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Moyen Orient et Monde - Yémen

Saleh-houthis : les raisons d’un divorce

L'ancien président destitué, allié aux miliciens chiites soutenus par l'Iran, tend à nouveau la main à Riyad.

Des combats ont eu lieu hier à Sanaa entre les houthis et les forces loyales à l’ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh. Mohammad Huwais/AFP

C'est un divorce attendu dans un mariage politique très fragile. L'ancien président yéménite, Ali Abdallah Saleh, a pourtant provoqué une certaine stupéfaction samedi matin après avoir déclaré être ouvert à des discussions avec l'Arabie saoudite et être prêt à « tourner la page », à condition que le blocus qu'elle impose au Yémen soit levé. « J'appelle nos frères dans les pays voisins (...) à arrêter leur agression et à lever le blocus (...) et nous tournerons la page », a dit M. Saleh à la télévision, en référence à l'Arabie saoudite. Riyad avait renforcé le blocus autour du Yémen après un tir de missile des houthis le 4 novembre en direction de la capitale saoudienne. L'ex-président yéménite tourne ainsi le dos à ses alliés du mouvement rebelle pro-iranien, les houthis, aux côtés desquels il affrontait une coalition militaire dirigée par Riyad. Les deux camps étaient alliés depuis qu'ils s'étaient emparés de Sanaa en septembre 2014, poussant le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi à prendre la fuite. Le royaume wahhabite était ainsi intervenu au Yémen pour soutenir le successeur de M. Saleh, mais d'abord et surtout pour endiguer la montée en puissance des houthis.

À la suite de cette annonce samedi, les houthis ont dénoncé « un coup de force contre (leur) alliance et (leur) partenariat (...) qui révèle l'imposture de ceux qui affirment lutter contre l'agression » saoudienne. Leur chef, Abdelmalek al-Houthi, a enfoncé le clou, qualifiant la démarche de l'ex-président de « grande trahison » et affirmant que M. Saleh et la coalition sous commandement saoudien ne formaient désormais qu'un « seul front ».

Des affrontements entre les membres du camp rebelle ont ensuite éclaté durant le week-end à Sanaa, obligeant les habitants à se barricader chez eux. De nombreux observateurs ont exprimé leur surprise samedi suite au « revirement » de l'ancien président yéménite. Ce n'est pourtant pas la première fois que l'ancien président évoque sa volonté de négocier avec les Saoudiens. Comme en mai dernier, lorsqu'il s'était dit prêt « à se rendre à Riyad, Mascate ou ailleurs » pour « entamer un dialogue et parvenir à un accord ». En 2016 déjà, lors de l'anniversaire de la révolution, M. Saleh avait tenté d'offrir une branche d'olivier à la coalition, lors d'un rassemblement à Sanaa. « Nous tendons une main de paix, la paix des braves, pour des pourparlers directs avec le régime saoudien sans retour au Conseil de sécurité (de l'ONU), qui est incapable de résoudre quoi que ce soit », avait-il alors lancé devant la foule.

Opportunisme
Chassé du pouvoir en 2011 à la suite d'importantes manifestations populaires, après plus de 30 ans à la tête du pays, Ali Abdallah Saleh est parvenu à rebondir en s'alliant aux insurgés houthis. Son opportunisme lui avait alors permis de ne pas être écarté du jeu yéménite, avec comme but de saper la transition du pouvoir suite à l'élection de M. Hadi. Cette alliance, d'abord gardée secrète, n'a été révélée par le camp rebelle qu'au moment du déclenchement de l'intervention saoudienne le 26 mars 2015. Il était cependant évident que la montée en puissance militaire des houthis avant l'intervention n'avait été rendue possible que grâce au soutien appuyé de M. Saleh.

(Lire aussi : La rupture Saleh-Houthis "sans doute encouragée" par Riyad)

Mais si cette alliance de circonstance avait certes un même ennemi, la coalition menée par l'Arabie saoudite, elle présentait également plusieurs failles, comme en témoignent les nombreuses dissensions cette dernière année entre les deux alliés. Les houthis n'ont en effet jamais accordé une confiance totale à l'ancien chef de l'État. Et pour cause : durant ses 33 années au pouvoir, Ali Abdallah Saleh a combattu à six reprises les houthis, pourtant issus de la même minorité zaïdite (branche du chiisme) très présente dans le nord du Yémen. D'autre part, si les miliciens chiites, soutenus par Téhéran, ont un agenda régional très clair, celui de Ali Abdallah Saleh est uniquement national. Après une vie politique des plus mouvementées, après une guerre civile, plusieurs tentatives d'assassinat, l'isolement et les sanctions, l'ancien chef de l'État a remis le pied à l'étrier grâce à cette alliance des plus incongrues avec ceux qu'il a longtemps combattus. Se décrivant souvent comme le seul homme qui peut tenir le Yémen, M. Saleh avait évoqué le fait de « danser sur des têtes de serpent » pour gérer le Yémen. En 2016, il avait conclu un pacte de partage du pouvoir avec les houthis et dirigeait un gouvernement parallèle depuis Sanaa. Mais le conflit a coûté extrêmement cher au pays avec plus de 8 750 morts et 50 600 blessés, dont de nombreux civils, depuis mars 2015, provoquant aussi une crise humanitaire sans précédent.

Une aubaine pour Riyad
L'escalade de tensions apparues durant l'année entre les deux camps alliés, notamment durant l'été, ont laissé entrevoir une brèche dans leur stratégie. Les deux camps se sont mutuellement accusés de trahison, jusqu'à des menaces ouvertes proférées le 23 août par les houthis, qui ont déclaré que M. Saleh devra « faire face aux conséquences » après qu'il eut qualifié ses alliés de simples « milices » dans un discours prononcé pendant le week-end. Certains combattants loyaux aux houthis avaient même qualifié l'ancien président de « diable ». Des fissures qui sont apparues comme une aubaine pour Riyad. En août dernier, une source au Congrès général du peuple de Saleh, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat, a fait savoir via l'AFP que l'Arabie saoudite serait heureuse de voir son ancien allié se séparer des houthis, mais qu'elle n'était pas encore prête à réintégrer Ali Abdallah Saleh. Les derniers heurts la semaine dernière entre les deux camps alliés ont fait déborder le vase. Des houthis armés ont encerclé les résidences de membres du gouvernement rebelle – non reconnu internationalement – proches de l'ex-président et ont pénétré dans la mosquée Saleh (érigée dans les années 2000 à la gloire de l'ancien chef de l'État), provoquant des échauffourées qui ont fait plusieurs morts dans les deux camps. Les tentatives de médiation entre les deux parties pour éviter que la situation ne dégénère totalement ont visiblement échoué. Et l'ancien président destitué pourrait voir son rêve se réaliser : placer son fils Ahmad Ali Saleh, qui réside aux EAU, à la tête du gouvernement yéménite. L'initiative de rapprochement de M. Saleh a été accueillie favorablement par le royaume. La coalition sous commandement saoudien a encouragé la démarche de l'ex-président, affirmant qu'elle « libérera le Yémen » des « milices loyales à l'Iran ». Aux Émirats arabes unis, autre pays-clé de la coalition, lui aussi farouchement hostile à « l'expansionnisme iranien » au Moyen-Orient, le ministre d'État aux Affaires étrangères Anwar Gargash a parlé du « soulèvement de Sanaa » qui pourrait ramener « le peuple yéménite à son environnement arabe ». Même son de cloche pour le gouvernement Hadi qui apparaît favorable à la démarche de M. Saleh et sa dissociation des houthis, qu'il accuse de servir les intérêts de l'Iran au Yémen. L'éclatement de l'alliance Saleh-houthis aurait de quoi servir les intérêts prince héritier Mohammad ben Salmane : sortir du bourbier yéménite dans lequel il s'est empêtré et redorer ainsi son image.


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commentaires (4)

Je ne serai nullement surpris d'apprendre qu'Ali Abdallah Saleh ait été tué avec des armes fournies par le Hezbollah !

Tony BASSILA

18 h 39, le 04 décembre 2017

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Commentaires (4)

  • Je ne serai nullement surpris d'apprendre qu'Ali Abdallah Saleh ait été tué avec des armes fournies par le Hezbollah !

    Tony BASSILA

    18 h 39, le 04 décembre 2017

  • Ce que je n’arrive pas a comprendre encore c’est que des libanais puissent mettre l’iran Avant le liban ...: juste à cause de la confession

    Bery tus

    15 h 42, le 04 décembre 2017

  • Les échecs iraniens se succèdent comme d'autres le disent. Ce n'est pourtant pas ce qui se passe quand on voit que la puissance iranienne n'a jamais été telle quelle l'est aujourd'hui.

    Zorkot Mohamed

    12 h 09, le 04 décembre 2017

  • TOUT MARIAGE D,INTERETS EST VOUE A L,ECHEC QUAND CEUX-CI CHANGENT ! LES ECHECS IRANIENS SE SUCCEDENT DE SYRIE AU LIBAN AU YEMEN ET A BAHREIN... ET SANS DOUTE PROCHAINEMENT EN IRAQ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 10, le 04 décembre 2017

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