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Idées - Yémen

Ali Abdallah Saleh : l’imprévu d’une disparition

Une affiche de Ali Abdallah Saleh dans les décombres d’un bâtiment municipal à Sanaa, en janvier 2016. Mohammad al-Sayaghi/Reuters

Il est certain que la date du 4 décembre 2017, jour de la mort de Ali Abdallah Saleh, restera longtemps dans la mémoire de nombreux Yéménites ayant vécu sous sa longue présidence (1978-2012). La coalition improbable qu'il avait formée en 2014 avec le mouvement des Ansar Allah (communément appelés houthistes) était certes condamnée à l'éclatement en raison des rivalités qui la minaient et d'un passé conflictuel très sanglant (six guerres contre les houthistes entre 2004 et 2010). Nul n'aurait cependant imaginé une fin aussi rapide et aussi brutale pour celui qui, pendant 33 ans, s'était défait de tous ses rivaux et, sous le slogan « l'unité ou la mort », avait réaffirmé par la guerre, en 1994, son pouvoir sur le sud du pays.
En échange de son immunité, Ali Abdallah Saleh avait consenti à signer à Riyad le plan de sortie de crise des pays du Golfe qui prévoyait l'élection d'un nouveau président appartenant à l'ancien régime bousculé par la révolution de 2011. Abd Rabbo Mansour Hadi, élu en février 2012, était ainsi passé du statut de vice-président du gouvernement de Saleh à celui de président de la République. Il fut forcé de s'exiler en février 2015 à Riyad après avoir été forcé à la démission par les houthistes qui s'étaient emparés de Sanaa et qui, avec les forces de Saleh, avaient envahi Aden où il s'était réfugié.

 

(Lire aussi : Les houthis, Hezbollah du Yémen, mais autrement...)

 

Guerre de succession
Au-delà des considérations géostratégiques qui structurent les commentaires les plus couramment émis sur la guerre en cours, du type rivalité Iran-Arabie saoudite, à laquelle il faudrait ajouter la stratégie d'influence des Émirats arabes unis, il ne faut pas perdre de vue que ce conflit relève avant tout d'une guerre de succession entre les différents acteurs et les diverses composantes qui formaient le système de pouvoir de Saleh. Ce dernier s'était allié avec les houthistes pour revenir au pouvoir ou préparer l'avenir politique de son fils Ahmad, ex-dirigeant de la garde républicaine installé aux Émirats arabes unis et qui a rejoint le camp saoudien après la mort de son père.

Dans le « camp loyaliste », on retrouve un conglomérat fragile associant le général Ali Mohsin, qui était le grand rival de Saleh, accessoirement originaire du même village, et allié au parti islamiste al-Islah (proche des Frères musulmans mais ayant aussi une implantation tribale sur les hauts plateaux et des soutiens salafistes), les partisans de Hadi (originaire de la province d'Abyan, au sud), des groupes armés salafistes et un mouvement sudiste qui, pour une large part, revendique l'indépendance de l'ex-Yémen du Sud dans les frontières d'avant 1990.

Le pouvoir de Hadi s'étend théoriquement dans les provinces méridionales, dont le Hadramaout, dans une partie du gouvernorat de Taëz, et à l'est, dans la région de Mareb où se rend régulièrement le général Ali Mohsin pour diriger la « reconquête de Sanaa ». Celui des houthistes se déploie principalement dans les régions du Nord et de la Tihama qui regrouperaient près de 65 % de la population yéménite.

La mort de Saleh a eu des conséquences immédiates sur les rapports de force et les positionnements politiques des différents acteurs du conflit. Sa volte-face quelques jours avant sa disparition, tendant la main à l'Arabie saoudite et ordonnant à ses forces de passer à l'offensive contre les houthistes, semble s'apparenter à un pari hasardeux et risqué, comme la suite l'a amplement démontré. L'attaque par les houthistes de la mosquée al-Saleh qu'ils ont ensuite renommée Mosquée du peuple a déclenché une contre-offensive de la part des troupes encore fidèles à Saleh qui s'est rapidement conclue par un échec.

De fait, affaiblies par les bombardements de la coalition et par le noyautage de l'armée par les houthistes, les forces fidèles à Saleh (principalement celles de la garde républicaine) n'ont pu compter ni sur le soutien des tribus de la ceinture de Sanaa ni sur l'intervention aérienne de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis pour stopper l'avancée des renforts houthistes envoyés vers la capitale. Ce qui laisse supposer une absence de coordination entre Saleh et la coalition, voire une absence volontaire de soutien.

 

(Lire aussi : Après Saleh, la course s’accélère entre Riyad et les houthis)

 

 

Terrain infertile
Celui qui était qualifié de « président déchu » par ses ennemis du camp loyaliste est maintenant désigné par l'expression neutre d'« ancien président », tandis que ses anciens alliés l'affublent du qualificatif de « président félon ». Les houthistes ont éliminé plusieurs de ses partisans au sein de son parti, le Congrès populaire général (CPG), neutralisé les autres, notamment au sein du Parlement, du gouvernement et du conseil politique suprême, et exercé une répression impitoyable contre les cheikhs de tribu qui ne se sont pas ralliés.

Des défections ont certes eu lieu parmi des unités de la garde républicaine. Certains responsables du CPG, notamment quelques dirigeants tribaux, ont réussi à rejoindre qui Mareb qui al-Bayda, tandis que des familles quittaient Sanaa pour tenter de fuir la répression. Trois ans de bombardements ont cependant accentué la rancœur contre l'Arabie saoudite de la part des tribus qui en ont été victimes dans les régions du nord. Et la poigne de fer des Ansar Allah a fait le reste pour faire échouer les velléités de soulèvement.

La disparition de Ali Abdallah Saleh aura, dans un premier temps, renforcé le pouvoir des houthistes, mais pourrait, dans un second temps, l'affaiblir si la diffusion sans paravent de leur propagande aux relents confessionnels zaydites et imamites devenait de plus en plus forte en se conjuguant avec la perpétuation de leurs menées répressives contre toute opposition. La mort de Saleh aura certes éclairci le paysage politique yéménite en supprimant une hypothèque politique pesante. Elle n'aura pas pour autant dissipé les ombres mortifères de la guerre à outrance qui ravage le Yémen, ce pays que l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, dans une moindre mesure l'Iran, ont transformé en terrain infertile de leurs politiques d'influence.

Anthropologue et directeur de recherche au CNRS. Il a dirigé le Centre français d'études yéménites (Sanaa) et le département scientifique des études contemporaines à l'Institut français du Proche-Orient (Beyrouth).

 

 

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