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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La technique psychanalytique : résistance de l’analyste à son désir de savoir (suite)

Comme nous l’avons vu dans la dernière rubrique, l’historien Paul Roazen nous a apporté un très grand éclairage sur la pratique de Freud, et sur ce qu’en ont fait les disciples. Cet apport était nécessaire tant l’hagiographie, biographie de Freud excessivement élogieuse, écrite par Ernest Jones pouvait être trompeuse. Elle s’appuie sur le premier essai historique écrit par Freud en 1914, Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique. Dans ce texte, Freud règle ses comptes avec Jung et Adler et ne tient compte d’aucune objectivité historique. L’histoire scientifique de la psychanalyse n’a vraiment commencé qu’avec Henri Ellenberger, dédaigné par les psychanalystes qui ne veulent rien apprendre de leur histoire et qui en restent au texte de Freud de 1914 et à la monumentale biographie de Jones.

Or Paul Roazen, autre historien scientifique, auteur de Comment Freud analysait, nous apprend qu’il y a tellement de « contradictions entre ce que Freud a écrit sur la technique et ce qu’il pratiquait en réalité, que l’on pourrait avancer qu’il n’avait aucune technique, mais un savoir-faire ad hoc ». Tact et savoir-faire orientaient la pratique de Freud. Il agissait dans le but de lever les refoulements en laissant libre cours à l’association libre des idées. Tout ce qui entrave cette association libre des idées doit être aboli.

Prenons l’exemple du divan. Il est clair qu’il facilite l’association libre parce que le regard n’entre plus en jeu. Mais l’analyse est possible en face-à-face. Malheureusement, le divan fait partie du rituel analytique et de la formation des candidats analystes. Ainsi, dans les institutions qui délivrent une « autorisation » d’exercer, on empêche les candidats d’allonger les patients tant que leur formation n’est pas validée. Ils ne peuvent recevoir leurs premiers patients qu’en face-à-face. Ces mesures ridicules et sadiques mettent les candidats dans un état de soumission à l’ordre institutionnel et à son pouvoir, et les poussent ultérieurement à agir de même avec leurs patients. Une forme de « syndrome de Stockholm ».

Dans l’histoire du mouvement analytique, les témoignages convergent comme le montrent les travaux d’Élisabeth Roudinesco. Les candidats analystes qui ont subi le silence absolu de leurs analystes feront subir ce même silence à leurs futurs patients. De même, ceux qui ont subi les séances ultracourtes les feront subir également à leurs futurs patients. Quant au divan, les candidats qui ont été obligés de s’y allonger pendant leur analyse « didactique » (analyse de formation) obligeront leurs futurs patients à faire de même. Ce mécanisme bien connu des analystes d’enfants s’appelle « l’identification à l’agresseur ». L’agressé devient lui-même agresseur parce qu’il n’a rien compris à l’agression qu’il a subie, agression qui relève de l’arbitraire.

Or Freud est très clair à propos du divan : « Je ne supporte pas que l’on me regarde huit heures par jour. De plus, comme au cours des séances je me laisse aller à mes pensées inconscientes, je ne veux pas que l’expression de mon visage puisse fournir au patient certaines indications qu’il pourrait interpréter ou qui influenceraient ses dires. »

Les raisons de Freud sont claires. Le divan lui permet d’échapper au regard qu’il ne supporte pas tout le temps de sa consultation. C’est pour lui la raison principale. La seconde raison concerne le patient : l’expression du visage de Freud peut perturber le flot de ses associations. Si la technique primait, la seconde raison aurait dû être la première. On comprend bien pourquoi Paul Roazen avance que Freud n’avait pas de technique, mais du savoir-faire et du tact.

La technique s’est transformée en un outil qui aveugle les analystes. Observer les règles techniques de façon ritualisée donne aux analystes une pseudo-identité. Je suis analyste parce que ma séance est de 45 minutes, ou de 10 minutes, je suis analyste parce que je me tais systématiquement ou que j’allonge obligatoirement mes patients sur le divan. Ils oublient que ce qui fait l’analyste, c’est son désir de savoir, c’est ne pas céder sur son désir, son éthique.


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