C’est devenu le sujet incontournable dans les médias turcs progouvernementaux. Chaque jour, les journaux et les chaînes d’informations en continu diffusent des reportages vantant le courage de l’armée turque, engagée à Afrine, dans le nord de la Syrie. Le 20 janvier dernier, Ankara a lancé une offensive terrestre contre cette enclave tenue par les combattants kurdes des YPG, qualifiés de terroristes par les autorités turques. L’opération, baptisée « Rameau d’olivier » a été présentée par le président Recep Tayyip Erdogan comme une « lutte nationale contre les forces terroristes ». Depuis, membres du gouvernement et experts militaires multiplient les interventions publiques. Et leurs discours sont ponctués d’éléments de langage récurrents, en écho aux propos du président turc. « Le but de cette opération terrestre à Afrine, c’est de nettoyer la région des éléments terroristes, de lutter contre l’instabilité dans la région et d’éliminer les menaces présentes à la frontière turque », détaille Abdullah Agar, ancien militaire, habitué des plateaux de télévision.
Pour promouvoir l’offensive « Rameau d’olivier », le gouvernement turc utilise l’une de ses recettes de prédilection : attiser les sentiments nationalistes. Une stratégie qui semble porter ses fruits. Selon un sondage publié le 1er février, par l’Université Kadir Has d’Istanbul, 56 % des personnes interrogées ont un avis « positif » sur l’action du gouvernement en Syrie. Selon une autre enquête, menée par MAK, une société de sondage proche de l’AKP du président Erdogan, 85 % des sondés sont favorables à cette opération.
Du côté des politiques aussi, l’action du gouvernement islamo-conservateur fait presque l’unanimité. Les nationalistes du MHP lui ont bien sûr apporté leur soutien inconditionnel. Dans un discours prononcé mardi devant des parlementaires, Devlet Bahçeli, leader du parti, s’est dit prêt à se sacrifier lui-même s’il le fallait : « Si cela est nécessaire, alors j’irai à Afrine. Et s’il le faut, je donnerai ma vie pour ce pays. »
Fait plus rare, les kémalistes laïcs du CHP (social-démocrate), principal parti d’opposition, se sont eux aussi prononcés en faveur de l’initiative du gouvernement. « Notre parti s’oppose à toute forme de terrorisme, voilà pourquoi nous soutenons “Rameau d’olivier”. Nous voulons éviter la formation d’un couloir terroriste à la frontière turco-syrienne », commente Dursun Çiçek, député CHP.
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Pas tenable sur le long terme
Difficile dans ce contexte de faire entendre des voix discordantes. Dès le lendemain du lancement de l’offensive, Recep Tayyip Erdogan avait envoyé un message clair : « Si certains suivent des appels à manifester et font l’erreur de sortir dans la rue, ils vont en payer le prix ! Peu importe où vous sortez, nos forces de l’ordre seront sur vous. » Depuis le début de l’opération, plus de 500 personnes ont été arrêtées. Le motif est à chaque fois le même : elles sont accusées de « propagande terroriste ». La semaine dernière, onze membres dirigeants de l’Union des médecins de Turquie (TTB) ont été interpellés après avoir publié sur internet un texte qualifiant l’opération menée en Syrie de « problème de santé publique ». « Ce communiqué était très court, nous évoquions seulement les risques sanitaires liés à la guerre, comme nous le faisons pour chaque conflit », explique Metin Bakkalci, membre de l’Union des médecins d’Ankara. Dans la foulée, vendredi dernier, une dizaine d’autres personnes, qui ont apporté leur soutien aux médecins arrêtés, ont elles aussi été placées en détention.
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« Malheureusement, c’est impossible de s’opposer à cette opération, que ce soit sur internet ou dans la rue. Pourtant, critiquer la guerre n’est pas un crime ! » déplore Hişyar Özsoy, député HDP. Le parti prokurde est, sans surprise, le seul à s’être prononcé contre l’offensive. Mais la formation politique, déjà bien affaiblie par l’emprisonnement de son leader Selahattin Demirtas fin 2016 et l’arrestation de milliers de militants, peine à se faire entendre. Une situation qui ne peut s’éterniser, selon Hişyar Özsoy : « Les autorités turques ne peuvent pas combattre les Kurdes à l’infini. Ce n’est pas tenable sur le long terme. Il faut que le gouvernement nous écoute. Malheureusement, aujourd’hui, Erdogan est plus occupé à œuvrer pour sa propre survie politique », regrette le député HDP.
Car le chef de l’État turc ne perd pas de vue une échéance : l’élection présidentielle prévue en 2019. Sur fond de nationalisme, l’opération « Rameau d’olivier » estompe les divisions vivaces de la société turque. Une aide précieuse pour Recep Tayyip Erdogan, alors que sa cote de popularité stagne depuis le référendum de l’année dernière.
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commentaires (2)
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10 h 31, le 08 février 2018