Nous voilà à Hamra, l'une de ces destinations qu'on aime, intemporelle, rêvée par les touristes, qui a pris de nouvelles identités à une vitesse vertigineuse au cours de ces dernières décennies, tout en conservant, comme un murmure, les souvenirs du passé. Ce secteur de la ville continue de proposer un kaléidoscope de styles de vie qui varient au gré du temps, se transforment d'une rue à l'autre, prennent des visages différents, qu'ils soient de jour ou de nuit, en semaine ou en week-end.
Lorsque le révérend Daniel Bliss achète au XIXe siècle ce qui est actuellement l'AUB (alors le Collège protestant syrien), le lieu était une décharge urbaine infestée de voleurs. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, Hamra est restée un terrain agricole étendu à l'ouest de la vieille ville. Il faudra attendre les années 40, lorsqu'elle sera enfin pavée, pour voir la rue se transformer en un centre commercial et intellectuel. Théâtres, cinémas, immeubles résidentiels, centres culturels et commerciaux ont commencé à planter leurs repères auprès de manoirs plus anciens durant les premières années de notre République. Certains existent encore aujourd'hui, cohabitant avec des constructions plus modernes.
Les années noires de la guerre civile et la décennie qui a suivi ont été particulièrement dures et violentes avec la rue Hamra. Un grand nombre de ses habitants et commerces ont pris la fuite et sont partis s'installer ailleurs, loin des bruits puis des souvenirs de guerre. La démographie en a été dramatiquement affectée.
L'énergie de Hamra avait changé. Le cœur de l'économie, de la culture et de l'art des années 50 et 60 a enfin retrouvé sa place ces dernières années, animée d'une activité intense, de jour comme de nuit. Que ce soit pour découvrir l'artisanat local, prendre un café ou un dernier verre, c'est là qu'il fait bon être pour ressentir l'âme de la ville.
Pour moi, ce qui rend Hamra tellement exceptionnelle, c'est qu'elle est une illustration de notre ville et de notre pays en général.
Côte à côte, les bâtisses des années 20 et 30, souvent inhabitables, encore peuplées de vieilles familles beyrouthines ou transformées en centres culturels, cachées derrière de généreux arbres locaux, se dressent fièrement auprès des immeubles récents.
Architecture brute des années 50, balcons recouverts de larges pans de mosaïques des années 70, constructions chaotiques des années de guerre ou tours égocentriques du XXIe siècle, tous ces éléments disparates mais quelque part bien assortis contribuent à dessiner le paysage de ce coin de la ville. Tous sont à leur manière Beyrouth et la font.
Des vibrations entre passé et présent
Ainsi, la Bibliothèque nationale du Liban, qui était autrefois la faculté de droit et des sciences politiques, est un bel exemple d'architecture du XIXe siècle conservé et, mieux encore, rénové dans un style raffiné qui en a fait un magnifique écrin pour des expositions diversifiées et à venir, et pour les archives nationales où seront proposés et conservés livres, quotidiens et magazines.
En face, la Banque centrale (Banque du Liban), datant des années 50, a été brillamment prolongée d'un bâtiment moderne qui abrite également un magnifique musée conçu par la firme canadienne Lord.
Plus loin sur la rue Hamra, le mythique Strand, qui était un des principaux lieux de divertissement, avec son théâtre et son cinéma, est à présent un centre commercial. Le passant peut retrouver, en flânant devant son enseigne et son architecture encore très présente, les traces de sa gloire passée.
Au coin se situe la rue Jeanne d'Arc qui propose une série de boutiques, de cafés et de restaurants. Elle fut baptisée ainsi en raison d'un théâtre éponyme, aujourd'hui disparu, qui trônait dans cette rue. Tout le quartier, jusqu'à la rue Jabre Dounit, porte aujourd'hui, sans que l'on ne comprenne vraiment pourquoi, le nom de Jeanne d'Arc. C'est un de ces reflexes locaux, un GPS très personnel, typiquement beyrouthin, qui a tendance à rebaptiser le nom des rues sans logique ou raison apparente, empruntant le nom du boulanger du coin, de la pharmacie ou encore d'une personnalité habitant le quartier, conservant ainsi un lien tenace avec la mémoire et le passé... La rue Khalidy en est un exemple récent, qui a emprunté son nom à une maternité célèbre pendant de nombreuses générations et qui n'existe plus. Le nom, lui, existe toujours ... Juste à proximité, le cinéma Edison, un des fantômes les plus bavards des années glorieuses, continue de raconter des histoires d'antan.
Hamra est, comme elle l'a toujours été, un mélange de genres, de lieux, d'époques, d'ambiances, dans un même (relativement) petit espace. En se baladant sur sa rue principale, défilent dans nos mémoires assoiffées de tendres souvenirs, les belles images du cinéma Saroulla, du Horse Shoe, du Wimpy, du Barmaki, de l'ancien immeuble de L'Orient-Le Jour et d'an-Nahar, de l'Express... Le présent se superpose à ce voyage dans le passé grâce aux enseignes plus jeunes et plus récentes. Les kiosques qui proposent quotidiens et magazines gardent des relents de ce passé et établissent le lien entre ces deux périodes, créant un dialogue entre les résidents et les visiteurs, le calme et l'animation des lieux.
Peut-être que tous ces éléments réunis offrent la meilleure réponse à la source de son nom : Hamra. Une énergie rouge passion toujours au bord de l'explosion. Un beau feu d'artifice...
*Il a sillonné les rues de Beyrouth à pied, plongé dans ses entrailles, pour y décrypter les vrais noms, avant que des coïncidences, des (mauvaises) habitudes, ne les aient changées. Bahi Ghubril en a constitué des plans, des cartes, des guides et un label : Zawarib Beirut. Il devient ainsi, un samedi sur deux, le guide des lecteurs de « L'OLJ », irréductibles amoureux de cette ville aux mille parfums.
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Quel plaisir de se remémorer la Beyrouth de ma jeunesse , la rue Jeanne D'Arc que nous avons habitée des années ! Merci pour cet article !
08 h 59, le 08 octobre 2017