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Moyen Orient et Monde - Iran

La difficile gestion de l’héritage perse pour la République islamique

Le pèlerinage annuel sur la tombe du roi perse Cyrus le Grand exacerbe le malaise du gouvernement face à une histoire qui rentre parfois en contradiction avec les principes de la révolution de 1979.

Célébration du 2 500e anniversaire de la mort de Cyrus le Grand à Pasargades, le 18 octobre 1971. Archives AFP

Routes fermées, responsables arrêtés, mausolée grillagé. Dimanche 29 octobre, des dizaines de milliers de pèlerins iraniens, en route pour Pasargades, ont été contraints de rebrousser chemin et n'ont pu vénérer la tombe du roi perse Cyrus le Grand, fondateur du royaume achéménide (Ve siècle avant J.-C.). L'accès aux routes menant à la tombe du roi avait, en effet, été barré par les autorités, et l'événement suspendu. Situé à proximité de Persépolis, ancienne capitale de l'empire, le lieu réunit chaque année plusieurs milliers d'Iraniens d'origine kurde, turque, arabe et perse, qui viennent célébrer la mémoire d'un roi admiré pour sa tolérance religieuse et politique légendaire.

À la veille du 38e anniversaire du régime fondé par Khomeyni, l'interdiction du pèlerinage annuel sur la tombe du roi perse Cyrus le Grand a mis en lumière la profondeur du malaise du gouvernement iranien dans la délicate gestion d'un héritage prestigieux, qui lui fait de plus en plus d'ombre. Le pèlerinage avait déjà suscité de vives tensions en 2016, lorsqu'il s'était transformé en manifestation hostile au gouvernement, et que divers slogans nationalistes – tels que « Cyrus est notre père, l'Iran est notre patrie » – avaient été scandés par la foule des pèlerins. Une épine dans le pied du régime, que les autorités iraniennes ont voulu anticiper et éviter cette année.

 

« Il semble que le régime a toujours peur de Cyrus »
« La gloire de l'Iran a toujours été sa culture », écrit Richard Nelson Frye, universitaire et professeur iranien, en guise d'introduction de son livre Greater Iran (Mazda Publishers, 2005). Berceau d'une des plus vieilles civilisations au monde, le pays est admiré à l'extérieur de ses frontières pour son riche héritage culturel, historique et religieux. La littérature persane, notamment sa poésie, à travers le célèbre Livre des rois, est au cœur du patrimoine iranien. L'Iran doit donc une grande partie de ce prestige à l'Empire perse (VIe siècle avant J.-C.), qui prit fin avec la conquête islamique du pays, au VIIe siècle.

« Il y a une vraie nostalgie, en Iran, de la perse préislamique », explique à L'Orient-Le Jour Mohammad Reza Djalili, professeur émérite à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève. Le pèlerinage sur la tombe du roi Cyrus, tout comme la grande fête de Norouz, qui célèbre chaque année le nouvel an persan, sont ainsi de rares occasions pour la population de commémorer la grandeur de l'empire et de garder vivant cet héritage millénaire, qui gêne visiblement le gouvernement de Hassan Rohani. « Plus de 2 500 ans après la mort du roi, il semble que le régime a toujours peur de Cyrus », commente M. Djalili.

 

Concurrence à la République islamique
Cette distanciation vis-à-vis de l'héritage perse date de la révolution islamique. Au cours des premières années suivant la révolution de 1979, les ayatollahs avaient tenté d'interdire la fête de Norouz, et plusieurs mollahs militants avaient souhaité que soient rasés les vestiges de Persépolis, ce qui ne fut pas fait. La révolution de 1979 et la guerre meurtrière avec l'Irak ont été déterminantes dans cette volonté de faire table rase du passé. Lorsque l'ayatollah Khomeyni prend le pouvoir le 11 février 1979, le guide suprême délaisse ainsi le nationalisme à l'œuvre sous le chah, au profit d'une idéologie religieuse rigoriste.
Presque 40 ans après, les idéaux et contradictions de la révolution restent néanmoins au cœur des débats qui animent l'Iran, et la question de ce qui est révolutionnaire ou non continue d'agiter et d'inquiéter les acteurs politiques du pays. Célébrer la grandeur de l'héritage perse est ainsi perçu comme un signe d'opposition, qui fait concurrence aux valeurs prônées par la République. En se rendant sur la tombe du roi Cyrus, les pèlerins commettent un « acte contre-révolutionnaire » pour les Gardiens de la révolution (organisation militaire relevant directement du guide de la révolution) et mettent directement le régime en danger. Ce qui ne les empêche pas pour autant de réorganiser l'événement chaque année, via les réseaux sociaux.

Golfe Arabique
Les difficultés sociales et économiques que traverse le pays, ajoutées à la corruption de la classe politique, poussent les Iraniens à rechercher des grandes figures historiques auxquelles se référer. Ils se dissocient ainsi du régime et peuvent protester plus subtilement contre un gouvernement dans lequel nombre d'entre eux ne se reconnaissent pas.

Le succès grandissant du pèlerinage sur la tombe de Cyrus s'explique également par le renforcement du nationalisme iranien, face aux menaces saoudienne et américaine de plus en plus présentes. Un nationalisme que le régime tente dans ce contexte-ci d'instrumentaliser, comme l'explique Ammar Maleki, enseignant en sciences politiques à l'université de Tilburg, dans une interview pour Les Observateurs : « Ces dernières années, la République islamique d'Iran a elle-même fait vibrer la corde nationaliste afin d'entretenir un sentiment antiarabe, en raison des rivalités régionales entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Elle rappelle aussi régulièrement qu'elle soutient le régime de Bachar el-Assad en Syrie, dans le but, selon elle, de le protéger de ses adversaires parmi les pays arabes, ce qui permet de flatter par la même occasion le nationalisme iranien. »
Plus récemment, le discours de Donald Trump du 13 octobre dernier, dans lequel le président a qualifié de « golfe Arabique » ce que les Iraniens considèrent être le golfe Persique, a provoqué une profonde colère à la fois de la population et des dirigeants.
Comme si la question du nationalisme iranien, qui dépasse largement les clivages politiques, culturels ou religieux du pays suscitait un consensus national lorsqu'il s'agit de politique étrangère, mais effrayait, au contraire, le régime lorsqu'elle s'exprime au cœur même de la société iranienne.

 

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commentaires (2)

L,OBSCURANTISME DES AYATOLLAHS NE POURRAIT JAMAIS SE COMPARER... CE SERAIT UNE HERESIE... A CE GRAND EMPIRE QUE FUT CELUI DE DARIUS...

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 31, le 04 novembre 2017

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Commentaires (2)

  • L,OBSCURANTISME DES AYATOLLAHS NE POURRAIT JAMAIS SE COMPARER... CE SERAIT UNE HERESIE... A CE GRAND EMPIRE QUE FUT CELUI DE DARIUS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 31, le 04 novembre 2017

  • « Il y a une vraie nostalgie, en Iran, de la perse préislamique », explique à L'Orient-Le Jour Mohammad Reza Djalili, professeur émérite à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève" Même plusieurs siècles après l'Islam la perse a connu une évolution culturelle et philosophique sans précédant, dont Omar Khayyam en était le maitre penseur, un libre penseur, un esprit ouvert,complet, fertile, un humaniste précurseur sur la voie de la générosité. POUR LE PLAISIR, VOICI UN DE SES QUATRAINS TRAITANT LA RELIGION, QUELLE OUVERTURE D'ESPRIT ! « On affirme qu’il existe un enfer. C’est une assertion erronée, on ne saurait y ajouter foi, car s’il existait un enfer pour les amoureux et les ivrognes, le paradis serait dès demain, aussi vide que le creux de ma main”. OMAR KHAYYAM

    Sarkis Serge Tateossian

    02 h 20, le 04 novembre 2017

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