisé Filipo Grandi qui s’est rendu au cours de sa visite dans des camps de réfugiés de la Békaa. Dina*, 23 ans, originaire de Daraya, est l’une d’entre eux. « Il n’y a plus rien là-bas pour moi. Ma famille est éclatée entre le Liban et l’Allemagne. Je ne rentrerai que si la guerre se termine, mais ce n’est pas pour bientôt », dit-elle. Aucun réfugié syrien ne peut aujourd’hui obtenir la nationalité libanaise.


(Lire aussi : Un retour des réfugiés syriens est « prématuré », affirme le chef du HCR)


« D’Antioche, j’attends que le régime tombe »
La Turquie, acteur du conflit syrien en tant que soutien de groupes rebelles, accueille quant à elle la grande majorité des réfugiés à l’étranger, soit plus de 3,5 millions de personnes. Yasser Barich, un activiste politique, dans la quarantaine, originaire de Saraqeb dans le rif d’Idleb, est exilé en Turquie depuis 2014. « J’attends que le régime tombe, que les bombardements russes cessent et que les milices iraniennes s’en aillent », confie-t-il. Ses positions anti-Assad et anti-islamistes l’empêchent de rentrer en Syrie, même s’il ne cache pas que la vie à Antioche n’est pas facile tous les jours.
Hala, 33 ans, mère de quatre enfants, a fui les bombardements d’Alep en février 2015. Après un périple éprouvant, la famille a rejoint des proches à Gaziantep où elle réside aujourd’hui. « Les débuts étaient très difficiles. Les Turcs sont profondément anti-Syriens et nous pointent du doigt pour justifier tous leurs maux. Même notre cuisine, la cuisine alépine, ne leur plaît pas », ironise Hala. « Avec la bataille de Afrine, ils disent même ne pas comprendre que des soldats turcs soient envoyés au front, alors que nous vivons paisiblement chez eux », dit-elle. Tant que la situation sécuritaire perdure, que les infrastructures ne sont pas restaurées mais surtout tant que le régime Assad est encore en place, Hala et les siens ne se voient pas abandonner leur vie en Turquie. « Surtout que les enfants ne savent presque plus écrire l’arabe et parlent couramment le turc », précise-t-elle.
Réfugié dans la même ville après être passé par Hatay, Antioche et Rihanieh, Ibrahim, un ingénieur IT anglophone et célibataire de 28 ans, peine à s’habituer à son statut de réfugié et à se construire un avenir. Après avoir été blessé lors des bombardements du régime sur Madaya, ce dernier avait pu être évacué de la ville assiégée lors des accords de février 2016. Passé de petit boulot en petit boulot, tels que technicien de surface dans un hôtel, télé-opérateur, support technique dans un magasin, cogérant d’une supérette, Ibrahim est aujourd’hui coordinateur au sein d’une ONG. « La question du retour est vraiment confuse pour moi. J’y pense tous les jours. Mais je ne veux pas rentrer tant que je ne peux pas apporter quelque chose à mon pays en échange », dit-il. N’ayant pas effectué son service militaire, Ibrahim sait ce qu’il risque s’il croise la route des soldats du régime. Selon la sous-commission sur les réfugiés de la Commission des droits de l’homme du Parlement turc, près de 55 000 Syriens sont actuellement en Turquie, dont plus de 25 000 mineurs qui ont obtenu la nationalité.


(Lire aussi : Farouk Mardam-Bey : Aucune des conditions requises de la paix civile n’existe en Syrie)



« En Jordanie, on a l’impression d’être des citoyens de seconde zone »
En Jordanie, plus de 655 000 hommes, femmes et enfants vivent actuellement en exil, selon le HCR. Environ 80 % d’entre eux vivent en dehors des camps, tandis que plus de 139 000 autres ont trouvé refuge dans les camps de Zaatari et d’Azraq. Imad*, 24 ans, vit à Amman depuis 2014 et a l’intention de rentrer en Syrie d’ici à un an ou deux. Tout d’abord parce que ses parents vivent toujours à Damas et qu’ils ne comptent pas partir, mais aussi parce qu’il est confronté à de nombreux obstacles dans son pays d’accueil. « On a l’impression ici d’être des citoyens de seconde zone. Je suis en règle avec les autorités syriennes, un casier judiciaire vierge, donc je peux rentrer même si la situation sécuritaire est inquiétante », dit-il.
Les réfugiés syriens ne peuvent pas obtenir la nationalité jordanienne. Ahmad Rahal, 25 ans, a fui Homs à cause des bombardements du régime en 2014. À ce moment-là, seul le chemin vers la Jordanie était possible. Après avoir habité un temps dans le camp de Zaatari, le jeune homme vit aujourd’hui dans la ville de Zarqa, au nord de Amman. Après des tentatives infructueuses pour reprendre ses études, Ahmad est parvenu à obtenir une bourse afin d’étudier le journalisme. « Je ne pense pas du tout au retour, tant que le régime est présent, la torture, les massacres et tout ce qui va avec… », poursuit-il. Les conditions de vie étant extrêmement difficiles pour lui en Jordanie, il espère partir « dans n’importe quel autre pays étranger » au plus vite afin de se créer un avenir meilleur.

*Les prénoms ont été modifiés.


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