Il fut un temps où il suffisait de faire une pause place Sassine pour se sentir perché sur le plus haut point de Beyrouth. Un poste d'observation privilégié sur les collines et maisons familiales, à partir duquel le regard glissait doucement vers Gemmayzé ou, plus à l'ouest, vers Zokak el-Blat, le centre-ville et le port. Avant de se lancer abruptement vers la rivière de Beyrouth. Ce coin est actuellement baptisé Karm el-Zaytoun et Sioufi.
Aujourd'hui, avec l'urbanisation, les belles et vieilles maisons que l'on regrette tant ont disparu, mais l'esprit demeure. Et la promenade à pied de la place Sassine vers l'avenue de Mar Mitr, en passant par son cimetière, exprime parfaitement pourquoi Achrafieh, vue d'en haut, fut ainsi baptisée. Le mot Achrafieh a, dit-on, plusieurs origines : un hommage à Achraf Khalil, un dignitaire ottoman qui avait acheté la région lorsqu'elle n'était qu'un grand terrain ; le verbe arabe yashrouf (qui donne sur), car c'est une colline qui domine la ville ; ou encore, supposition un peu plus prétentieuse, le mot charaf, orgueil, celui attribué aux habitants de ce quartier.
Hommage aux vivants et aux morts
La communauté grecque-orthodoxe de Beyrouth a choisi cette région pour établir l'un de ses plus beaux cimetières, à la fois discret et impressionnant, élégant surtout, en le baptisant (en arabe) du nom de saint Demetrius : Mar Mitr. De Sassine à Spinneys, le cimetière accueille dans ses murs sacrés quelques-unes des familles les plus célèbres de la ville. Les caveaux en marbre, majestueux, qui racontent leur histoire et leur descendance offrent de beaux moments de contemplation et de silence. Pour une vue plongeante sur le cimetière, il suffit de se hisser au dernier étage... du parking de l'ABC !
Au carrefour, souvent très embouteillé, une modeste et petite rue charmante commence à connaître un certain succès auprès de nouveaux « locataires », des étrangers et de jeunes couples. Également connue sous le nom de Mar Mitr, mais officiellement baptisée Saint-Louis, elle recèle des maisons anciennes qui disparaissent peu à peu. À droite, House of Zejd est un fou d'huile d'olive et de ses produits dérivés. Un peu plus loin, le centre culturel brésilien, situé dans un immeuble rénové avec goût, offre en partage la musique, les couleurs et les saveurs du pays.
En poussant la promenade, le regard se perd dans un mélange d'anciennes bâtisses et d'immeubles plus modernes, d'appartements de luxe et de restaurants variés. La villa Bustros, construite à partir de 1863 par Gerios Tuéni, et qui s'appelait alors Teswinet el-Tuéni, le muret des Tuéni, une des plus belles demeures libanaises encore préservées et habitées, se dresse, fièrement mais aussi discrètement.
Les buildings ont insufflé un côté chic au quartier. L'on retiendra notamment la Netherlands Tower qui abrite l'ambassade des Pays-Bas et qui cohabite parfaitement avec le centre Sofil, juste en face, et le Metropolis, un des derniers bastions culturels pour cinéphiles avisés. À côté et derrière l'église Saint-Nicolas, la villa Audi, un autre bastion, cernée d'un jardin à la fois coquet et élégant, est un lieu magnifique où sont organisées des expositions ponctuelles. La collection de mosaïques qu'elle abrite est un pur trésor. C'est là que le nom de la rue change pour devenir Sélim de Bustros. C'est aussi là que le jardin public de Mar Nicolas, malgré le fait qu'il soit trop discret et souvent oublié, propose aux passants une (belle) pause. Une parenthèse au calme pour le promeneur, au milieu de sculptures romaines et face à un bassin rectangulaire autour duquel rêveurs, habitués, joueurs de tawlé et vieux amis refaisant le monde viennent se poser. En empruntant les escaliers qui se trouvent juste au bout du jardin, en poursuivant sa balade sans se presser, l'on tombe sur un célèbre vendeur de fruits et légumes, un bijoutier, un club de sport, une galerie moderne, KAF, qui présente des œuvres d'artistes locaux, un vendeur de glace libanaise, l'internationalement célèbre Hanna, un spécialiste du miel, un barbier excentrique des années 70, qui se partagent les ruelles et leur donnent une douceur et une certaine tendresse inattendue.
Les vieilles demeures ont certes disparu, les collines aussi, et pourtant, Beyrouth se trouve ici au meilleur de sa forme et a encore plus de choses à proposer. De belles surprises aussi.
*Il a sillonné les rues de Beyrouth à pied, plongé dans ses entrailles, pour y décrypter les vrais noms, avant que des coïncidences, des (mauvaises) habitudes, ne les aient changées. Bahi Ghubril en a constitué des plans, des cartes, des guides et un label : Zawarib Beirut. Il devient ainsi, un samedi sur deux, le guide des lecteurs de « L'OLJ », irréductibles amoureux de cette ville aux mille parfums.
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17 h 05, le 06 janvier 2018