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À La Une - Témoignage

En Syrie, le rêve des étudiants brisé par la guerre

Si beaucoup se sont reconstruits une vie à l'étranger ou échoué dans des camps de réfugiés, d'autres ont épousé une nouvelle vocation, se transformant en combattant ou s'improvisant journaliste.

Ahmad Khatib, 28 ans, ex-étudiant syrien en génie civil devenu reporter. Photo AFP / OMAR HAJ KADOUR

Ils étaient plusieurs dizaines de milliers d'étudiants à rêver de devenir ingénieur, instituteur ou autre dans la Syrie d'avant-guerre, mais le conflit de plus de six ans a mis un terme à leurs aspirations.
Si beaucoup se sont reconstruits une vie à l'étranger ou échoué dans des camps de réfugiés, d'autres ont épousé une nouvelle vocation, se transformant en combattant ou s'improvisant journaliste.

 

Delbrin Sadeq, 26 ans, ex-étudiante en chimie devenue combattante antijihadistes
En 2013, un an avant que le groupe Etat islamique (EI) ne s'empare de Raqqa, Delbrin était en troisième année de chimie pure et appliquée à l'université de cette ville qui allait devenir pendant trois ans la "capitale" de l'organisation ultraradicale en Syrie.
"En 2014, quand l'EI est entré et a obligé les femmes à s'habiller en noir, j'ai quitté Raqqa", explique cette Kurde devenue membre des Unités de protection de la femme (YPJ), branche féminine de la principale force kurde en Syrie (YPG).
"Je n'y suis revenue qu'avec la bataille pour la conquête de la ville", tombée cette semaine aux mains d'une alliance arabo-kurde dominée par les YPG.

Une fois les jihadistes chassés du secteur de l'Université, Delbrin, les cheveux en tresses, revêtue d'un treillis et fusil en bandoulière, est revenue revisiter l'établissement ravagé par les combats.
"Quand je me promène maintenant, je crois encore voir mes camarades de classe", dit-elle. "Je ne sais rien d'elles, j'espère qu'elles vont bien".
"J'ai de la peine pour tout ce que j'ai perdu", poursuit la jeune femme originaire de Ras al-Aïn, dans la province de Hassaké, voisine de celle de Raqa.

Mais au fond, elle ne regrette pas sa nouvelle destinée.
"J'aime la vie militaire, je ne la quitterai pas tant qu'il y a la guerre". "Si je pouvais reprendre mes études tout en restant militaire, je le ferai". "La vie continue, l'éducation continue".

 

(Lire aussi : Raqqa remise à une autorité civile après le déminage)

 

Ahmad Khatib, 28 ans, ex-étudiant en génie civil devenu reporter
Ahmad était en troisième année de génie civil à l'Université Techrine à Lattaquié (ouest), lorsque la révolte contre le régime de Bachar el-Assad a éclaté en mars 2011.
"C'est mon oncle qui m'avait inspiré car il était ingénieur même s'il m'avait conseillé d'étudier le journalisme. Je lui ai dit que la presse était contrôlée en Syrie, donc j'ai choisi le génie civil", explique-t-il à l'AFP, dans le village de Mereyane (nord-ouest) dont il est originaire.

Mais ironiquement, c'est la guerre qui va le pousser à devenir reporter. Alors qu'il participait aux premières manifestations contre le régime, un rapport le concernant est envoyé aux services de sécurité.
Un jour de novembre 2011, alors qu'il se rendait avec un ami à Idleb (ouest), il est arrêté à un barrage de la Sécurité de l'Etat. On appelle son nom et sa première réaction: donner à son camarade son portable où il gardait des photos de manifestations.
"Je suis resté en détention 22 jours à Idleb puis renvoyé devant un tribunal à Damas, accusé de 'porter atteinte à l'autorité de l'Etat'. Ils ont voulu me faire avouer sous la torture que j'étais un militant armé, mais je ne l'étais pas".
Il est libéré et on lui remet un laissez-passer pour les barrages du régime.
"Mais le premier jour où je voulais revenir à l'université, à un barrage des chabbihas (hommes de main du régime) à Lattaquié, un milicien a pris ce papier (laissez-passer) et m'a dit: 'tu quittes l'université et je ne veux plus te voir ici, sinon je te brise le cou'.
Fini les cours, fini le rêve de devenir ingénieur.

 

(Lire aussi : L'EI a perdu Raqqa, mais où sont passés les jihadistes?)

 

"A l'école, j'étais toujours premier et à l'université j'étais parmi les premiers. Ce sentiment de gâchis a été le plus difficile à supporter. J'ai tout quitté".
"Ces années universitaires, ça me manque", assure Ahmad, la gorge nouée. Refusant de porter les armes, il opte pour la lutte dans les médias.
"J'ai commencé à consulter YouTube pour apprendre à filmer car à cette époque on ne filmait qu'avec nos portables", explique Ahmad, se souvenant de son bonheur quand il s'est procuré un petit caméscope.
"Je filmais des manifestations, des combats puis j'ai commencé avec des reportages sur la situation humanitaire".

"Etre reporter, c'est le plus bel aspect de la révolution, nous avons dévoilé les crimes d'Assad au monde entier. L'information, c'est l'arme la plus redoutable qu'il a dû affronter".
Se voit-il journaliste professionnel un jour? "J'aimerais, si la guerre se termine, m'inscrire dans une faculté de journalisme", confie-t-il.
"Les médias, ça contribue à la construction de l'Etat".

 

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