Aux belles heures de la vie de Beyrouth, lorsque le transport public était bien implanté et desservait tous les coins du pays, cet heureux temps où les trams transportaient les abonnés vers leurs lieux de vie, le nom des arrêts et de l’itinéraire de ce moyen de transport idéal permettait alors de se diriger et de se situer dans la ville.
Sur ce parcours, qui démarre au nord de Beyrouth, l’on entrait dans la ville par Bourj Hammoud, actuellement baptisée rue d’Arménie, et poursuivait la promenade jusqu’au centre-ville et la place des Martyrs. Un des arrêts les plus célèbres et les plus fréquentés était celui de Accaoui, situé entre l’école des Trois Docteurs et les deux églises St-Antoine, l’une maronite et l’autre grec-catholique. L’arrêt Accaoui, ainsi baptisé en raison d’un magasin qui se trouvait ici, fut inspiré de Acca, en Palestine. La « montée » Accaoui, qui mène au Centre Sofil, devient ainsi son nom officiel.
Et pourtant, son vrai nom n’est autre que la rue Michel Bustros en raison du palais Bustros, siège actuel du ministère des Affaires étrangères, situé à quelques mètres du Centre Sofil et du cinéma Metropolis. La rue, montée ou descente, est en pente. Un de ses murs était, jusqu’à l’an dernier, le théâtre street art de grandes activités culturelles et artistiques internationales. C’est ici que cette partie d’Achrafieh se divise en deux secteurs : le très raffiné Sursock, d’une part, et le plus populaire et plus dense quartier de l’hôpital grec-orthodoxe, de l’autre. D’un côté de ce mur virtuel, d’anciennes maisons, dont celle de Lady Cochrane, de beaux immeubles résidentiels des années 70 à aujourd’hui et une verdure luxuriante. Et de l’autre, une végétation désordonnée, un chaos charmant qui donne aux lieux un charme différent.
À pile ou face
Un des endroits marquants du quartier, côté bourgeois, est la rue de l’archidiocèse orthodoxe, devenue la rue Sursock (avec son escalier qui mène à la rue Gouraud), et le musée et le palais éponymes. Le magnifique musée Nicolas Ibrahim Sursock, autrefois sa demeure, construit en 1912, a été, selon les dernières volontés de son propriétaire, mécène et collectionneur d’art, légué à sa mort en 1951 à l’État libanais. En 2008, il a été fermé pour des travaux menés par les architectes Jean-Marie Wilhmotte et Jacques Abou Khaled, qui auront duré 7 ans. Le 8 octobre 2015, le musée d’art moderne et contemporain, rénové et agrandi, a ouvert ses portes sur de nouvelles salles, une sublime esplanade et un charmant restaurant, sous le regard protecteur des pleureuses de Youssef Hoyek. Dans les environs, la prestigieuse villa Audi, ancienne banque transformée en musée de la collection personnelle des mosaïques de Raymond Audi, et la villa Sursock accueillent divers événements et réceptions. Cette rue est sans doute l’une des plus belles à sillonner dans Beyrouth, tant pour ces bâtisses que pour les maisons de périodes et de siècles différents qui y sont logés en toute élégance. Le Centre Sofil, un peu plus haut, est devenu une référence culturelle et artistique. Un arrêt obligé pour les nombreux festivals de cinéma qui se déroulent dans ses salles. Cette rue emprunte d’ailleurs également le nom de Sofil. Pendant la guerre civile, on l’appelait même « SKS », du nom d’une caserne abritant un service de sécurité du parti Kataëb.
Un peu plus loin, et avant d’arriver à l’école La Sagesse, une autre pente mène à la place Sassine, le point le plus élevé de Beyrouth. Imaginez donc ce que c’était, il y a quelques années. Un point de la ville avec vue sur la mer, parsemé de toits rouges, de maisons anciennes et de demeures qui composaient avec beauté un paysage urbain aujourd’hui défiguré. Le Centre culturel brésilien, des marchands de fleurs, quelques boutiques et un producteur d’huile d’olive y ont pignon sur rue.
Une rue qui reflète dans son ensemble et ses détails le visage d’Achrafieh. Vallonnée, parsemée de palais, d’hôtels particuliers, de résidences, de petits marchés aux fruits, entourée d’arrêts culturels, portant deux noms, l’un populaire et l’autre officiel. Mais pour les Beyrouthins, il s’agira de « la montée Accaoui ». Ou « la descente », c’est selon...
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*Il a sillonné les rues de Beyrouth à pied, plongé dans ses entrailles durant des mois entiers, erré dans ses dédales, pour y décrypter les vrais noms, avant que des coïncidences, des (mauvaises) habitudes les aient changés. Bahi Ghubril en a constitué des plans, des cartes, des guides et un label : Zawarib Beirut. Il devient ainsi, une semaine sur deux, et pour notre plus grand plaisir, le guide des lecteurs de « L’OLJ », irréductibles amoureux de cette ville aux mille parfums.
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Bon article qui donne envie de promener à Beyrouth et découvrir à pied les collines / montagnes sur laquelle la ville est construite.
15 h 59, le 10 mars 2018