En l’espace de six semaines, entre la mi-décembre et fin janvier, huit « féminicides », que l’écrivaine Diana Russel définit comme « le meurtre de femmes commis par des hommes parce ce que ce sont des femmes », ont été recensés au Liban. Six semaines lors desquelles Yaman, Rebecca, Malak, Darine, Zarifa, Halabiya, Douaa et Nada ont péri de la main de leur mari, ex-conjoint, beau-fils ou chauffeur VTC…
De fait, c’est notamment par ses mobiles que le « féminicide », perpétré notamment dans un cadre familial, diffère de tout autre crime. Dans ce cadre, une femme est tuée aux mains d’un mâle qui croit avoir autorité sur elle, justement parce qu’il est mâle. Cette autorité machiste prend sa source dans une culture socio-historique, fondée sur la force physique et la capacité financière – notamment liée à l’entrée tardive, et inachevée, des femmes sur le marché du travail –, qui place ces dernières sous la coupe de ceux qui assurent leur revenu, selon la règle : « Celui qui donne ordonne. »
En dépit du changement du statut social de la femme, l’autorité, notamment au sein de la famille, est restée déséquilibrée en faveur de l’homme. Et ce en raison de la consécration, dans le code pénal ou les lois relatives au statut personnel, de l’autorité machiste imposée aux femmes.
Bienveillance légale
Plus encore, certains textes faisaient et font toujours montre de bienveillance à l’égard de l’exercice de cette autorité machiste dans le cadre de féminicides, incitant même à les commettre.
Certes, l’article 562 du code pénal – qui reconnaissait le bénéficie d’une excuse absolutoire à quiconque ayant tué sa conjointe, sa sœur, sa mère ou sa fille dès lors qu’elles avaient été surprises en flagrant délit d’adultère ou de rapports sexuels illégitimes avec un tiers – a été abrogé en 2011.
Mais son esprit demeure bien vivant dans le contenu de l’article 252 du même code, qui permet à l’auteur d’un crime de bénéficier de circonstances atténuantes s’il a commis son acte « sous l’emprise d’une violente colère provoquée par une action injuste et suffisamment grave de la victime ». Cet article, qui ne comporte ni garde-fous ni définition des concepts de « colère » ou d’« action injuste et suffisamment grave », s’avère aussi flexible que discrétionnaire. Nous avons d’ailleurs vu certains juges ayant statué sur des dossiers de meurtres de femmes donner à cet article le même effet que celui de l’article 562 abrogé.
À travers cet article, la loi accorde au détenteur du pouvoir, en l’occurrence l’auteur du crime, le droit de contrôle et de classification sur le comportement des femmes. Elle fait montre de tolérance pour ne pas appliquer la sanction prévue, estimant que la victime mérite son sort parce qu’elle s’est rebellée contre cette autorité.
De même, le fait que l’adultère continue à constituer un crime pénal sanctionné par l’emprisonnement fait partie d’un système de justification des féminicides. En effet, nous sommes tous conscients de la tolérance sociale et culturelle à l’égard des hommes qui multiplient leurs relations et s’en enorgueillissent, alors que cet article reste une épée de Damoclès au-dessus de la tête des femmes. Aussi, lorsqu’une femme est tuée, des jugements préétablis sont-ils émis : « C’est sûr qu’elle l’a trompé ! » L’auteur du crime devient ainsi ce héros qui a puni la victime pour avoir commis un acte injuste, puisant cette autorité de la loi même.
Pour un statut personnel unifié
Ce système machiste tolérant à l’égard des féminicides est complété par la consécration de la dépendance de la femme par rapport à l’homme dans les lois communautaires régissant le statut personnel. Ces textes ont notamment comme dénominateur commun le fait de considérer que la femme est rebelle à partir du moment où elle se soustrait à l’obéissance au conjoint. De ce fait, elle est privée de ses droits. Dans certaines communautés, il s’agit de la pension alimentaire. Dans d’autres, il s’agit en plus de la garde des enfants.
Ce système de violence exercé contre les femmes, qui atteint des proportions inquiétantes, ne pourra être véritablement infléchi en l’absence d’un équilibre d’autorité au sein de la famille. Or, cet équilibre ne saurait être établi tant que les lois relatives au statut personnel demeurent communautaires et discriminatoires.
Est-ce là le destin des femmes ? Qui est responsable de leur protection ? Les femmes sont des citoyennes et leur protection relève de la responsabilité de l’État, qui doit retrouver le rôle que les communautés lui ont confisqué.
Il est de la responsabilité de l’État de promulguer une loi unifiée et obligatoire sur le statut personnel, susceptible de rétablir l’équilibre dans les relations au sein de la famille. Il doit aussi renforcer la protection des femmes en votant le projet visant l’amendement de certains articles de la loi 293 sur la protection de la femme et des autres membres de la famille de la violence domestique. Celui-ci a été approuvé en août dernier en Conseil des ministres et n’a toujours pas été transmis à la Chambre. Les amendements introduits renforcent la protection de la femme puisqu’ils considèrent le crime commis dans le cadre d’une violence domestique comme un crime en soi.
L’État doit aussi abolir tous les articles de loi qui encouragent les féminicides, comme l’article relatif à l’adultère – celui-ci devant être considéré comme une infraction à un contrat civil, et devrait par conséquent induire une abrogation du contrat à la charge de la partie responsable. Ou encore l’article 252 du code pénal, pour mettre des garde-fous clairs aux « crises de colère » et empêcher que l’auteur d’un crime domestique ne puisse bénéficier des circonstances atténuantes prévues dans cet article.
Entre-temps, la justice doit dissuader les auteurs de féminicides en accordant la priorité à ces dossiers, en rendant les verdicts dans les plus brefs délais tout en adoptant les sanctions les plus sévères à l’encontre des criminels et en les publiant.
Avocate et membre fondatrice de l’ONG Kafa.
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commentaires (5)
EN GENERAL C,EST DANS LES PAYS DU M.O. OU LES BARBUS ET LES MOEURS LE PLUS SOUVENT RELIGIEUX CONSACRENT LA SUPREMATIE DE TOUS CEUX QUI FONT PIPI DEBOUT ET CONSIDERENT LA FEMME COMME UN OBJET !
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 08, le 04 février 2018