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Idées - Point de vue

Pour que la politique libanaise ne soit plus « une affaire d’hommes »

En cette année électorale, nous, citoyens libanais, avons l’occasion d’exprimer dans les urnes une indignation générale et partagée. Indignation face à la corruption endémique au sein du pouvoir. Indignation face à une situation économique où la majorité des Libanais ne trouve plus son compte. Indignation face à une fuite continue des cerveaux qui prive le pays de ses meilleurs talents. Indignation face à la prise en otage politique du pays par un parti religieux qui conteste à l’État le monopole des armes. Indignation due à l’absence d’une législation civile qui traiterait tous les citoyens et citoyennes de manière égalitaire et juste. Indignation, enfin et surtout, face à une caste politique qui considère les charges électives et postes de responsabilité comme un héritage familial…

Négation des droits
On pourrait continuer ainsi longtemps, tant les raisons de cette indignation des Libanaises et Libanais ne manquent pas. Mais il en est d’autres qui, paradoxalement, alors même que l’affaire Weinstein et ses conséquences reposent ailleurs avec force la question de la parole et de la place de la femme dans la société, ne semblent pas susciter le même émoi au Liban.
Pourtant, ne faut-il pas aussi s’indigner du fait qu’il n’y a aujourd’hui que quatre députées femmes au Parlement, alors que notre pays ne manque pas de femmes qualifiées, ayant beaucoup à donner dans ce domaine tout comme dans les autres ? S’indigner que tant de lois soient fondées sur la dévalorisation des femmes et la négation de leurs droits ? Que beaucoup de femmes libanaises soient perçues avant tout, et surtout, comme les mères d’untel, les sœurs d’untel ou les filles d’untel ? Que les cas d’abus continuent et se multiplient ? Que la loi contre la violence conjugale, qui fut votée en avril 2014, après tant d’efforts de la part des ONG, ait été auparavant scandaleusement mutilée ? Que le mariage civil ne soit jusqu’à ce jour pas praticable ? Que la femme chez nous n’ait pas le simple droit d’ouvrir un compte bancaire pour ses enfants mineurs ? Qu’elle ne puisse pas, jusqu’à ce jour, transmettre sa nationalité à ses enfants ? Là encore, la liste est longue…
Certes, il existe heureusement des exceptions lumineuses : des Libanaises qui se battent passionnément pour faire avancer les choses, et qui, par leurs réussites individuelles dans divers domaines et par leur engagement admirable dans la société civile, inspirent l’espoir à tant d’autres qui en ont besoin. Mais ce sont, reconnaissons-le, des exceptions. Et les changements n’adviennent pas seulement à travers les exceptions. Les changements adviennent à travers la persévérance collective, la remise en cause collective, et surtout à travers l’indignation collective.
 « Walaw ! Nous sommes au Liban ! » pourraient répliquer certains, hommes ou femmes… Mais cette « exception libanaise » ne change rien au fait que tous les discours sur la modernité ou la démocratie dans ce pays ne sont que des absurdités si l’on n’établit pas une véritable égalité – en droit comme en faits – entre les hommes et les femmes. Comment parler de progrès si l’on continue à négliger 50 % de notre potentiel ?

« On ne naît pas citoyen(ne) »
Voilà pourquoi il est temps pour nous, Libanaises, de crier haut et fort, et sans détour, que la politique ne doit plus être « une affaire d’hommes ». Non ! La politique est avant tout une affaire de conscience civique, d’éthique humaine, de vision universelle et de gouvernance compétente. Et le Liban ne manque certainement pas de personnes, femmes et hommes, ayant ces qualités.
C’est pourquoi j’ai décidé de présenter ma candidature aux prochaines élections législatives. Depuis, beaucoup m’interrogent sur ce choix, de deux manières différentes. La première est celle – protestataire et révoltée – de ceux qui cherchent à m’en dissuader : « Toi, écrivaine libre, tu te trouveras obligée de négocier, de te plier. La politique te polluera, etc. » La seconde, plus cynique, est posée par ceux qui, à la manière de Dante, ont abandonné toute espérance aux portes de ce pays : « Tout est perdu, tu t’investis dans une illusion… »
Et bien que je me la pose moi aussi, cette question, bien que je bascule entre l’appréhension et le pessimisme ci-haut mentionnés – selon la dose de frustrations injectée dans notre quotidien –, j’appelle d’autres Libanaises à suivre cette démarche et se présenter aux élections.
Parce que nous méritons un État qui respecte les droits de l’homme, ainsi que le rôle et les capacités de tou(te)s ses citoyen(ne)s. Un État qui considère la liberté comme un droit fondamental et non un luxe, et qui offre à ses citoyens des moyens de subsistance décents et une Sécurité sociale forte, au lieu de les humilier quotidiennement. Un État où l’électricité 24 heures sur 24 n’est pas une mauvaise blague, ni un rêve, ni un objectif utopique. Un État où la pratique politique n’est pas immorale. Un État qui honore les droits de ses citoyens tout en leur rappelant leurs responsabilités à son égard. Un État qui transcende les barbaries à l’œuvre dans son environnement. Un État où nous pouvons réaliser nos rêves et nos ambitions grâce à notre volonté et notre détermination. Un État qui lutte contre le fanatisme, l’obscurantisme, la haine, la violence et la division ; et pour la justice, l’honnêteté, l’unité, l’intégrité, la dignité et la tolérance. Un État où s’élève la voix de la raison, la logique, la science, la culture, l’éthique, l’espoir, le rêve et l’amour ; contre la voix du désespoir, du sectarisme, des instincts, des rancunes et des clivages…
Cela implique que nous, Libanaises, accédions enfin aux responsabilités qui nous permettront d’être actrices de ce changement. Si, depuis Simone de Beauvoir, on sait qu’« on ne naît pas femme, on le devient », il est grand temps pour nous de comprendre que dans notre pays « on ne naît pas citoyen(ne), on le devient... »


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commentaires (4)

Il y a encore un travail immense a faire pour faire avancer les droits élémentaires de nos mères, femmes, soeurs et enfants.... Il ne suffît pas de dire : Maman je t'aime.... Faut-il encore le mériter et le prouver...

Sarkis Serge Tateossian

22 h 49, le 04 février 2018

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Commentaires (4)

  • Il y a encore un travail immense a faire pour faire avancer les droits élémentaires de nos mères, femmes, soeurs et enfants.... Il ne suffît pas de dire : Maman je t'aime.... Faut-il encore le mériter et le prouver...

    Sarkis Serge Tateossian

    22 h 49, le 04 février 2018

  • DE QUELLE POLITIQUE ET SURTOUT DE QUELS HOMMES PARLEZ-VOUS ? DES INCAPABLES ET DES IGNORANTS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 19, le 04 février 2018

  • Le problème ne réside pas dans le genre !!! Peu importe que l'on soit une femme ou un homme... L'important est que l'on ait un programme électoral, un cahier des charges, une vision, et que l'on ne soit pas pollué par les virus du pouvoir et de l'argent!!!

    ASSHA Férial

    06 h 44, le 04 février 2018

  • pour que la vie politique au Liban devienne une affaire honnete. viendra ensuite le souci de faire elire des femmes. car sinon...... pas trop esperer !

    Gaby SIOUFI

    14 h 04, le 03 février 2018

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