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À La Une - reportage

Turquie : vivre sous les roquettes à la frontière syrienne

Pour habitants de Kilis, les tirs de roquettes font partie du quotidien depuis le lancement par Ankara, samedi, d'une offensive dans la région d'Afrine.

Un véhicule est couvert de débris après qu'une roquette en provenance de Syrie se soit abattue sur un immeuble de la province frontalière turque de Kilis, le 24 janvier 2018. Photo AFP / OZAN KOSE

Cuma Kilicioglu regardait la télévision avec sa femme quand une roquette tirée depuis la Syrie s'est abattue avec fracas sur leur immeuble de trois étages. "On aurait dit que le monde s'écroulait sur nous", souffle-t-il.

Pour Cuma et les autres habitants de Kilis, ville turque située à la frontière syrienne, les tirs de roquettes font partie du quotidien depuis le lancement par Ankara, samedi, d'une offensive dans la région d'Afrine (nord-ouest de la Syrie) contre une milice kurde.
Mardi soir, "on regardait la télévision qui montrait des roquettes tomber, en se disant que ça ne pourrait jamais nous arriver. C'est à ce moment précis que (le projectile) nous a frappés", raconte à l'AFP Fevziye, l'épouse de Cuma. "Nous avons très peur".

Kilis, ville située à cinq kilomètres de la frontière syrienne, est la cible de tirs sporadiques depuis plusieurs mois, mais ceux-ci se sont intensifiés depuis le déclenchement par Ankara de l'opération contre la milice kurde syrienne des YPG.


(Lire aussi : Quel impact peut avoir l'offensive turque sur le conflit syrien ? )


Mercredi soir, deux personnes ont été tuées et onze blessées dans cette ville lorsqu'une roquette tirée depuis la Syrie s'est abattue sur une mosquée à l'heure de la prière. Les autorités turques imputent les tirs aux YPG, qui démentent cibler des civils.

"J'ai bondi de mon lit et je suis sorti en courant. On avait tellement peur", raconte Alaadin, qui habite une maison à côté de la mosquée.
Après chaque tir de roquettes depuis la Syrie, l'artillerie turque déployée à la frontière réplique par des salves d'obus dont les détonations étouffées résonnent dans tout Kilis comme les grondements d'une colère sourde.

L'offensive turque dans le nord de la Syrie, baptisée "Rameau d'olivier", vise les YPG, une milice kurde considérée comme "terroriste" par Ankara mais qui est soutenue par les Etats-Unis pour combattre le groupe Etat islamique dans le nord de la Syrie.


(Lire aussi : Vue d’Idleb, la bataille de Afrine ressemble à une opportunité)



"Où fuir?"

Le destin de Kilis a toujours été étroitement lié à la Syrie. Avant la guerre, le commerce transfrontalier, notamment de contrebande, était florissant. Mais depuis le début du conflit, en mars 2011, réfugiés et combattants rebelles blessés ont afflué. Au point que la population de Kilis, officiellement de quelque 100.000 personnes, a doublé et que le nombre de Syriens a dépassé celui de Turcs.

Ainsi, l'un des deux hommes tués mercredi par la roquette ayant frappé la mosquée était un commerçant turc de 72 ans, et l'autre un Syrien de 27 ans. Aux funérailles, jeudi, seul un cercueil était recouvert d'un drapeau turc. Plusieurs dizaines de personnes y ont assisté, les yeux embués de larmes et le visage tordu par la douleur.

Mais en dépit de la peur et de la colère, de nombreux habitants se disent déterminés à rester à Kilis et expriment un soutien total à l'offensive en Syrie.
"Nos soldats se battent nuit et jour, dans la pluie et dans la boue", s'exclame Cuma. "Où pourrais-je fuir pendant que nos soldats se battent de l'autre côté de la frontière ?", interroge-t-il.
De nombreux drapeaux turcs sont suspendus aux balcons, ou accrochés sur les devantures des boutiques ou sur le capot des taxis. Autant de démonstrations de fierté nationale.


(Lire aussi : Discorde américano-turque sur l'offensive d'Afrine)

'Destin frontalier'

"Nous avons déjà connu des incidents similaires", souligne Ahmet Jurtar, 55 ans. "Nous avons l'habitude, nous vivons à la frontière".
"Que peut-on y faire ? C'est le destin de ceux qui vivent à la frontière, c'est ce qu'on pense", abonde Erdinç Toprak, propriétaire d'une pâtisserie.

La ville frontalière turque de Reyhanli, située à quelque 150 km de Kilis, est elle aussi régulièrement ciblée par des tirs de roquettes. Selon le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin, la frontière turque a essuyé "700 attaques" depuis la région d'Afrine au cours de l'année écoulée.

Depuis le début de l'opération "Rameau d'olivier", au moins quatre personnes ont été tuées par des tirs de roquettes contre des villes frontalières turques. Devant ces incidents qui se multiplient, les autorités locales veulent se montrer rassurantes : "Les habitants de Kilis vont continuer à vivre ici, quelles que soient les difficultés", veut croire le gouverneur local, Mehmet Tekinarslan.

En attendant que la situation se calme, certains habitants ont tout de même choisi de faire leurs bagages pour trouver refuge chez des proches vivant sous des cieux plus cléments. "Certains de mes proches sont allés à Ankara et d'autres, à Istanbul", raconte Mustafa, 26 ans. "Bien entendu, c'est temporaire. On peut appeler ça de petites vacances".


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