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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le pouvoir arbitraire du psychanalyste : Face je gagne, pile tu perds

En 1973, alors que l’École freudienne de Paris, fondée par Lacan en 1963, glissait dans l’orthodoxie et le dogmatisme, Radmila Zygouris et Francis Hofstein se lancent dans l’aventure d’une revue, L’Ordinaire du psychanalyste. Adressée à Lacan dont la pensée était chosifiée de plus en plus par l’institution, la revue, animée par l’esprit de mai 68, regroupe des articles anonymes pour éviter à leurs auteurs des représailles de la part de l’establishment. Les articles permettent à leurs auteurs de publier des questions restées sans réponse de la part de leurs analystes : l’argent dans la cure, les séances manquées, l’institution sclérosée, les analystes pas suffisamment formés, le silence imposé aux analysants, le silence également sur les suicides, autant d’abus de pouvoir de la part des analystes qui a inspiré comme sous-titre à la revue : « Face je gagne, pile tu perds. »

Qu’est-ce qui fait que les analystes, de surcroît lacaniens, en arrivèrent à ne plus s’interroger sur leur pratique et à adopter une attitude dogmatique et rigide à l’égard des patients ? Comme on l’a vu lors des deux dernières rubriques, la technique érigée en rituel et en cadre sacralisé y est pour beaucoup. Elle s’impose au patient alors qu’elle devrait s’y adapter. C’est par exemple l’apport d’un Winnicott pour qui « un analyste est toujours en devenir et c’est avec ses analysants qu’il le devient ».

« Un analyste est toujours en devenir et c’est avec ses analysants qu’il le devient »
 Lorsqu’on interroge les patients de Winnicott sur sa personnalité, chacun d’eux le décrit d’une manière telle qu’on a l’impression qu’il ne s’agit pas du même analyste. Ce qui montre que Winnicott s’adaptait à chaque patient plutôt que d’obliger le patient à s’adapter à lui. Ce principe est aussi celui de la revue L’Ordinaire du psychanalyste. Parue entre 1973 et 1978, la revue intéressa Lacan au point qu’il la trouva plus intéressante que Scilicet, pourtant revue officielle de l’École freudienne de Paris, elle aussi anonyme. L’intérêt de L’Ordinaire provient de ce que la revue est écrite par des analysants en « mal d’analyse », en mal d’écoute. Leurs analystes étaient trop accrochés à des rituels, des dogmes, « une orthopraxie », comme le disait Jacques-Alain Miller, dont ils faisaient les frais. Que le besoin de publier, même anonymement, leurs doléances à l’égard de leurs analystes se soit fait sentir chez un très grand nombre d’analysants et qu’une revue en ait résulté indique la profonde détresse de tous ces patients. Car l’orthopraxie à laquelle ils étaient confrontés finissait par fonctionner comme un paradoxe : « Face je gagne, pile tu perds. » L’effet de ce paradoxe est paralysant. L’analysant est immobilisé, dans son corps et dans sa parole. La sujétion dans laquelle il se trouve l’empêche de protester et même s’il proteste, il est soumis à l’effet paralysant du paradoxe : s’il proteste, c’est qu’il résiste à l’analyse.

L’École de Palo Alto en Californie, spécialisée depuis les années 50 dans l’étude des communications paradoxales, a mis en évidence, d’une part, la présence massive du « double bind » (double contrainte) dans le discours des parents de schizophrènes, et, d’autre part, l’utilisation des messages infraverbaux (langage du corps). Une mère rentre chez elle et s’adresse à son enfant qui joue par terre au salon : « Tu ne viens pas embrasser ta mère ? » L’enfant se lève, court pour embrasser sa mère et au moment où il est tout près d’elle, la mère fait un geste de rejet avec son corps. Ce paradoxe entre la parole de la mère qui invite au baiser et son mouvement du corps qui rejette l’enfant paralyse ce dernier. Ne sachant pas s’il doit s’approcher ou pas, il reste immobile.

Dans le cas des analystes fétichisant religieusement leurs règles devenues rituel, toute question remettant en question ces mêmes règles reste sans réponse. Ni les horaires, ni les absences, ni le paiement, ni le temps des séances… et tout ce qui concerne le cadre imposé par l’analyste ne peut être interrogé. Et si l’analysant le fait, le silence lui est renvoyé comme seule réponse.



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