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Liban - Développement

Au Liban, l’éducation informelle à bout de souffle

Face aux nouvelles contraintes gouvernementales et au manque de moyens, des ONG s'inquiètent pour l'avenir scolaire des enfants syriens.

Les ONG se focalisent d’abord sur l’apprentissage de l’anglais, fondamental pour rejoindre le cursus scolaire traditionnel. (Photos Ophélie Julien-Laferrière)

Des classes pleines, des tests de niveau, des examens, des professeurs : tout pourrait nous faire croire que nous sommes dans une école comme les autres. À 40 minutes au sud de Beyrouth, la Maison de la Charité à Naameh est une école dite « informelle ».

Fondée par Élie Fadel il y a trois ans, ce centre permet aux réfugiés syriens de poursuivre leur scolarité dans un établissement adapté à leurs besoins, espérant rejoindre un jour les établissements gouvernementaux. Plusieurs écoles informelles chapeautées par d'autres associations, comme Basmeh wa Zeitooneh et Amel International, œuvrent depuis plusieurs années à relever ce défi.

Selon les derniers chiffres de l'Unicef de mars 2017, sur 423 832 enfants syriens en âge d'aller à l'école au Liban, plus de 200 000 ne sont toujours pas scolarisés. Des chiffres plus alarmants selon Amel International. L'ONG fondée en 1979 par Kamel Mehanna pointe, elle, 400 000 enfants syriens non scolarisés en 2017, soit 59 % des enfants syriens en âge d'aller à l'école. Une situation qui favorise la violation des droits de l'enfant et les risques d'abus : enfants au travail, mariage précoce, délinquance, endoctrinement. Or l'école publique libanaise est en crise depuis plusieurs années. Le manque d'enseignants qualifiés, le très faible niveau d'investissement, le mauvais état des infrastructures et les curriculums obsolètes sont d'autant plus préoccupants que l'afflux des réfugiés a fait croître la pression sur le secteur éducatif.

 

(Lire aussi : Tabshoura-In-A-Box sélectionnée par le Sommet mondial de l'innovation pour l'éducation)

 

« Une crise de la déscolarisation »
Le retard accumulé pendant des années de guerre a malmené l'accès à l'école de nombreux enfants syriens. « La crise syrienne est avant tout celle de l'enfance et de la déscolarisation. Les jeunes qui n'ont pas accès à l'éducation sont de futurs enfants de Daech (l'organisation État islamique). À long terme, c'est toute une génération qui sera perdue », déplore M. Mehanna. Les places dans les écoles publiques sont limitées et le gouvernement peine à ouvrir de nouveaux établissements. À cela s'ajoutent les difficultés quotidiennes des familles pour payer le matériel scolaire et le transport, financés en partie par le gouvernement pour les enfants ayant rejoint l'école publique. L'unité mobile éducative lancée cette année par Amel International se rend pour cela dans les zones reculées. « Notre bus éducatif va dans les camps de 8h à 12h pour faire la classe et permettre un jour aux enfants d'intégrer le cursus traditionnel », nous explique le fondateur d'Amel International.

Mais pour rejoindre les bancs de l'école libanaise, les enfants doivent maîtriser une seconde langue. « Les matières scientifiques ne sont pas enseignées en arabe comme en Syrie, mais en anglais ou en français », explique Yrevan Hassen, directrice du centre éducatif de Chatila, géré par l'ONG Basmeh wa Zeitooneh. En 2013, cette organisation fondée par des Syriens a ouvert son premier centre éducatif dans le camp de réfugiés palestiniens de la banlieue sud de Beyrouth. Professeurs, bénévoles, éducateurs, tous s'activent pour dispenser un enseignement accéléré aux 700 élèves qui n'ont pas pu poursuivre leur scolarité dans le cursus traditionnel. Pour l'intégrer, ils doivent passer un examen conçu pour eux, qui ne fait pas l'unanimité : « Ce test destiné aux réfugiés syriens est vraiment injuste », déplore la directrice du centre. « Le ministère de l'Éducation ne tient pas compte du niveau des élèves mais de leur âge », enchaîne-t-elle. Cela toucherait principalement les enfants entre 9 et 12 ans dont la scolarité a été entravée en 2011 par le début de la guerre. Le ministre de l'Éducation Marwan Hamadé s'en défend. « Nous faisons un test très bien étudié et les statistiques le montrent ! Cette année, le deuxième au brevet était un Syrien », affirme à L'Orient-Le Jour M. Hamadé.

Les associations rencontrées s'inquiètent par ailleurs du décrochage scolaire de leurs anciens élèves dans les écoles gouvernementales. « Depuis 2014, une séance de l'après-midi a été ouverte pour les enfants syriens. Cependant, les professeurs sont fatigués et ne se sentent pas autant concernés que lors de la séance du matin réservée aux Libanais », signale Fadi, vice-président du centre éducatif de Chatila. Le ministère de l'Éducation se dit au contraire très engagé pour prévenir le décrochage scolaire : « Certaines ONG colportent ces accusations pour justifier le maintien de leurs activités », souligne le ministre M. Hamadé.

 

(Lire aussi : La mini-bibliothèque de Maha, parce que tous les enfants ont le droit de lire)

 

Méfiance du gouvernement
De nombreuses organisations ont été contraintes ces derniers mois de cesser leurs activités après des critiques gouvernementales sur la qualité de l'enseignement proposé dans leurs centres éducatifs. Ces cours sont dispensés en grande majorité par des enseignants d'origine syrienne et palestinienne. « Nous n'avons pas de problème avec les ONG, nous travaillons même avec certaines d'entre elles. Mais il faut poser un cadre afin de garantir la qualité du contenu et de la méthode d'enseignement, explique le ministre de l'Éducation. Et nous donnons des permis seulement aux ONG dont les projets répondent à un besoin concret », poursuit-il.

Tout comme ceux de l'association Basmeh wa Zeitooneh, les 14 professeurs improvisés de la Maison de la Charité ont tous un parcours très différent. Informaticiens, cadres, infirmières de formation, aucun d'eux ne possède le diplôme d'enseignant. Ces derniers, qui ont de grandes difficultés à se faire embaucher dans leur domaine d'études, ne peuvent pas travailler dans les écoles du gouvernement libanais. Un cadre légal qui concerne désormais les structures éducatives informelles elles-mêmes : « Un de nos projets devait être financé par une fondation anglaise mais le ministère de l'Éducation nous a obligés à suspendre le partenariat. Il voulait que les fonds passent par son institution », témoigne la directrice du centre de Chatila. Le ministère de l'Éducation dit vouloir avant tout contrôler les messages envoyés au sein de ces centres. « Il faut vivre l'inclusion à l'école et dans la société libanaise. Comment garantir que les ONG travaillent dans cet esprit ? » met en garde le ministre.

« Après un changement d'environnement brutal, il faut leur redonner le goût d'apprendre et ce n'est pas une tâche toujours facile », confie une professeure de maternelle de la Maison de la Charité. Nesrine était infirmière en Syrie avant le début du conflit. Arrivée au Liban il y a 4 ans, cette jeune femme de 35 ans s'est formée pour enseigner à l'AUB (American University of Beirut) grâce à une bourse de l'ONU. Pédagogue, elle se renouvelle sans cesse pour captiver l'attention de ses jeunes élèves, atelier musical, dessin, pâte à modeler, en fonction des fonds qui le permettent.

Les difficultés financières s'accumulent pour le directeur de la Maison de la Charité. Très enthousiaste il y a 3 ans, Élie Fadel dit aujourd'hui regretter amèrement son initiative. L'homme a accumulé les dettes pour établir son école et déplore le manque d'aide gouvernementale.

 

(Lire aussi : Plus de la moitié des enfants syriens au Liban ne seront pas scolarisés cette année)

 

À Londres le 3 février 2016, la conférence internationale sur les défis humanitaires de la crise syrienne avait fait de l'accès à l'éducation pour les réfugiés une priorité absolue. Un objectif pourtant loin d'être rempli, souligne Human Rigth Watch (HRW) le 14 septembre dernier dans son rapport, « Suivre l'argent à la trace : manque de transparence des bailleurs de fonds dans le financement de l'éducation des réfugiés syriens ». Le texte déplore un manque d'informations chiffrées des pays hôtes rendant difficiles des conclusions sur l'accès à l'éducation des réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Le manque de transparence, l'absence de chiffres fiables et de suivi auraient contribué à priver d'éducation 530 000 enfants syriens dans ces trois pays pour l'année scolaire 2016-2017.

Pour cette même année au Liban, le ministre de l'Éducation se félicite de la scolarisation de 240 000 enfants syriens dans les écoles publiques et de 35 à 40 000 dans les écoles privées, mais reconnaît que les données sont confuses. « À tort, l'État libanais a cessé d'enregistrer les réfugiés en 2015. Nous avons perdu le contact avec des données cruciales : le nombre de personnes réfugiées et leur localisation, confie-t-il. Il faudrait organiser un recensement, sans qu'il soit perçu comme un acte policier cependant. Tout cela ne peut donc être dissocié de l'aspect politique », martèle-t-il.
Pour leur intégration au Liban ou dans la perspective d'une reconstruction future de la Syrie, la scolarisation des réfugiés syriens reste un enjeu de taille.

 

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commentaires (1)

Super intéressant cet article qui évoque sans tabous le sujet-clé de l'accès à l'éducation des enfants réfugiés au Liban. La journaliste donne la parole au ministre ainsi qu'à certaines ONG sans occulter les problèmes rencontrés au quotidien, les limites de l'action des ONG et l'état "perfectible" de l'éducation nationale.

Marionet

10 h 41, le 14 octobre 2017

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Commentaires (1)

  • Super intéressant cet article qui évoque sans tabous le sujet-clé de l'accès à l'éducation des enfants réfugiés au Liban. La journaliste donne la parole au ministre ainsi qu'à certaines ONG sans occulter les problèmes rencontrés au quotidien, les limites de l'action des ONG et l'état "perfectible" de l'éducation nationale.

    Marionet

    10 h 41, le 14 octobre 2017

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