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Idées - Point de vue

Mutuelles contre assurances : une lutte fratricide inutile

Illustration : Nik_Sorokin/Bigstock

Dans une société, la mission des gouvernants consiste notamment à : assurer le bien-être social à tous; l’éducation pour tous; la protection des droits de chacun par la loi ; la protection des frontières par les forces armées légales et la jouissance des infrastructures publiques.

Les citoyens sont ainsi appelés, à travers la fiscalité, à financer intégralement les coûts engendrés par la justice, la défense et les infrastructures. Quant à la santé, elle est prise en charge partiellement par le Ministère de la Santé, ainsi que par des caisses nationales semi-autonomes (CNSS, Coopérative des fonctionnaires, budget médical de l’Armée, FSI etc.). Aux côtés de l’État et de ses caisses semi-publiques, plus de 1 million de Libanais  bénéficient de programmes santé souscrits par des assureurs privés ou de mutuelles en complément de la CNSS ou à partir de la 1e livre libanaise.

Transfert de responsabilité
L’éducation privée est entièrement financée par les citoyens. Ce phénomène social, qui n’est pas unique au Liban, représente un transfert de responsabilité social tacite de la part de l’État vers les citoyens eux-mêmes.  C’est dans cet esprit que les frais de scolarité ne sont pas sujets à la taxe de la valeur ajoutée (TVA). Dans la même logique, l’État est dans l’obligation morale de supprimer les taxes perçues aujourd’hui sur les polices d’assurance santé ; puisque chaque citoyen assuré auprès d’un assureur privé contribue d’une part à l’accomplissement de l’objectif de « bien-être social pour tous » et d’autre part à la réduction des aides sociales procurées par le ministère de la Santé. La taxe municipale de 6 % ainsi que les 5 % de frais de timbres revenant au Ministère des Finances sont dus par tout assuré auprès d’une compagnie d’assurance santé, sont une hérésie fiscale. Tout au contraire, les frais d’assurance santé payés par les citoyens devraient bénéficier d’avantages fiscaux.

C’est dans cet esprit que le législateur français et de plusieurs autres pays, ont, au lendemain de la seconde guerre mondiale, permis aux citoyens de se regrouper et s’organiser en mutualistes afin de répondre à leurs besoins sociaux. Ces mutuelles dont le but est non lucratif et appartenant à leurs adhérents, sont exemptées de taxes, timbres et impôts.

Une loi similaire, inspirée par la loi française, fut votée par le Parlement libanais en 1977 et règlemente les mutuelles selon le décret-loi 35/77. Les mutualistes libanais sont, contrairement aux assurés du secteur privé, exemptés des taxes perçues de ces derniers respectivement par le trésor municipal et le trésor public. Les mutuelles sont de même exemptées de l’impôt sur le profit ou plutôt le surplus. Ce surplus devant contribuer à alléger les mutualistes du poids des cotisations. 

Malheureusement, les assureurs privés ont réagi instinctivement voire même superficiellement sans aucune tentative de réflexion en profondeur.  Pour eux, les mutuelles étaient des concurrents qui bénéficient d’office d’un avantage fiscal. Certains ont même dénoncé « une concurrence déloyale ». D’autres plus opportunistes ont exploité la loi des mutuelles en créant des mutuelles artificielles permettant aux compagnies d’assurance privées instigatrices de celles-ci de bénéficier des exemptions fiscales tout en siphonnant les cotisations de ces mutuelles artificielles vers leurs caisses.

Feuille de route
Pourquoi ce débat qui a débuté en 1987 n‘a jamais été réellement mené sans préjugés de part et d’autres ? Les ministères de l’Agriculture, de l’Économie et des Finances (et pourquoi pas le Ministère de la Santé) devrait convier aussi bien des représentants des compagnies d‘assurance privées que des spécialistes de la mutualité a une table ronde et attaquer le problème de face.

La faiblesse  principale des mutuelles reste le régulateur actuel : un organisme noyé dans le directoire des coopératives opérant sous la houlette du Ministère de l’Agriculture. L’autre faiblesse étant les « fausses » mutuelles, créées par des compagnies d’assurance et/ou courtiers d’assurance.  Ces 2 faiblesses de taille devraient être sérieusement mises à nu et des mesures correctives devraient être prises, à travers une feuille de route précise.

D’abord, le régulateur naturel des mutuelles devrait opérer sous la houlette du ministère des Finances. Ce dernier qui accorde les avantages fiscaux devrait s’assurer que ces mutuelles ne sont pas malicieusement exploitées pour évasion fiscale. Il n‘est pas recommandé de transférer le rôle de régulateur au ministère de l’Économie, qui s’acquitte très bien de son rôle de régulateur des assureurs, préservant ainsi la dynamique sociale positive créée par les assureurs et les mutualistes, des conflits d’intérêts et du monopole régulateur.

Ensuite, le régulateur devrait établir des tableaux de bord permettant d’identifier facilement les fausses mutuelles. Une des indications étant le ratio payé par une mutuelle aux réassureurs et compagnies de gestion : par exemple, si ce ratio est supérieur à 40 % des cotisations perçues, cette société est une fausse mutuelle. Évidemment, un tableau de bord sophistiqué doublé d’un accès informatique à toutes les mutuelles devrait être mis en place par une équipe adéquatement formée.

Dans le but d’assainissement du bien-être social, la contribution de l’État devrait également se traduire par l’abolition de la taxe municipale de 6 % et celle de  5 % de droit de timbres perçue par le Ministère des Finances sur les polices d’assurance santé. Ces 2 impôts sont payés par les assurés et non pas par les assureurs.

Il faudrait enfin promouvoir la mutualité au Liban. Plus le nombre de mutualistes augmente plus on se rapproche de l’accomplissement de l’objectif du bien-être social. Promouvoir la mutualité et inciter les Libanais à s’organiser dans des mutuelles est une responsabilité économique-sociale.  En France il existe 55 millions de mutualistes. Pourquoi pas 4 millions de mutualistes libanais ?

Il s’agit, en définitive, de promouvoir un véritable modus vivendi entre assureurs et mutualistes. Ces deux antagonistes artificiels sont en fait complémentaires l’un à l’autre.  Remplaçons donc le dialogue de sourds qui dure depuis presque 31 ans déjà par des actions responsables et réfléchies visant à préserver aussi bien les intérêts des citoyens que celui du trésor public, sans oublier les intérêts légitimes des assureurs.


Roger Bejjani est le fondateur et directeur général de la société Senior Perform SAL. Il a notamment participé à la conception de la Mutuelle des employés de banque.

Dans une société, la mission des gouvernants consiste notamment à : assurer le bien-être social à tous; l’éducation pour tous; la protection des droits de chacun par la loi ; la protection des frontières par les forces armées légales et la jouissance des infrastructures publiques.Les citoyens sont ainsi appelés, à travers la fiscalité, à financer intégralement les coûts...

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