Contrairement à la querelle autour du décret d'ancienneté de la promotion 1994, la crise liée aux réformes électorales est vouée par définition à prendre fin avant les prochaines législatives.
Cela, bien entendu, si la volonté affichée par tous d'honorer l'échéance est sincère.
Hier, toutes les parties ont mis en avant l'impératif de tenir les élections dans les délais, tout en réitérant leurs arguments pour ou contre la création de dix « mégacentres » électoraux, c'est-à-dire des centres de vote spécialisés desservant plusieurs circonscriptions (celui de Beyrouth devant être le seul à les desservir toutes). Rappelons que le Courant patriotique libre (CPL) plaide pour ce projet, soutenu – moins frontalement – par les Forces libanaises (FL) et le Premier ministre, face au Hezbollah, au mouvement Amal et au Parti socialiste progressiste.
Réunie hier au siège du parti Baas, la Rencontre des partis (Hezbollah, Amal, Marada et partis prosyriens) a publié un communiqué pour dire son « refus de toute tentative d'entraver la tenue des législatives dans les délais ». Ces partis ont appelé au « respect de la loi électorale, en dépit de ses failles », tout amendement pouvant servir à justifier un report éventuel des élections.
En contrepartie, le CPL accuse franchement ses alliés d'entraver les réformes par pur intérêt électoral. « Nos alliés ne veulent pas de réformes pour des raisons électorales », a ainsi déclaré hier l'ancien ministre Fadi Abboud à l'agence d'informations al-Markaziya. Un membre des FL ajoute à L'Orient-Le Jour que le Hezbollah et Amal préfèrent garder leurs électeurs potentiels le plus près possible géographiquement, pour mieux les contrôler.
Les défenseurs des « mégacentres » veillent en même temps à écarter le risque d'un report du scrutin. « Il est nécessaire que les législatives aient lieu à la date prévue », a fait valoir le bureau politique du CPL réuni hier, tout en réaffirmant son attachement aux « réformes mises sur la table ». Et de préciser que « la loi électorale oblige le gouvernement à produire des cartes biométriques. S'il ne les produit pas, il devra proposer un amendement légal afin d'éviter les recours en invalidation contre les résultats des élections ».
En réalité, la loi électorale prévoit deux réformes : la carte magnétique (prévue dans le corps de la loi) et les « mégacentres » (prévus seulement dans les motifs de la loi). À la carte magnétique, utilisable uniquement pour le vote, il avait été convenu de substituer la carte biométrique (un meilleur investissement sur le long terme pour sa double utilité comme carte d'identité et carte électorale). Ce projet était tombé à l'eau avant l'épisode de la démission de Saad Hariri, sur fond de soupçons de magouilles. Il avait été entendu que la non-adoption de la carte ne serait pas une violation de la loi électorale, celle-ci ayant reconnu par ailleurs la carte d'identité et le passeport comme moyen d'identification de l'électeur, comme l'explique à L'OLJ un membre de la commission.
Lorsque la commission a repris ses réunions, tous, y compris le chef du CPL, Gebran Bassil, auraient tourné la page de la carte biométrique, tout en s'entendant sur l'enregistrement préalable comme substitut, sans lequel le vote des électeurs dans leur lieu de résidence ne serait pas possible. Cet enregistrement avait donc fait l'objet d'un « consensus », poursuit le membre de la commission. La proposition de créer des « mégacentres » avancée lors de la dernière réunion de la commission n'a donc fait que « compliquer inutilement les choses », d'autant que ceux-ci ne sont pas prévus dans le corps de la loi.
(Repère : Promotion 1994 : si vous n'avez toujours rien compris, voici ce qu'il faut savoir)
Intérêts convergents
Mais par-delà le volet technique, les motifs réels des uns et des autres sont à chercher dans les « intérêts électoraux » qu'ils se reprochent mutuellement. Une lecture objective des effets de la nouvelle loi permet de constater que la proportionnelle et le vote préférentiel favorisent largement le tandem Hezbollah-Amal. Tout en consolidant leurs sièges dans leurs fiefs, ces deux partis ont de grandes chances de percer au niveau des autres circonscriptions, et de recueillir une large majorité parlementaire pluriconfessionnelle. Les blocs parlementaires du Changement et de la Réforme et du courant du Futur seraient réduits de moitié au moins. À L'OLJ, un expert projette une « baisse d'un tiers au moins » des acquis du bloc aouniste dans des régions symboliques comme le Kesrouan – sans compter les risques d'une défaite de Gebran Bassil dans le Nord. « Il y a une prise de conscience aussi bien de la part du courant du Futur que du chef de l'État que la nouvelle loi ne joue pas en leur faveur », souligne l'expert.
Ramener sur le tapis la question des réformes aurait donc effectivement pour but – comme affirme le craindre le président de la Chambre – de forcer un rééquilibrage du jeu électoral en poussant à revoir le nouveau code, quitte à initier, plus qu'un report des élections, un retour à l'ancienne loi de 1960. Mais si la volonté des uns y est, elle est en nette contradiction avec celle du Hezbollah. Et le président de la Chambre a pris soin d'y « faire barrage », rappelle un observateur à L'OLJ : dès que les réformes ont réintégré le débat il y a un mois, Nabih Berry avait déclaré que « cette porte ne serait pas ouverte ». Selon une source FL, la polémique sur les réformes verrait une fin prochaine, qui serait consentie par Saad Hariri.
(Lire aussi : La perspective d’une mainmise du Hezbollah sur le Parlement suscite des craintes)
Le soutien de Raï à Aoun
Il reste à savoir par quels moyens Saad Hariri et Michel Aoun tenteront de limiter leurs pertes. Et si ces moyens seraient compatibles entre eux. Le premier continue en tout cas de s'essayer au jeu de l'équilibriste. Alors que la querelle sur la promotion 1994 révèle de plus en plus clairement ses finalités électoralistes – « cette querelle est politique », a ainsi déclaré hier le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, devant une délégation de l'ordre de la presse –, le camp haririen tente de faire oublier la signature mal calculée de son leader. Lors d'une cérémonie d'hommage aux moukhtars de Beyrouth, le ministre de l'Intérieur a valorisé « la coopération des trois présidences comme pilier de la stabilité » et « la tolérance d'Abou Moustapha (Nabih Berry) », tandis qu'en visite à Aïn el-Tiné, le ministre haririen de la Culture, Ghattas Khoury, a voulu donner un « signe », en affirmant que « les choses sont positives et se dirigent vers des solutions » .
Du côté du camp aouniste, la polémique dévoile progressivement sa dimension communautaire. À l'issue d'une visite hier à Baabda, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a exprimé son soutien au chef de l'État. « La polémique sur le décret d'ancienneté n'a pas lieu d'être », a déclaré le prélat maronite, tout en défendant l'avis constitutionnel de Baabda, qui n'exige pas le contreseing du ministre des Finances, puisque le décret, a dit Mgr Raï, ne concerne que le ministre de la Défense et ne possède pas d'impact financier.
Dans le cadre d'une vaste tournée à Achrafieh, Gebran Bassil a pour sa part été reçu par le métropolite de Beyrouth, Mgr Élias Audi, devant lequel il a lié l'échéance électorale à « la réforme du système politique ». « Le Liban a rendez-vous cette année avec cette réforme », a-t-il déclaré à l'issue de sa visite.
Lors de l'inauguration d'un poste de relais à Achrafieh, où il représentait le chef de l'État, il s'est félicité de la productivité de son équipe, « obstruée » par d'autres. Le ministre de l'Énergie César Abi Khalil a dénoncé, quant à lui, l'instrumentalisation des avancées sur le dossier du pétrole, dans une allusion à peine voilée au président de la Chambre.
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FAKHOURI
14 h 38, le 14 janvier 2018