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Paradoxes de Noël

À la tombée du jour, les mères prenaient une profonde inspiration, se tenaient sur le seuil et appelaient leur couvée. Éparpillés dans les collines, les genoux en sang, les cheveux en pétard, de fines coulures de sueur et de boue sur les tempes, épuisés, endoloris mais heureux, nous entendions l'écho répéter nos prénoms. Il venait toujours trop tôt, le temps de redescendre. Nous causions en glissant sur le sable rouge des avalanches de caillasse qui affolaient une faune tranquille regagnant ses pénates pour la nuit. Un grisant parfum de sauge et de menthe sauvage, de foin, de crottin et de pommes de pin accompagnait ces crépuscules de vacances qui nous ramenaient au rituel du soir après de longues journées dans les arbres. Là-bas, à l'envers du réel, nous réinventions une réalité à notre démesure. Des troncs morts se transformaient pour notre seul plaisir et par le seul pouvoir de notre connivence en locomotives qui nous emportaient où nous voulions. Selon la fantaisie du chef de gare et de son sifflet intempestif (ce rôle était tiré à la courte paille), le rudimentaire tortillard dont nous étions les seuls à entendre le roulement formidable et voir le gigantesque panache, la brave souche tavelée de mousse et livrée à la dévoration assidue des xylophages, nous déposait tantôt au cœur de la jungle amazonienne, tantôt au milieu de steppes immenses ou sur la face cachée de la Lune. Au terminus de ces voyages immobiles, nous découvrions « pour de vrai » ces contrées hybrides dont chacun dévoilait aux autres un détail de son cru. La vie en plein air faisait de nous des euphoriques hallucinés.

C'est dire à quel point nous étions impatients de Noël après les mornes semaines du premier trimestre scolaire. C'est dire notre bonheur d'accrocher guirlandes et loupiotes en vue de la plus longue nuit ; planter des lentilles et du blé dans des nuages de coton et les voir germer en formant des îles dans l'océan bariolé du tapis ; froisser du papier « crèche » pour y creuser des coteaux et des grottes, la plus grande pour le petit Jésus, les autres pour les bergers et les rois mages en marche. Inévitablement, le chat attiré par l'odeur fauve du jute et du chanvre venait boulotter le divin poupon. Belle nuit où tout se confondait. Dieu devenait homme en reprenant les choses par le début, par les langes exactement. Tout petit, tout fragile, tout nu, il se remettait entre nos mains. Déjà le protéger du chat. Sainte nuit où il incombait aux enfants de veiller sur ce Dieu nouveau-né. Le protéger à travers chaque être vivant devenait ensuite une évidence.

Le père Noël, on ne comprenait pas trop ce qu'il venait faire dans cette histoire.

Tartinant tout ce sacré d'une couche de surnaturel, la perspective de son arrivée mystérieuse par une cheminée qui n'existait pas, et qui de toute manière ne l'aurait jamais contenu, nous tenait éveillés tant que tenaient nos paupières. Naturellement, il attendait que celles-ci nous trahissent pour déposer ses paquets. Nous découvrions avec une joie mitigée ces aimables petits riens, nous qui possédions en secret le Transsibérien.

À la tombée du jour, les mères prenaient une profonde inspiration, se tenaient sur le seuil et appelaient leur couvée. Éparpillés dans les collines, les genoux en sang, les cheveux en pétard, de fines coulures de sueur et de boue sur les tempes, épuisés, endoloris mais heureux, nous entendions l'écho répéter nos prénoms. Il venait toujours trop tôt, le temps de redescendre. Nous...

commentaires (3)

POETESSE EN PROSE... A QUAND ON VOUS LIRAIT MADAME FIFI DE VRAIES POESIES ?

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 47, le 14 décembre 2017

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Commentaires (3)

  • POETESSE EN PROSE... A QUAND ON VOUS LIRAIT MADAME FIFI DE VRAIES POESIES ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 47, le 14 décembre 2017

  • Encore une belle histoire que cette évocation des Noëls de notre enfance avec cette saveur dont vous seule, chère Fifi, avez le secret.

    Paul-René Safa

    11 h 35, le 14 décembre 2017

  • merci pour cet article...superbe beau...vous etes unique Mme...vous lire un plaisir....

    Soeur Yvette

    08 h 31, le 14 décembre 2017

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