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Culture - Installation

« Nous sommes bourreaux et victimes, faits d’ombre et de lumière »

Les êtres de Afaf Zurayk hantent Beit Beirut jusqu'au 2 janvier. Une exposition à six mains avec une seule vision artistique et humaine qui s'infiltre jusque sous l'épiderme.

« Shifting Lights », vue d’ensemble de l’installation. Photo Noël Nasr

« Nous sommes tous coupables, à la fois bourreaux et victimes », affirme Afaf Zurayk, de sa voix douce qui défie toutes les agressivités et les agressions du temps présent. L'artiste, née en 1948, n'a pas permis à la violence d'avoir une emprise sur elle. « L'acte pictural est pour moi un engagement passionné. Il est le lieu dans lequel j'exprime ma ferveur et mes émotions. Il est le refuge que je me suis trouvé lorsque la guerre a fait irruption au Liban et bouleversé nos vies. Pour échapper à la terreur et à la violence, je me suis mise à peindre avec encore plus de ferveur et de poésie. Et depuis 1978, je me suis entièrement dédiée à cet art », avait-elle déclaré à notre collègue Zéna Zalzal, en mai 2017, en recevant le prix Jouhayna Baddoura.

Formée à l'école des beaux-arts à l'Université américaine de Beyrouth, puis à Harvard, l'artiste visuelle pluridisciplinaire et engagée possède à son actif de nombreuses expositions collectives et individuelles à Beyrouth et Washington. Elle a participé à des manifestations collectives aux États-Unis et exposé, notamment, au Musée national des femmes dans l'art de la capitale américaine. Afaf Zurayk a assisté à tant de tempêtes qui ont soufflé sur la région qu'elle ne peut plus se taire. Aujourd'hui, c'est par coups de brosse saccadés et puissants qu'elle exprime sa douleur. Ayant travaillé depuis longtemps en solitaire, la rencontre avec les jeunes Noël Nasr et Rami Saab, respectivement photographe et architecte, a permis que la bulle de l'artiste soit moins hermétique et que cette œuvre soit accessible aux visiteurs.

 

Tellement méchants
Que signifient ces portraits/présences ? « Le portrait que je croque est différent du portrait conventionnel. Je ne dessine pas une personne que je connais ou qui existe, mais une présence, une créature qui s'impose au fil de mon travail », explique Afaf Zurayk. Ni violents ni agressifs, ces êtres, écorchés par les coups de peinture de l'artiste, vous regardent fixement. « J'en développe la personnalité à travers des couches, des strates de réalités intérieures. Tout au long de ma démarche, j'établis une conversation avec ces êtres-là. Pourquoi nous faisons-nous tellement de mal ? Pourquoi sommes-nous tellement méchants ? Car, au bout du compte, nous sommes ceux qui font la violence et ceux qui la subissent. Nous sommes à la fois ombre et lumière, bourreaux et victimes. » Et de poursuivre : « J'ai eu auparavant deux collaborations avec Noël Nasr. Quant à Rami Saab, nous avons une relation très complexe artistiquement et émotionnellement. C'est ainsi qu'après de multiples conversations avec ces deux artistes, nous avons abouti à ce travail lumineux et – croyez-moi – optimiste. Noël a donc photographié mes œuvres et Rami les a enveloppées. »

 

Cicatrices
Quel processus a été utilisé pour photographier les œuvres de Afaf Zurayk ? Coordinateur du programme de photo à la NDU depuis plus d'une dizaine d'années, Noël Nasr répond : « Cela fait dix ans que je photographie les œuvres de Afaf. J'essaye de me demander d'où viennent ces présences et comment elles sont nées. Pour aboutir à ce résultat, il fallait travailler les signes que laisse Afaf dans son travail et qui sont son label. De plus, je voulais rendre, à l'aide de la caméra, l'œuvre tridimensionnelle. Sans chercher, à proprement parler, l'esthétique, je travaillais comme un médecin légiste. Disséquer les toiles, allant du macro au micro et puis de nouveau du détail à l'ensemble, telle était ma démarche. La photo devient ainsi elle-même une toile agrandie. Un travail organique qui fait émerger la lumière des ténèbres. » Le photographe conclut : « Ce thème est très cher à mon cœur. Le traiter dans un endroit comme Beit Beirut possède, à mes yeux, une symbolique particulière. »

Pourquoi Rami Saab a-t-il choisi ces tubes cylindriques pour envelopper l'œuvre ? L'architecte, qui parachève son parcours à Parsons New York, a emballé l'œuvre de Afaf Zurayk avec les photos agrandies, surdimensionnées, de Noël Nasr. « Il fallait les faire parler, les faire communiquer, précise-t-il. Dans ce parcours, le visiteur n'est plus un simple observateur mais un participant. Comme Beit Beirut a un historique très chargé, il fallait aussi que cette structure s'intègre dans le grand cadre. Mais aussi sculpter l'espace comme Afaf sculpte le dessin ou Noël la lumière. Si, à l'intérieur, tout est opaque, l'extérieur est plutôt transparent et laisse entrevoir les réactions du visiteur qui pénètre cette structure cylindrique. »
Shifting Lights, c'est là où tout bascule, où tout permet la contemplation, la réflexion et par conséquent l'intériorisation, suivie d'un probable et inespéré pardon collectif. Les trois artistes tentent de panser les blessures comme Beit Beirut dissimule les siennes, laissant, néanmoins, des cicatrices et non pas des plaies ouvertes. Se pardonner à soi-même avant de pardonner aux autres, pour parvenir à la paix.

 

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