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Liban - La vie, mode d’emploi

98 – Le salut par le pardon

L’appel au pardon faisant la manchette de votre journal, et, qui plus est, lancé par un homme politique, c’est comme une main tendue face à des machettes brandies, un gazouillement d’enfant au milieu d’une chamaillerie d’adultes, une coulée de fraîcheur au sein de la fournaise. Vous multipliez les images pour essayer de comprendre le sentiment d’étrangeté qui vous a saisi en lisant ce gros titre. En vain. Alors vous vous laissez aller aux libres associations qui, paraît-il, ont une efficacité à toute épreuve (parce que contre toute preuve, précisent les mauvais esprits que vous n’êtes pas obligé de toujours écouter). Un souvenir de votre lointaine enfance s’impose à vous : la cour de récréation dans une école de religieuses, où, à chaque gnon ou grognon, on vous disait qu’il fallait consentir au pardon ou demander pardon ; le résultat de cette pédagogie de la réconciliation était que les petits auriculaires des adversaires, qui s’étaient publiquement crochetés pour signifier officiellement qu’on se séparait (ils ne se liaient si fort et en cadence que pour mieux se délier et se désaccorder), devaient se dépêcher de se réunir aux autres doigts de leurs mains pour que celles-ci puissent se serrer avec la chaleur requise – les encouragements des maîtresses et des camarades y aidant bien sûr. Que devez-vous déduire de ce retour en arrière ? Que la bizarrerie du recours au pardon par des hommes politiques, habitués à l’invective et la vindicte la plus tenace au point de ne lâcher leur victime qu’après s’être assurés qu’elle est plus morte que vive, venait de ce que, soudain, « la cour des grands » vous a paru être la cour des petits en grand ? Que derrière l’incitateur à la magnanimité vous avez vu poindre la cornette d’une religieuse cherchant à apaiser ses petites chiffonnières, fillettes de six ans se traitant de vilaines et se tirant les nattes comme on fait ding dong ? Envisagée de la sorte, la bizarrerie devient amusante et plaisante. Grâce à un dérapage verbal et un essai de rattrapage, vous avez été ramené à une époque très reculée de votre passé et avez gagné des instants au goût onctueux d’une religieuse au chocolat. 

Mais, la vie s’amuse elle aussi, ou, peut-être, est-ce son sérieux. Quoi qu’il en soit, engagé encore dans votre quête d’explication du sentiment d’étrangeté éprouvé face au débordement du pardon hors des cours de récréation, des confessionnaux et du for interne pour atteindre le monde le plus externe, celui de la politique, vous pouvez être exposé, comme ce fut mon cas, à un autre choc, en sens contraire : découvrir l’intérêt que peut revêtir le pardon, précisément, dans la sphère politique. C’est que vous êtes en train de lire un ouvrage de Hannah Arendt dans lequel elle affirme que le pardon est un remède à l’une des fragilités du politique, l’irréversibilité de l’action. Effacer les effets d’un acte dommageable serait, pour celui qui pardonne et pour celui qui est pardonné, une immense libération : l’un ne se sent plus obligé de se venger et l’autre n’a plus à craindre sa vengeance. Ainsi, l’homme qui fut créé pour qu’il y ait un commencement, dit la philosophe en citant saint Augustin, peut lui-même initier une nouvelle histoire, différente de celle déterminée par la faute et son châtiment. En outre, ce pouvoir qu’a l’homme de pardonner, au moment où il l’exerce, révèle l’être véritable de la personne qui est pardonnée : c’est parce qu’elle a beaucoup aimé qu’il lui a été beaucoup pardonné. L’être d’amour de la pécheresse apparaît, alors, en pleine lumière.

Et ma mémoire, mise sur la piste du savoir par ses références livresques, quitte sa nostalgie à quatre sous et compulse ses fichiers. Elle me présente, fièrement et un tantinet taquine, le dossier « René Girard ». Eh oui ! Je me souviens de la spirale de la violence mimétique qui fait des ennemis les duplicatas l’un de l’autre, de la montée aux extrêmes jusqu’à l’apocalypse et du pardon comme unique voie de salut.

Pourtant, pour plagier une réplique célèbre, ce n’est pas bizarre que j’aie dit bizarre au début de mon propos. Le pardon est un miracle, le surgissement de l’extraordinaire dans l’ordinaire, une bonne nouvelle dans notre quotidien.

L’appel au pardon faisant la manchette de votre journal, et, qui plus est, lancé par un homme politique, c’est comme une main tendue face à des machettes brandies, un gazouillement d’enfant au milieu d’une chamaillerie d’adultes, une coulée de fraîcheur au sein de la fournaise. Vous multipliez les images pour essayer de comprendre le sentiment d’étrangeté qui vous a saisi en...

commentaires (3)

Vous écrivez : ...""Le pardon est un miracle, le surgissement de l’extraordinaire dans l’ordinaire, une bonne nouvelle dans notre quotidien."" D’où vient cette sentence ? La ""bonne nouvelle"", le happy-end n’est-ce pas, et la tendance à l’optimisme, et les épisodes les plus tristes ne conduisent jamais ""à la plus heureuse des fins"". (Sic).

L'ARCHIPEL LIBANAIS

06 h 09, le 19 février 2018

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Commentaires (3)

  • Vous écrivez : ...""Le pardon est un miracle, le surgissement de l’extraordinaire dans l’ordinaire, une bonne nouvelle dans notre quotidien."" D’où vient cette sentence ? La ""bonne nouvelle"", le happy-end n’est-ce pas, et la tendance à l’optimisme, et les épisodes les plus tristes ne conduisent jamais ""à la plus heureuse des fins"". (Sic).

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    06 h 09, le 19 février 2018

  • Vous écrivez : ""…Que la bizarrerie du recours au pardon par des hommes politiques, habitués à l’invective et la vindicte la plus tenace au point de ne lâcher leur victime qu’après s’être assurés qu’elle est plus morte que vive,…"" Mais quand on est plus mort que vivant, quel pouvoir on a encore pour pardonner. A moins qu’on est un cadavre vivant ! Vous convoquez Hannah Arendt, Saint Augustin et René Girard, et pourquoi pas Antigone et Créon. Sans Etat et sans justice point de salut… Au pays de l’imprescriptibilité, la vengeance est toujours latente… car il est écrit dit qu’on ne pardonne même pas l’impardonnable.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    06 h 06, le 19 février 2018

  • Vous écrivez : …"" on vous disait qu’il fallait consentir au pardon ou demander pardon ; le résultat de cette pédagogie de la réconciliation était que les petits auriculaires des adversaires, qui s’étaient publiquement crochetés pour signifier officiellement qu’on se séparait (ils ne se liaient si fort et en cadence que pour mieux se délier et se désaccorder)"" Il n’y a pas de salut par le pardon ! Dans la cour de récréation, que de fois j’ai crocheté les doigts en témoignant de ma sincérité le plus solennellement du monde : ""croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer !"" Et hop, le lendemain, je recommence le plus naturellement du monde, conscient de ma supériorité intellectuelle et physique, et sûr et certain que pardon ne mène jamais à une réconciliation, et vice versa. Un simple ""je m’excuse"" me suffisait, comme tout caïd de classe qui se respecte….

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    06 h 02, le 19 février 2018

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