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Économie - Construction

Les déboires financiers de Hariri en Arabie saoudite

Poussée notamment à la faillite en raison des dettes de l'État saoudien de 8 milliards de dollars, Saudi Oger, l'entreprise de construction de Saad Hariri, a cessé ses activités fin juillet. Une situation qui arrange MBS, selon certains.

Le Premier ministre Saad Hariri est également président du conseil d’administration de l’ex-géant du BTP, Saudi Oger. Photo P.H.B.

Pour expliquer la démission-surprise du Premier ministre Saad Hariri depuis Riyad le 4 novembre courant, plusieurs pistes ont été évoquées, dont celle d'un ras-le-bol du pouvoir saoudien face à ce que ce dernier considère comme un trop grand nombre de compromis de la part du Premier ministre libanais face aux Hezbollah, représenté au sein de son cabinet d'union nationale. Plus largement, certains ont évoqué des tensions entre, d'une part, le clan du roi Salmane et de son fils, le prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS), et, d'autre part, Saad Hariri, dont la famille était la protégée de l'ancien roi Abdallah.

Mais le Premier ministre, qui détient également la nationalité saoudienne, a des intérêts commerciaux importants au sein du royaume wahhabite, dont l'importance a été éclipsée par la crise politique récente. À la tête du conseil d'administration de Saudi Oger, géant du BTP saoudien, Saad Hariri doit gérer un réel casse-tête financier et social. L'entreprise ne paie plus l'écrasante majorité de ses 38 000 employés depuis octobre 2015.
Fondé par le père de Saad Hariri, Rafic Hariri, en 1978, Saudi Oger est devenu un fleuron du BTP en Arabie saoudite, notamment grâce à sa proximité avec la famille royale. En 1994, Rafic Hariri place son fils Saad, âgé de 25 ans, à la tête du groupe. Dès 2013, des retards dans le paiement des salaires apparaissent, selon plusieurs employés. S'ils sont vite réglés, ils reflètent déjà des problèmes de trésorerie. À partir d'octobre 2015, les choses se gâtent. La majorité des salariés – dont ceux de 2 000 à 3 000 Libanais – ne perçoivent plus leur salaire.

L'Arabie doit 8 milliards à Oger

L'entreprise doit rembourser plus de 3,5 milliards de dollars à ses banques, en plus de milliards de riyals à ses fournisseurs et ses salariés, d'après des estimations de Reuters en septembre 2016. Mais l'État saoudien, dont les finances sont plombées par la chute des cours du brut, lui doit encore plus d'argent. Toujours selon Reuters, Riyad est endetté à hauteur de 8 milliards de dollars envers l'entreprise de Saad Hariri.

Courant 2016, le royaume assure à plusieurs reprises son intention de régler ses dettes au secteur privé. Début novembre 2016, 100 milliards de riyals (26,7 milliards de dollars) sont débloqués. Il semblerait qu'une partie de ce montant ait été versée à des employés de Saudi Oger, mais les chiffres sont impossibles à vérifier. Ce qui est sûr, c'est que les quelque 200 employés français ont été payés en septembre 2016 suite à l'intervention du Quai d'Orsay, bien qu'ils n'aient pas reçu leurs indemnités de fin de service ou certaines cotisations sociales, ce qui représenterait près de 20 millions d'euros d'impayés. Samedi, alors que Saad Hariri se trouvait à Paris, la présidence française a indiqué « suivre de près » le problème de l'indemnisation des employés français de Saudi Oger. Les Saoudiens « se sont engagés à payer le reste des indemnités » qui n'ont pas encore été versées, a-t-elle indiqué. Les remboursements saoudiens lancés en 2016 ne suffisent pas, néanmoins, à sauver Saudi Oger qui, fin juillet 2017, cesse de fonctionner. Rien d'officiel cependant, aucune annonce n'ayant été faite du côté saoudien ou du côté de Saad Hariri.

La démission du Premier ministre a coïncidé avec une purge sans précédent de princes, ministres et hommes d'affaires en Arabie saoudite dans le cadre d'une opération anticorruption menée par MBS. Alors que certaines sources estiment dans un premier temps que Saad Hariri est lui aussi visé par cette purge, d'autres sources proches de Saad Hariri insistent auprès de Reuters sur le fait que la démission du Premier ministre « est motivée par la volonté de l'Arabie saoudite de contrer l'Iran ». Les projecteurs sont alors rapidement braqués sur le bras de fer politique entre les deux puissances régionales, et non sur les déboires financiers de Saad Hariri en Arabie saoudite.

(Lire aussi : Les armes économiques des pays du Golfe contre le Liban)

« Interrogatoire économique »

Mais le 10 novembre, Mediapart rapporte, sous la plume de Jean-Pierre Perrin, que M. Hariri « a été entendu par la commission d'enquête sur la corruption ». Il aurait « d'ailleurs été averti qu'il serait traité comme témoin dans une enquête en tant que citoyen saoudien, et non pas en tant que chef du gouvernement libanais ». L'auteur de l'article rappelle « que les faillites dans le royaume sont considérées comme des délits très graves, passibles de peines de prison ».

« Le hic dans tout cela, c'est qu'on a du mal à faire la (différence) entre ce qu'on pourrait appeler l'interrogatoire économique et l'interrogatoire politique dont Saad a fait l'objet avant et après sa démission », indique à L'Orient-Le Jour l'activiste et analyste politique Lokman Slim, également cité par Mediapart. En outre, il n'est pas clair si la faillite d'une entreprise conduit ses dirigeants à la prison. La loi saoudienne régissant les faillites prévoit une gestion « au cas par cas » des questions liées au règlement des dettes, avait indiqué en avril dernier à L'Orient-Le Jour l'avocat saoudien Majed Garoub.

D'après Lokman Slim, MBS aurait volontairement laissé couler Saudi Oger pour se débarrasser des magnats des affaires qui s'étaient enrichis sous les rois Fayçal (1964-1975), Fahd (1982-2005) et Abdallah (2005-2015). « En plus de facteurs conjoncturels comme la chute des prix du pétrole, il y a eu une prise de conscience que le système tel qu'il s'était établi sous ces monarques ne pouvait pas continuer. L'État a changé. MBS pense que des entreprises comme Saudi Oger et Saudi Bin Laden en ont assez profité », poursuit M. Slim.

« La chute des prix du pétrole a concerné tous les clients de l'État, mais surtout Saudi Oger, du fait de son exposition très forte à un sous-marché excessivement volatil. La trésorerie d'Oger était régulièrement alimentée par des contrats de maintenance des palais. Quand cette manne s'est tarie, les difficultés ont commencé très vite », confirme l'ancien ministre des Télécoms, Charbel Nahas, qui a travaillé avec Rafic Hariri et Oger Liban entre 1982 et 1986 sur le projet de rénovation du centre-ville de Beyrouth.

(Lire aussi : Saudi Oger : Hariri s'est engagé à régler le contentieux français)

Reprise des projets d'Oger par Nesma

« Je pense sincèrement qu'il y a un lien entre l'arrestation de Saad Hariri et Saudi Oger », estime-t-on par ailleurs de source française proche du dossier. « La liste des personnes arrêtées est assez intéressante. On y trouve Mohammad Tobaishi, ami intime de Saad Hariri et chef du protocole à la cour, celui-là même qui permettait d'attribuer des marchés à Saudi Oger. En contrepartie, Saudi Oger lui construisait des palaces, à perte, en guise de cadeau. Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres », ajoute-t-on de même source.

Selon @mujtahidd, un compte Twitter anonyme et très informé suivi par près de 2 millions de personnes, MBS a laissé Saudi Oger sombrer afin que Nesma, un conglomérat qui opère entre autres dans la construction, récupère ses chantiers. Si le PDG de Nesma est officiellement Saleh al-Turki, MBS en est le « réel propriétaire », affirme Mujtahidd, connu pour ses critiques contre la monarchie, dans un e-mail à L'Orient-Le Jour. « Disons que Nesma bénéficie de la bienveillance princière », nuance une autre source.
Dès 2015, la publication en ligne Intelligence Online rapportait que MBS se rapprochait de Nesma, l'une des entreprises les mieux placées aujourd'hui en Arabie saoudite pour recevoir de juteux contrats de l'État. Dans un autre article publié la même année, Intelligence Online affirmait que Nesma, « nouvel acteur » dans le marché de l'immobilier, était en passe de remplacer Saudi Bin Laden, le principal concurrent de Saudi Oger, en tant que « partenaire incontournable pour les entreprises occidentales cherchant (à signer) des contrats de construction en Arabie saoudite ».

Pour expliquer la démission-surprise du Premier ministre Saad Hariri depuis Riyad le 4 novembre courant, plusieurs pistes ont été évoquées, dont celle d'un ras-le-bol du pouvoir saoudien face à ce que ce dernier considère comme un trop grand nombre de compromis de la part du Premier ministre libanais face aux Hezbollah, représenté au sein de son cabinet d'union nationale. Plus largement,...

commentaires (6)

L'explication de la démission forcée du premier ministre libanais se trouve entre ces lignes ...On connaissait plus ou moins les raisons sans en connaître les détails ! Ca viendra aussi. Une chose st sur, c'est qu'on est dans un pays et une région du monde où la faillite des géants n'arrive pas par hasard .... il n' y en a presque jamais! Le Maître Ben Salmane est trop pressé ....

Sarkis Serge Tateossian

16 h 27, le 20 novembre 2017

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Commentaires (6)

  • L'explication de la démission forcée du premier ministre libanais se trouve entre ces lignes ...On connaissait plus ou moins les raisons sans en connaître les détails ! Ca viendra aussi. Une chose st sur, c'est qu'on est dans un pays et une région du monde où la faillite des géants n'arrive pas par hasard .... il n' y en a presque jamais! Le Maître Ben Salmane est trop pressé ....

    Sarkis Serge Tateossian

    16 h 27, le 20 novembre 2017

  • Il est évident que les deux affaires sont liées on n'a pas besoin d'un doctorat pour le déduire . Le but étant d'affaiblir Hariri financièrement avant de lui donner le coup fatal . Et MBS il est clean lui ? un yacht de 500 millions $ à 30 ans , ca vient d'ou ça ? En tout cas ça finira mal pour lui

    Elie H

    14 h 58, le 20 novembre 2017

  • Il y a quelque chose d’absurde dans cette histoire: Si l’état Saoudien lui doit 8 milliards de $, et qu’il ne doit que 4 milliards et bagatelles à ses employés et banques, ce n’est pas lui qui a fait faillite, mais plutôt le gouvernement Saoudien qui l’a poussé à ceci, étant totalement dépendant d’eux. Rien de nouveau dans ce comportement: beaucoup de compagnies étrangères moins grandes auraient eu le même sort pour x raisons et n’avaient d’autre choix que de plier bagage...car vous n’avez aucun recours dans ces états totalitaires. Donc Hariri était très probablement tombé en disgrâce depuis le décès du roi Abdallah, début de sa chute financière depuis 2 ans et que ce dernier épisode de son séjour à Riyad pourrait y être relié: il aurait reçu un ultimatum final... Soit qu’il change de stratégie contre l’Iran et Hezbollah, soit qu’il rejoint les autres déchus dans leurs prisons dorées... Ça a l’air qu’il a choisi la première option, avec un petit coup de pouce de Macron

    Saliba Nouhad

    14 h 38, le 20 novembre 2017

  • BATIT SUR DES SUPPOSITIONS ET DES COMMERAGES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 17, le 20 novembre 2017

  • Et dire qu'on lui confie la gestion d'un état ...

    Khalil S.

    12 h 01, le 20 novembre 2017

  • cet article sonne comme une eulogie de la dinastie hariri ou quoi ? pt't seulement celle de saad hariri ? a sacrifier sur l'autel a cause de ses propres erreurs ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 18, le 20 novembre 2017

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